Japonais gai.
Non, ce n'est pas pour le plaisir de vous faire des jeux de mots à deux balles, des blagues de Carambar ou des calembours tendance Almanach Vermot. D'ailleurs, qui connait encore l'Almanach Vermot? Peu importe, on s'en tape en plus! La brocante des souvenirs sublimés, la camelote du passé est charmante jusqu'au jour où elle devient envahissante. Ce jour-là s'appelle le début de la vieillesse.
Là, c'est du vivant, pas du larmoyant ou du tirage sur l'élastique, du vivant avec son tumulte, ses enfants qui braillent. Can Kenji, pensez-y amis touristes* même si ce n'est pas très couleur locale, c'est à Barcelone, à deux pas de cette Sagrada Familia que je n'ai pas visitée depuis des années. Rosselló con Bailén, exactement, au pied d'un immeuble entre deux âges, pas très gai justement.
Can Kenji, "chez Kenji", en dialecte catalan, ce n'est pas le restaurant japonais coincé du cul. On appelle ça une izakaya, un bistrot, une taverne, le chef y est donc davantage préoccupé par le goût que par l'apparence. Pas de dress code ni de mines surjouées, l'étiquette du lieu n'impose pas non plus de prendre un air extatique quand arrive son plat. Pas plus qu'on ne vous fait le coup du quart de petit pois au milieu d'une grande assiette vide. Ici, on se nourrit, on mange à sa faim, ce qui n'exclut pas (contrairement à ce que veulent faire accroire certains usages tafiolesques et foodistes) une certaine distinction.
いただきます, Kenji! Mettons-nous à table.
いただきます, Kenji! Mettons-nous à table.
Agaçons-nous par exemple avec cette salade de saurel cru, avec ce sashimi de toro merveilleusement fondant. Puis passons aux choses sérieuses avec le gunkan d'oursin, de hérisson de mer comme on dit joliment en espagnol, cavalons vers le parfait tataki de cheval (décidément, c'est la saison des équidés…), fusionnons avec les albondigas de langoustines et shiitake (baignant dans un jus divin que j'ai bu à même le bol comme le gros dégueulasse que je suis), casse-croûtons du maquereau mariné au saké doux envoyé à la planxa, suçotons les udons à la seiche et aux tellines, croustillons les tempuras de légumes et de champignons, engloutissons cochonnement le secreto ibérique au choux fermenté.
Beaucoup de rythme dans tout ça, voilà finalement un des meilleurs bars à tapas de Barcelone. Je ne plaisante qu'à moitié. Vous me direz que de défilé d'arômes, ce mar i muntanya permanent ne facilite pas la tâche du vin, et du sommelier. L'idéal, c'est de jongler avec deux verres et deux bouteilles, un blanc et un rouge. La pétulante Shoko Oki (découverte à Gresca et dont nous saluions au passage la dernière journée à Can Kenji**), nous a mis sur table deux vieilles connaissances de l'Ouest espagnol.
Vous vous voulez en savoir plus? Uno, un gentil txakoli de l'intérieur, d'Alava, plus vif que techno-pop, pas la version pour vacanciers, celle qui tariquette, plus quelque chose dans l'esprit "muscadet basque" et dont seule la beauté du port de Getaria peut vous guérir. Et, en parallèle, Akilia, ce chouette bierzo juteux que vous avez rencontré ici. Treize euros le blanc, dix-sept le rouge; trente euros en tout, c'est à peine le prix d'une seule bouteille correcte à Paris…
Bon, on y retourne quand au Japonais gai?
* J'en profite pour vous repassez le lien de mon mini-guide des restaurants de Barcelone qui répond finalement mieux que moi aux demandes de bonnes adresses que beaucoup me soumettent durant les périodes de vacances.
** Shoko, débauchée par ma moitié, rejoint dès lundi l'équipe des sommeliers de Monvínic.
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