Vive le mariage !


Là, je sais que je me prépare un joli cochon dans le maïs à la maison! Madame ne veut pas entendre parler des accords mets-vins. Remarquez, je la comprends un peu. En Espagne où à force de théoriser la dégustation magistrale on en a oublié l'envie de boire (singulièrement en Catalogne moléculaire), la mise en équation du mariage entre ce que l'on mange et ce que l'on boit est devenue permanente. C'est ainsi que les fumeuses spéculations du Québécois François Chartier, fondées principalement sur des jus et une cuisine chimico-technologiques ont connu un grand succès dans le Mondovino local. Ou que l'on organise de grandes séances de branlette collective où l'on associe musique, peinture, sculpture au pinard. "Maridaje, maridatje", l'antienne de ceux qui n'ont rien à dire et qui veulent jouer les pros…


Pourtant, le mariage a du bon. Tenez, pas plus tard qu'hier, au dîner. Le vin* arrive dans le verre. Du rouge. Premier nez inquiétant, ça sent l'esthéticienne (vernis à ongles + dissolvant); ça ne s'arrange pas à l'agitation, au contraire. Bouche dure, âcre, verte où l'on peine à dénicher le fruit; ça patine, colle au palais. 
Et voici le plat, poulet au cèpes, cèpes secs évidemment, en cocotte, sauce crémée, une pointe de cognac (L'Âge des Épices, un peu doucereux, celui qu'on du mal à boire). Immédiatement, le vin se décontracte. 


Bon, il n'y a pas de magie. Je ne dis pas que le plat transmute ce vin somme toute assez moyen en une bombinette de plaisir, on ne va pas se relever la nuit pour en boire, mais il perd son côté grenache pas mûr. Et il devient tout autre, plus aimable, rafraîchissant en tout cas sur la sauce crémée, presque avec des accents de trousseau ou de pinot décadent. Alors qu'il aurait par exemple été parfaitement catastrophique (je vous mets mon billet) sur une entrecôte saignante. Laquelle aurait sauvé un autre cru, plus conventionnel, mais massacré par le bois. Etc, etc…
Bref, vive le mariage** ! Même si ça ne doit pas devenir une religion…




* Le vin en question s'appelle El Bandito, une star mondiale dans les milieux branchés. Il s'agit d'un grenache sud-africain cultivé au nord du Cap, à Malmesbury, dans le Swartland. Craig Hawkins (disciple d'Eben Sadie qui a aussi travaillé pour Tom Lubbe à Matassa et Dirk Nieeport au Portugal)  le vinifie avec rafles, en vendange entière, en muids, sans ajout de SO2.
À noter que sur le même plat, nous avons pris un grand plaisir avec un autre vin, Flow, vinifié par Fredi Fresquito Torres en Empordà.
** Au cas par cas, évidemment. L'accord mets-vins  supporte mal les généralités, c'est tel plat fait de telle manière avec tel vin élaboré de telle façon. Finie l'époque des accords à l'emporte pièce, ces deux pages à la fin des bouquins de cuisine où l'on estimait, par exemple, que tous les cochons avaient la même saveur, et tous les beaujolais la même typicité.

Commentaires

  1. "la mise en équation du mariage entre ce que l'on mange et ce que l'on boit est devenue permanente"
    Je ne pense pas que ça touche tout le monde, loin de là, mais ça semble malgré tout un objectif noble non?
    Pour ce qui est de François Chartier, ses théories ne sont pas si fumeuses malgré tout, bien qu'il soit effectivement acoquiné avec les déstructureurs en tout genre... Mais il se base sur des recherches sérieuses et n'avance pas de connerie. Par contre, la grande faille de son approche selon moi, c'est de ne tenir compte que des arômes et non du toucher du vin, de ses saveurs. En ce sens il s'approche encore plus du moléculaire, pour qui seuls les arômes compte au détriment de la mâche entre autres.
    D'ailleurs dans votre cas vous parlez justement de l'accord sur les structures et saveurs plutôt que sur les arômes, parce que je ne vois pas comment le dissolvant à ongle peut s'accorder avec quoi que ce soit... vous prenez le parfait contre-pied de Chartier... Il y a de quoi jurer...
    Par contre force est de constater que dans le cas de votre vin vous ingérez de l'acétate d'éthyle (certes en concentration infime), et même si le vin est vinifié de la plus simple et naturelle des manières, même les sorciers de la cuisine moléculaire (je ne suis pas adepte) n'utilise pas ce genre de molécules guère recommandables pour la santé... Et pourtant dieu sait que l'acétate d'éthyle, quand il est là mais imperceptible, exalte les arômes d'un vin...
    En conclusion je comprends et partage votre réticence voire haine de cette cuisine déstructurante, mais vive la compréhension moléculaire de la cuisine qui permet quand même d'avancer et d'extraire un maximum d'arômes avec les ingrédients "classiques", de maîtriser au mieux les cuissons. Parce que les cuisiniers qui avancent encore en 2015 que saler une entrecôte avant cuisson va faire sortir son eau ont aussi à se remettre en question!
    NicoJ

