Aulx-R'-Oie.


Ce sont des petites histoires de rien, qui racontent la vie, qui racontent le vin. Qui racontent aussi l'insondable bêtise, froide, de la bureaucratie, cette implacable machine à déshumaniser. Là, c'est d'un vigneron français, lotois qu'il s'agit. Un jeune dont le but est de coller à la terre, de revenir au sens et à la douceur, parcelle par parcelle*. De tourner définitivement le dos aux "années coopé" qui ont failli engloutir le vin du coin dans un trou de médiocrité sans fond, bordé de politique. En plus, vous connaissez mon attachement au cahors, pour ainsi dire le lait que j'avais dans mon biberon, en tout cas, dans mon premier chabrot. 


Nous sommes sur le causse calcaire, sur les serres, cette terre pauvre que n'aiment que la truffe et la vigne. À l'opposé des manies du vin "moderne". Le vigneron en question cultive, à la suite de ses ancêtres, un unique cépage rouge: l'auxerrois. Oui, parce que comme tout le monde ici (et comme tous les vieux bouquins), il en connait d'abord ce nom: auxerrois.


Une légende non vérifiée, commerciale disent certains, prétend que l'origine du terme provient d'une des serres, ces coteaux calcaires qui surplombent Cahors et qui sont le fief de ce cépage, là où il exprime pleinement ses qualités: la Haute Serre. "Haut-serrois", par un phénomène de paronymie, serait devenu "auxerrois". Rien à voir pourtant avec la préfecture de l'Yonne.


L'auxerrois, c'est donc ainsi que, depuis des siècles, l'on désigne le côt noir (son nom scientifique) sur sa terre natale**, à Cahors. Mais il arrive aussi, à Bordeaux ou en Argentine, depuis la fin XIXe, qu'on le surnomme malbec, voire, plus rarement, pressac dans le Libournais. Sur tous ces points, les ampélographes officiels sont formels (au fait, vous avez commandé votre Galet?), tout comme ils recensent près de quatre cents noms subalternes, locaux, pour ce grand cépage. 


Notre jeune vigneron, donc, tout fier de produire sur son terroir de prédilection, le causse, un pur auxerrois, entend le marquer sur l'étiquette de son vin de soif, un vin de pays du Lot. Et là, commencent les problèmes. "Impossible lui explique l'administration tatillonne, ce n'est pas légal!" Côt ou malbec, passe encore, mais l'auxerrois ne figure pas dans les textes. De fait, comme synonyme de côt noir sur le décret de l'AOC Cahors ne figure que le bordelais malbec. Idem en IGP Côtes-du-Lot où seul le côt est valide. Interdiction absolue, donc, de marquer le vrai nom du cépage sur l'étiquette, l'auxerrois, enfant du Quercy est interdit de séjour sur son propre sol. Le vigneron, têtu et malin, a toutefois trouvé une solution humoristique à cette situation ubuesque. Auxerrois, il en a fait à un rébus (celui qui figure en haut de page): "Aulx-R'-Oie". Bien joué!  
Cela étant, au delà de cette anecdote et du pied-de-nez, quand on voit les saletés qu'on nous donne parfois à boire, je me demande, s'il n'y aurait pas des façons plus utiles d'occuper l'administration…




* Je vous parlerai bientôt de lui, je me suis régalé de ses vins et nous sommes "en compte".
** Il est le chef de file de la famille des cotoïdes, originaire du Sud-Ouest, où figurent également le tannat et la négrette. Son père est le prunelard gaillacois, sauvé par la famille Plageoles, sa mère, la magdeleine noire des Charentes


Commentaires

  1. Un état qui fait la catin, une souillon en grand apparat,
    Avec sa traîne portée haut et son âme dans le ruisseau.

    Cyril Tourneur, The Revengeur's Tragaedie


    Olivier de Moor

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  2. Il aurait pu aussi l'appeler "Ô ces rois..." dans un mouvement shakespearien...;-)

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