À table, pensez au nuage !


Joli moment de panique ce matin dans les environs de Barcelone. Pour beaucoup, les yeux se sont mis à piquer plus d'habitude. Dans le ciel d'Igualada, sur la route de Lerida, s'est élevé un énorme nuage orange. De ce nube tóxica, photographié, filmé, diffusé sur Twitter et Facebook, puis sur les médias conventionnels, on n'a pas su grand chose. Trois heures plus tard, la Protección Civil parlait un peu évasivement d'acides nitrique, formique, de produits irritants. En fouillant un peu, on a vu que l'entreprise où s'est produite l'explosion, Simar, distribuait des engrais, des colorants, ainsi que des bases d'insecticides ou des matières premières pour l'alimentation humaine et animale ainsi que les boissons.


L'accident chimique, la musique tournoyante des sirènes, c'est un sujet auquel je suis un peu sensibilisé. Il est vrai qu'un certain 21 septembre 2001, à Toulouse, je me trouvais à quatre cents mètres de l'usine AZF, en pleine zone Seveso. Passé le big bang, les plafonds et les vitres sur la tronche, là aussi le ciel était orange, la couleur du fameux Agent, celui du défoliant parfumé à la dioxine, produit par Dow Chemical et Monsanto. Par parenthèse, je me souviens ce jour-là de la promesse, la main sur le cœur, tellement sincère, d'un ex-ami viticulteur des Corbières: "plus jamais je ne mettrai de chimie à la vigne, ni désherbants, ni engrais!" Promesse que je lui ai maintes fois rappelée et dont j'ai vainement attendu qu'elle soit suivie d'effets. Il est vrai qu'il n'était que coopérateur. Et un peu menteur.


Je repensais à tout cela lundi soir, sur l'autoroute entre Perpignan et Barcelone. L'AP7 longe, à Sant Celony, un des polygones industriels qui demeurent un des dernières grandes spécialités catalanes. Pas besoin de regarder pour s'en rendre compte, les filtres de la voiture n'y font rien, à chaque fois, ça pue, à chaque fois une odeur différente. L'usine brille de mille feux dans la nuit, avec son nom marqué en gros, en capitales d'imprimerie: GIVAUDAN.
Givaudan, je vous en ai déjà parlé, si vous vivez de façon moderne, c'est votre compagnon de tout les jours. De la cuvette des WC à votre bol de cornflakes, de votre déodorant au délicieux jus de truffe du plat de midi, de l'entêtante eau de toilette griffée de votre voisine au fumé si puissant de cette charcuterie fermière.


Givaudan, si on devait résumer en deux mots l'activité et les omniprésents produits de cette entreprise leader, on dirait: sensuel et naturel. La preuve, il n'y a qu'à voir leur communication! Tout le reste, les bébés morts du Talc Morhange, la catastrophe de Seveso, ce ne sont que de vieux mensonges de journalistes, des exagération, un complot médiatique! Givaudan ne vous veut que du bien, en s'intéressant de près par exemple au goût de ce que vous mangez et buvez. En l'améliorant. En remplaçant l'imparfait par le parfait (comme ici par exemple pour la vanille). Et pour ce faire, la multinationale chimique fait appel à des chefs qui construisent les arômes de demain. Ainsi est né le prestigieux Chef's council.


Ces chefs, on en trouve toute une liste avec lesquels Givaudan se vante d'avoir créé les tendances de demain:
Alex Atala (D.O.M. Restaurant) São Paulo, Brazil
Alex Stupak (Empellón Cocina) New York, USA
Alvin Leung (Bo Innovation) Hong Kong, China
Andrea Blanco Prieto (La Gaia) Cuernavaca, Mexico
André Chiang (André) Singapore
Atul Kochhar (Benaras) London, UK
Barry Lim (OZO Wesely) Hong Kong, China
Beau MacMillan (Sanctuary on Camelback Mountain) Arizona, USA
Daniel Holzman (The Meatball Shop) New York, USA
Flavio Solórzano (El Señorio de Sulco) Lima, Peru
Giancarlo Perbellini (Ristorante Perbellini) Verona, Italy
Joan, Josep and Jordi Roca (El Celler de Can Roca) Girona, Spain
Patrick Lassaque (Wynn Hotel) Las Vegas, USA
Paul Virant (Vie Restaurant et Perennial Virant) Chicago, USA
Wylie Dufresne (wd-50 and Alder) New York, USA.


N'oublions pas non plus, en bonne position, Hervé This, le chercheur français, qui ne veut pas, sous peine de procès, qu'on fasse de lien entre son activité et la cuisine dite moléculaire. Dont acte. Hervé This en revanche est conseiller depuis 2004 de Givaudan. Tenez, c'est marqué sur son épais CV, entre L'Oréal, Bonduelle, Potel & Chabot, Merck


Grâce à ces guides, la sensualité et la naturalité mitonnées par Givaudan et ses challengers, vous pouvez la retrouver sans nécessairement aller vous faire du bien un trois-étoiles. Vous seriez étonnés du nombre de cuistots qui utilisent, planquée sous une couche de fleurettes de chez Métro, les arômes et les additifs mis au point par l'industrie chimique. Je pense ainsi aux gros enculés (appelons un chat un chat) qui vous la jouent ostentatoirement "nature" en mettant habilement en avant quelques bouteilles de vins purifiées de quelques milligrammes de soufre en solution et qui en loucedé, en cuisine, maquillent leurs produits d'origine incontrôlée avec cette magie qui rend leurs assiettes si créatives, leurs goûts si étonnamment "profonds".
Pensez-y quand vous allez au restaurant et que vous voulez que ce que vous commandez ressemble à un assemblage de Smarties ou de M&Ms, parlez-en au chef, dites-lui de jeter ces poisons à la poubelle Pensez-y en faisant vos commissions, au moment de choisir entre fait-maison et merde industrielle. Ou quand vous achetez du parfum, du savon.
Oui, chaque jour, même quand il est invisible, qu'il ne fait pas la Une, pensez au nuage. Dans votre salle de bains ou en vous mettant à table, pensez au gros nuage orange de ce matin! N'en soyez pas responsable.