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    1. Là où les théories de "sommellerie moléculaire" de François Chartier sont fumeuses c'est qu'elle prennent comme axiome que les vins et les aliments sont des produits stables chimiquement et gustativement. Cela n'est possible que dans un univers parfait comme dont ses amis cuistots font la promotion, un univers industriel, où tout est stabilisé, normalisé, mort.
      Pour le haine, ce n'est pas de haine dont il s'agit mais simplement d'une prise de conscience du fait que cette pseudo-cuisine, cette panoplie de gadgets n'est là que comme un cheval de Troie des multinationales de la malbouffe (cf. les deux articles de chercheurs que je citais récemment à propos du 'Davos de la gastronomie'). La désintégration du terroir, de l'artisanal, du paysan n'est pas une fin en soi. Il s'agit juste de détruire un référentiel gênant à la globalisation, à la normalisation du goût.
      Enfin, concernant ce vin un peu tordu, vu le dosage, je crois que je ne devrais pas avoir mal. Je n'ai en tout cas pas vomi, contrairement à ma dernière visite chez Adrià où j'ai du courir jusqu'aux toilettes.

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    2. Ok.... La cuisine induit des réactions chimiques, donc forcément on ne retrouve pas les molécules du produit intactes. Prenons la caramélisation, il y a des réactions de Maillard (entre sucres et protéines) qui produisent les notes caramélisées (autant dans les desserts que dans la viande) relativement, voire très, stables. Pour ce qui est du vin, les notes aromatiques évoluent forcément avec le temps, mais pas dans les exemples relativement "simples" pris par Chartier commes les thiols dans le Sauvignon blanc, les pyrazines dans les Cabernet Sauvignon et Merlot, le geraniol et cis-rose oxyde dans les Gewürzt ou encore toutes les notes phénoliques des vins barriqués. Donc il y a toute une gamme de molécules stables malgré tout à un moment donné. Personnellement l'univers dans lequel Chartier a pris son essor me dérange bien plus que sa théorie. Ne pas confondre la connaissance avec son utilisation sournoise et débilisante.
      Je partage absolument votre deuxième paragraphe! Sauf le mot terroir mais c'est une autre discussion...
      Pour ce qui est du vin, le fait de vomir n'est en rien un indicateur... La chimie est bien plus sournoise qu'une réaction pragmatique immédiate et les méfaits sont à long terme. Je n'accuse en rien ce vin, tant cette note olfactive est commune, mais je veux simplement dire que si un plat avait un goût de dissolvant à ongles chez Adrià vous crieriez au scandale. Ce qui fait vomir chez lui ce sont les épaississants et agents texturants.... comme dans les soupes en poudre industrielles, mais à des doses tellement supérieures...
      NicoJ

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    3. C'est bien avant la cuisson que ça se passe. Au niveau de la matière première. Quoi de commun, chimiquement et gustativement, entre les arômes de formol d'une tomate en plastique, hydroponique, défendue par les chefs monsantistes et métronomes, issue de semences inertes, et l'authentique, ce fruit puissant, cueilli au moment dans un potager artisanal? Et encore, dans ce même potager, quel écart entre une Cornue des Andes, une Noire de Crimée et une Green Zebra (pour rester dans des variétés communes) née de graines non manipulées? De tout cala, Chartier, comme son maître Adrià dans son encyclopédie fantoche, en fait l'économie: une tomate = une tomate, point. Ses vins sont du même tonneau, industriels, simples, simplets.

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    4. Pour ce qui est d'Adrià, des Adrià, si seulement leur cuisine sentait un peu le vernis à ongles, ça la rendrait sinon sexy au moins un peu vivante…

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    5. On est d'accord. Sa vision est caricaturale. Mais je vous promets que la différence entre une Cornue des Andes, une Noire de Crimée, une Green Zebra, une Ananas K, une Rose de Berne (http://www.lafermedespralies.ch/), est chimiquement infime d'un point de vue chimique mais fort marquée d'un point de vue gustatif.
      D'accord aussi pour les vins, d'ailleurs il participe à l'émergence des vins de cépage, niant toute provenance géographique.
      Vraiment je pense qu'on est d'accord, je mets juste des bémols dans la forme... Ne tombons pas dans la même caricature qu'eux en voulant les combattre...
      NicoJ

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    6. Je ne combats pas, je précise…
      ;-)

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    7. Musique, peinture... tu oublies le cigare qui se marie "divinement" avec le vin, champagne, Banyuls et porto compris. Mais il est vrai que dans mon inconscient, lorsque je goûte un vin et que je l'apprécie, je ne peux m'empêcher de lui trouver 36 mariages possibles. Tiens, la cuvée de la solidarité (Aude, vinifiée par Édouard Fortin) d'hier soir : si seulement j'avais un petit lapin de garennes rôti et arrosé au jus de thym, de laurier et d'ail... eh, bien j'en ouvrirais une autre bouteille illico ! Si c'est ça de la branlette, alors, je me damne...

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  2. Comme quoi le principe de la dégustation (et ceux de la comparaison, du classement, de la notation...) c'est un peu con quand même. Le vin c'est fait pour être bu, seul ou accompagné...

    Tom B.

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