Le vin bio a-t-il bon goût ?
Même si la crise l'a peut-être un peu ralentie, le bio poursuit incontestablement sa percée en France. Les derniers chiffres, publiés à l'occasion du Salon de l'Agriculture, sont formels: avec 5,5% de ses surfaces agricoles et 1,1 millions d'hectares cultivés de cette manière, la France a dépassé l'Allemagne et devient la troisième surface bio d'Europe, derrière l'Espagne et l'Italie. Même engouement chez les consommateurs puisque le marché a atteint cinq milliards d'euros en 2014, soit une hausse de 10% par rapport à 2013. Le président de l'Agence Bio, Étienne Gagneron espère même voir "d'ici trois ou quatre ans" la France dépasser l'Italie (1,3 millions d'hectares) pour aller chatouiller l'Espagne et ses 1,6 millions d'hectares convertis*. De bonnes nouvelles, donc, rien qui ne mérite que l'on fasse la fine bouche.
Mais si la conversion de notre agriculture à quelque chose de plus propre, de plus sain, apparaît comme nécessaire et inéluctable d'un point de vue moral et politique, se pose pour le consommateur hédoniste une vraie question: le bio rend-il meilleur ce que nous mangeons et buvons?
Prenons pour le coup l'exemple du vin**, où les comparaisons techniques sont plus faciles à établir. Et posons-nous la question de savoir si cette pratique agricole (et désormais œnologique) influence le produit final. Et si oui, en mieux?
Pour certains, le doute ne semble pas permis. Ainsi, en Aquitaine, Hubert de Boüard, le propriétaire du Château Angélus mais également président du comité régional de l'INAO***. Au détour d'une interview publiée la semaine dernière par The Drink Business, il affirme sans ambages "qu'on ne fait pas de meilleur vin en étant bio". Ne crions pas haro sur le baudet. Même s'il est souvent facile de lui faire jouer le rôle du méchant du Mondovino, Hubert de Boüard ne nous sort finalement là qu'un des grands classiques de la pensée technique de la fin du XXe siècle. Pas besoin de grand château ni d'être à Bordeaux pour entendre ce discours de défiance. J'ai entendu pratiquement la même chose dans les Corbières, à Castelmaure quand je suggérais de tourner le dos à l'agriculture conventionnelle; je me souviens précisément de la phrase, incontestable d'un point de vue théorique, du directeur de la coopérative: "rien ne me prouve que le vin sera meilleur en bio".
On notera au passage que dans ces deux cas (comme dans des centaines d'autres), la question du bio ne se pose qu'en termes cyniques (c'est notre propos) d'amélioration ou pas du produit, pas de convictions. Les notions morales, politiques, environnementales, sanitaires**** ne sont pas prises en compte dans ce raisonnement qui se veut sinon scientifique au moins pragmatique, y compris sous l'angle de leurs éventuelles implications économiques futures.
Il me semble pourtant que la citadelle, jadis robuste, se fissure. Les données commerciales évoquées en préambule n'y sont certainement pas pour rien. J'ai été ainsi frappé par les mots de Michel Bettane dans le dernier numéro de Terre de Vins. En contradiction avec le discours des conventionnels, des chimiques comme ils sont parfois surnommés, le critique apporte de l'eau au moulin des défenseurs du bio. Sur le terrain du goût, de l'amélioration qualitative du produit final. "C'est très clair, tranche Michel Bettane. Dès la deuxième année, les vins blancs acquièrent de l'énergie et de la pureté. Pour les vins rouges, ça va dans le même sens, mais sur un temps plus long".
Aujourd'hui, par notre expérience, nos dégustations dans le temps, nous sommes effectivement nombreux à penser qu'au delà de toute autre considération, aussi nobles soit-elle, à terroir égal, le vin bio, ou en tout cas le vin propre, issu d'un sol non matraqué, surpasse le conventionnel. Une fois, tous les vignerons le confirment, que la plante a retrouvé ses équilibres. Et que celui qui la travaille, lui aussi, a compris sa nouvelle façon de fonctionner.