Commentaires

  1. J’aurais dit “pensons” plutôt que “pensez”!!!!..... ;-)
    Et pensons quand on enfile le matin la jolie chemise colorée, quand on se brosse les dents, quand on se coupe et que l’on met un pansement, quand on tapote sur nos claviers d’ordi (bon c’est comme pour les habits c’est moins gênant c’est plus loin à l’Est), quand on démarre sa voiture, quand on prend des photos, quand on part découvrir des vins bio à l’autre bout du monde….
    ON est tous coupables, ON est tous consommateurs. Ce nuage c’est affreux, ça fait gerber ! Bien plus d’ailleurs que les odeurs en passant devant Givaudan, car il faut arrêter de penser que si ça pue c’est forcément dangereux…. Et tout ce qui ne pue pas et qui est bien plus dangereux. L’état des sous-sols en France c’est catastrophique. Mais là aussi c’est moins spectaculaire qu’un nuage, ça prend moins à la gorge, ça tue plus lentement et sournoisement. Même les potagers bio choyés avec amour sur des sols pollués à souhait…
    Et le bon vieux savon de Marseille, traditionnel, fait avec de la soude en abondance et pas si sain que ça…
    Ne vous dissociez pas de tout ce qui arrive, donc pensons. Les coups de gueule, dénoncer cette infame industrie pernicieuse c’est bien, mais on fait quoi alors ??? on se déculpabilise en pointant les autres du doigt ? Et si on voulait changer avec le sourire et l’envie, pas dans une ambiance de catastrophisme et de perpétuel complot ? Vous allez me dire que je n’ai qu’à pas vous lire mais je souhaiterais plus d’articles joyeux, moins aigres…
    NicoJ

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    1. Ce "pensez", je ne l'avais pas compris autrement.
      Pour le reste, ce qui n'est pas dit dans cet article est dit dans d'autres. Les cosmétiques, les vêtements, les grosses cylindrées, les avions… sur tout cela, sans être un modèle parfait, je suis plutôt en paix avec ma conscience, je pense que mon bilan personnel est positif. Car justement j'y "pense" depuis longtemps, et mes actes sont généralement en accord avec mes pensées.
      Pour le reste, concernant ce nuage, et concernant les sols, comme dans le cas d'AZF, à Igualada, il était question d'engrais chimiques, ceux-là même qui puaient quand on passait le matin à Toulouse devant l'usine qui n'est plus.
      Enfin, pour ce qui est du complot, je ne sais pas trop où vous avez rêvé ça, ce n'est pas vraiment le genre de la maison, bien au contraire. Et tant mieux si la vue de ce nuage qui pique les yeux vous donne envie de sauter de joie et d'écrire des joyeusetés, pas moi qui vit dans la troisième ville la plus polluée d'Europe.

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    2. Justement je souhaiterais que vous souligniez plus vos actes qui sont en accord avec votre pensée que souvent la dénonciation. Et il ne suffit de se sentir en paix avec soi-même pour ne pas participer à ce monde, d'une manière ou d'une autre. Voilà mon propos. En vivant incéré dans la société on y participe.
      Pour les odeurs, je veux simplement relever que quand ça se voit ou quand ça sent ça affole, mais qu'il y a une multitude de polluants tout autant dangereux qui échappent à nos yeux et à notre odorat finalement peu développé.
      Vous avez très bien compris ce que je voulais dire!!! ça ne me donne pas envie de sauter de joie, loin de là. Simplement pour changer gentiment les choses il faut donner envie car ça génère du mouvement alors que la terreur et la culpabilisation tétanisent.
      NicoJ

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    3. Pour cette activité hautement impactante sur l'environnement qu'est la nourriture (ou pour les transports, la fringue), il est temps de se sentir un peu coupable!

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    4. Absolument!!!! Le consommateur a le pouvoir de faire changer les choses, car c'est lui le marché et le fond de commerce de l'industrie. Mais il faut tout autant à mon avis proposer des alternatives et ne pas s'enterrer dans la dénonciation. Encore une fois, vous qui réfléchissez depuis longtemps à ce sujet, donnez-nous plus de conseils de ce qu'il faut faire selon et pas principalement ce qu'il ne faut pas faire.
      NicoJ

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    5. Des conseils, il y en a beaucoup tout au long de ses chroniques. Pour hier, il n'y en avait pas beaucoup à part fuir, s'acheter un masque à gaz ou au pire se calfeutrer chez soi.

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    6. Par ailleurs il y a une certaine différence entre culpabiliser les foules et informer afin de rendre tout un chacun un peu plus conscient de sa responsabilité.

      Ce blog regorge de bons tuyaux que certains feraient bien de relire ! Dont l'invitation récente à Auvillar qui fut un régale !

      Merci encore Vincent, Serge, Isabelle....

      La patte fole.

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  2. Moi par exemple je ne prends plus l'autoroute depuis trois ans, et j'ai redécouvert qu'il y a des villages en France, avec des gens, parfois des fermes et des élevages...

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  3. Hervé This n'est pas conseiller de Givaudan.

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    1. Je ne publie pas les commentaires anonymes. Je n'y réponds pas non plus généralement. Là, je le fais juste pour le plaisir. Vous m'affirmez donc que le CV officiel d'Hervé This ment?

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