Quand la France pinardière pédale dans la choucroute.


Il est assez édifiant, consternant aussi, de voir les commentaires, souvent désinformés, que génère la prétendue affaire du vin chilien du Tour de France. Des commentaires de comptoir, évidemment, dans la veine des "fusées qui nous détraquent le temps" mais malheureusement aussi des réactions plus officielles venues de milieux qui ne peuvent ignorer la réalité de la situation.
Et rappelons-la, cette réalité! 
D'abord, comme je l'écrivais la semaine dernière, le fait que l'entreprise Cono Sur (au même titre que les montres suisses ou andorranes Tissot ou Festina, que les voitures tchèques Skoda, que le saucisson mexicano-chinois Cochonou*) fasse partie des annonceurs du Tour de France remonte à 2014! Visiblement, chez ceux qui sont subitement pris d'une colère noire, l'information a mis du temps pour trouver le cerveau. 


Ensuite, comme les années précédentes, les bouteilles de la cuvée Bicicleta, on ne les verra que pendant le parcours étranger de la grande Boucle, la loi Évin s'appliquant à toutes les entreprises vinicoles, françaises, chiliennes, javanaises ou même martiennes. En 2014, par exemple, c'est sur les routes du Yorkshire, lors de la seconde étape entre York et Sheffield, qu'ont été prises les différentes photos de la caravane publicitaire publiées récemment (ci-dessus). Il n'est pas question, et légalement impossible, que les bouteilles de Cono Sur se baladent sur les routes hexagonales, ceux qui propagent cette information sont juste de gros menteurs. Ou des crétins.


Mais en matière de surenchère populiste, le courrier très officiel que l'on m'a envoyé samedi vaut son pesant de cacahuètes. Il est signé de huit députés de l'Hérault en tête desquels le président (cumulard) du Conseil départemental, Kléber Mesquida et s'adresse au ministre de l'Agriculture. Je n'ai pas tout compris à la syntaxe de fin de repas de cette missive un peu embrouillée, mais on y reprend les arguments des viticulteurs audois, en jouant, comme il se doit, sur l'image de ce vin ennemi qui va souiller les routes de la patrie humiliée. Au passage, j'ai adoré cette phrase hallucinante, "les syndicats de vignerons qui n'ont pas été prévenus sont très en colère". Mais franchement, mesdames et messieurs les députés, contentez-vous du bon vin de l'Hérault, arrêtez de fumer l'herbe des hauts-cantons, la Marlboro-qui-rigole vous monte à la tête! "Ils n'ont pas été prévenus"? Et à quel titre? Amaury Sport Organisation a "prévenu" Renault ou Peugeot de la signature d'un contrat publicitaire avec Skoda? Ils ont prévenu Hermès ou Cartier de la signature d'un contrat publicitaire avec Tissot ou Festina? Ils ont prévenu Hénaff ou même ce cher monsieur Grangeon de la signature d'un contrat publicitaire avec Cochonou? Hé oh, mesdames et messieurs les élus de la République, il faut revenir sur Terre! Vous voulez aussi que Jean-Étienne Amaury, le patron de ASO, envoie un SMS ou un recommandé avec accusé de réception aux adhérents des cinquante-six coopératives vinicoles de votre département quand il va pisser un coup?
Quant au pauvre Stéphane Le Foll, vous ne croyez pas qu'il n'a pas actuellement mieux à faire avec les différentes crises agricoles que de s'occuper de ces mesquineries populistes?


Au lieu de ce grand moment de démagogie qui nous rappelle que les prochaines élections législatives se tiendront dans un peu plus d'un an, ne vaudrait-il pas mieux, mesdames et messieurs les députés, expliquer la situation à vos administrés? Leur montrer qu'il faut voir un peu plus loin que le bout de son nez, que le marché du vin est mondial et que ceux d'entre eux qui en vivent ne pourraient le faire sans des échanges planétaires? Leur expliquer que justement il faut, avec fierté et esprit d'innovation, affronter cette concurrence? Relativiser cette pseudo-affaire en rappelant aux coopérateurs de votre région que le puissant groupe dont beaucoup dépendent (Le Val d'Orbieu, lire ici) vend lui même du vin sud-américain?
Outre le fait que cette polémique ridicule fait passer les vignerons languedociens (qui ne le méritent pas!) pour des ploucs, ne serait-il pas nécessaire de donner une autre image de la politique? Car sinon, il ne faudra pas pleurer quand, à trop avoir joué leur jeu, les vrais spécialiste du populisme et de la démagogie prendront le pouvoir en France.
Le vin est en France une des rares activités qui dopent la balance commerciale, la troisième après l'aéronautique et l'industrie des parfums. Grâce à des échanges planétaires qui doivent plus à d'habiles commerçants qu'à la pensée kolkhozienne. Nous sommes ainsi, en valeur, les premiers exportateurs de vin au Monde. N'a-t-on pas mieux à faire pour soutenir cette filière que de présenter à nos nombreux clients étrangers ce visage ringard, franchouillard, rabougri d'une nation repliée sur elle-même, xénophobe? Ne vaut-il pas mieux, plutôt que de montrer aux téléspectateurs étrangers, durant la retransmission du Tour de France des images de violence, de manifestation, de désordre, les laisser se régaler des paysages, viticoles notamment, de notre beau pays?
Mesdames et messieurs les députés, ressaisissez-vous, ressaisissons-nous. Arrêtez, arrêtons de pédaler dans la choucroute.



* Pour ceux qui l'ignoreraient encore, cette marque de saucisson industriel appartient, comme Justin Bridou, Aoste, Calixte, ou Jean Caby, au groupe Aoste, filiale de l'espagnol Campofrío Food Group, lui-même détenu par le groupe mexicain Sigma Alimentos et le groupe chinois WH Group.


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