La main à la pâte.

Vous souvenez-vous du premier plat que vous avez confectionné? Moi, c'étaient des crêpes. Dans la cuisine de ma grand-mère maternelle, en Franche-Comté. Comme je n'arrivais pas à hauteur de la table, j'avais un atelier à ma taille, un ancien coffre à bûches recouvert de vichy rouge et blanc. Il fallait tamiser la farine afin d'éviter les grumeaux et la mettre dans une grande écuelle de faïence. Sur ses bords, les œufs se cassaient net. Le lait sentait fort à l'époque, la bière dégageait une amertume qui m'impressionnait. On ne sucrait jamais la pâte et on n'oubliait pas la pincée de sel. Pour la cuisson, je grimpait sur une chaise de cuisine, des Baumann, je crois, en hêtre blond. Pour la poêle, une variante me plaisait bien, héritée de l'autre bout de la France, de l'Ariège: graisser la poêle au lard gras.

Je crois que je fais toujours les crêpes de la même façon. Et que je les aime comme ça. Un jour, une lectrice de Elle ou de Marie-Claire a essayé de me faire à la place des pancakes, vous savez ces "crêpes à cochon" bien lourdingues qu'on tente de vous fourguer à l'hôtel, bien épaisses, bien lourdingues, farineuses, avec de la levure chimique. Elle n'a pas insisté. Et je vous fais grâce des dernières conneries à la mode chez les "complotistes de l'alimentation", genre les crêpes sans gluten et sans lait…

Mes crêpes, fines, virevoltantes, je m'en régale parfois salées, avec une vraie saucisse de Strasbourg, ou une belle laitue à la vinaigrette moutardée, ou du comté râpé. Et sucrées, évidemment. Avec une goutte de citron ou d'orange, la vieille bouteille de Grand-Marnier des familles, de la compte de pomme, Suzette, parfois. Pour cette Chandeleur 2015, c'est la confiture qui l'a emporté. La mirabelle de ma belle-mère. Je connais l'arbre, les arbres en fait dont celui, ployant sous les fruits, du vieux père Régis à l'autre bout du village, près de sa remise où il pend les oignons. Millésime 2012, grande année pour la mirabelle! Moi qui ne mange jamais de confiture, j'ai presque vidé le pot…