J'ai eu la chance de refaire ce test tout à fait empirique il y a quelque temps, avec un bordeaux, justement, un haut-médoc. On ne saurait trop conseiller au président du comité régional d'Aquitaine de l'INAO d'aller visiter ce domaine, verre en main: le Château Cornélie, de Patrick Grisard, à Saint-Sauveur. La verticale inversée à laquelle j'ai eu droit, de 2012 à 2005 m'a permis d'illustrer une fois encore le processus décrit plus haut.
Cette propriété, démarrée en 2004, est depuis travaillée sans chimie de synthèse ni herbicides, et il me semble, en suivant les millésimes, que l'on constate une amélioration qualitative quasi-constante, comme si à Cornélie l'histoire avait un sens. Les esprits chagrins estimeront que ces progrès sont dus à ceux du vigneron, de son œnologue, ou de son tonnelier. Pourquoi pas? En partie peut-être. Mais les vins gagnent en précision, profonds, sans exubérance inutile, ils sont plus déliés, plus éclatants. Jusqu'à cet étonnant 2012, qui pète de fruits rouges, comme un rayon de soleil dans un millésime qui n'a pas été facile en Médoc, allant presque, par sa tension, sa belle acidité, chercher des noises à l'excellent 2010. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à constater cette réussite, le critique Jacques Dupont, du Point, lui aussi l'a soulignée. Tandis que le suisse Jacques Perrin parle à propos de Cornélie d'une des meilleures affaires du Médoc.
Cet exemple (un de plus…) prouve-t-il le contraire de ce qu'avancent Hubert de Boüard et tant de viticulteurs "à l'ancienne"? Assurément pas. Il faudra du temps, du recul pour affirmer la probable supériorité organoleptique du vin bio. Personnellement, comme beaucoup, je n'en ai pas la preuve formelle, juste la conviction forte. J'ai même l'impression de le sentir à chaque verre, comme un animal qui boit. Instinctivement. Et si c'était ça, le bon goût?
Cette propriété, démarrée en 2004, est depuis travaillée sans chimie de synthèse ni herbicides, et il me semble, en suivant les millésimes, que l'on constate une amélioration qualitative quasi-constante, comme si à Cornélie l'histoire avait un sens. Les esprits chagrins estimeront que ces progrès sont dus à ceux du vigneron, de son œnologue, ou de son tonnelier. Pourquoi pas? En partie peut-être. Mais les vins gagnent en précision, profonds, sans exubérance inutile, ils sont plus déliés, plus éclatants. Jusqu'à cet étonnant 2012, qui pète de fruits rouges, comme un rayon de soleil dans un millésime qui n'a pas été facile en Médoc, allant presque, par sa tension, sa belle acidité, chercher des noises à l'excellent 2010. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à constater cette réussite, le critique Jacques Dupont, du Point, lui aussi l'a soulignée. Tandis que le suisse Jacques Perrin parle à propos de Cornélie d'une des meilleures affaires du Médoc.
Cet exemple (un de plus…) prouve-t-il le contraire de ce qu'avancent Hubert de Boüard et tant de viticulteurs "à l'ancienne"? Assurément pas. Il faudra du temps, du recul pour affirmer la probable supériorité organoleptique du vin bio. Personnellement, comme beaucoup, je n'en ai pas la preuve formelle, juste la conviction forte. J'ai même l'impression de le sentir à chaque verre, comme un animal qui boit. Instinctivement. Et si c'était ça, le bon goût?
* Dont 600000 hectares d'oliviers explique-t-on à l'Agence Bio, une culture plus facile à convertir.
** 8,5% du vignoble français est certifié en bio, ce qui est mieux que la moyenne agricole nationale. En Europe, la France est deuxième en pourcentage de surfaces, derrière l'Autriche et devant l'Espagne puis l'Italie; notre continent représente d'ailleurs 70% du vignoble bio mondial. Quant au marché du vin bio hexagonal, il a plus que doublé en dix ans.
*** L'Institut National des Appellations d'Origine, chargé de défendre le terroir, etc…
**** À ce sujet, celui des risque sanitaires, principalement pour les salariés agricoles se tiendra le 5 mars à Bordeaux le procès Bibeyran.
Nous en parlions avec Pierre Larmandier cette semaine: il évoquait cette capacité de distinguer les vins issus de vignes en conventionnel, bio, et biodynamie.
RépondreSupprimerEt d'y retrouver sur ces dernières le plus de dynamisme, de vitalité, de vigueur.
Je souscris à cette conviction.