Les demoiselles du bordel d'Avignon.


Les rues des vieilles villes sont pleines de rencontres. En chair et en os, mais aussi virtuelles, dans d'autres espaces-temps. Barcelone, port et métropole cosmopolite, n'échappe pas à la règle. Chaque mètre carré de ses murs anciens raconte une histoire, un moment, un homme. 


Ainsi  la carrer d'Avinyó, la rue dans laquelle nous dormons actuellement, dans un atelier de peintre*, entre la mairie et les ramblas, au cœur du Barrio Gótico. Y a germé l'idée d'un tableau qui a changé le cours de l'histoire de la peinture à l'aube du XXe siècle.


Tout s'est passé derrière cette lourde porte, au premier étage, très exactement au "principal" comme on dit en Espagne. Était installé à cet endroit un des bordels les plus florissants de la capitale catalane, Ca la Mercé, Chez Madame Mercé**. Et ce bordel, il semble bien que Picasso, encore jeune homme, l'ait fréquenté, tout comme celui du numéro vingt-six de la même rue. 


Les deux établissements ne sont d'ailleurs qu'à quelques pas du domicile familial (Carrer de la Mercé, 3) et de l'atelier que l'émigré andalou partage avec Manuel Pallares, carrer de la Plata***. C'est d'ailleurs ce même Pallares qui l'aurait initié, précocement, à la fréquentation des bordels du quartier. Les deux artistes fréquentent également, un peu plus haut, au trois de la carrer de la Montsió, la taverne Els Quatre Gats (qui existe toujours) dont Picasso peindra le menu.


Mais revenons à notre carrer d'Avinyó, au principal du numéro quarante-quatre, chez Madame Mercé. Nous sommes loin du Vaucluse, du Palais des Papes et du célèbre pont. Une petite ville de Catalogne, dans le Bages entre Vic et Manresa, s'appelle d'ailleurs elle aussi Avignon, Avinyó en catalan. 


Revenons-en à mes voisines, les demoiselles du numéro 44 de la carrer d'Avinyó, Vous l'avez compris, c'est à elles que l'on doit ce tableau non pas conçu à Paris (où Picasso vivait en partie) mais en Espagne****, en souvenir d'une nuit au bordel.
Cela étant, ce n'est pas tant son sujet, les prostituées syphilitiques de Madame Mercé, que son style, inspiré aussi par la dureté de la sculpture religieuse catalane, qui a scandalisé le monde la peinture en 1907. Braque, Matisse, Derain et Apollinaire virent Les demoiselles d'Avignon comme "un acte de terrorisme", une révolution dont les prostituées du Barrio Gótico étaient sûrement loin de se douter. Comme elles ne pouvaient pas se douter qu'elles seraient un jour exposées à Nueva-York, au MoMA.




* Je vous parle bientôt, promis.
** Un bistrot, au numéro trente-neuf de la même rue d'Avinyó porte toujours ce nom, Ca la Mercé.
*** Vous trouverez au bout de ce lien un itinéraire assez complet de Picasso dans son quartier de Barcelone, là où il s'initia à l'art.
**** Ses biographes estiment que c'est durant l'été 1906 que Picasso, en vacances à Gósol, entre Berga et l'Andorre, eut l'idée de ce radical changement de style et donc de cette toile dont il aurait fait une centaine d'esquisses.






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