Et si l'on parlait du vin 'nature' pas très 'naturel' ?


On ne va pas tourner autour du pot, je suis un peu agacé par la tournure que prend le débat sur l'éventuelle, future, certification du vin dit naturel. Beaucoup d'invectives, de mensonges éhontés, d'indignations militantes, ou commerçantes, ou les deux à la fois. Et cette sensation persistante que parmi les plus bruyants des intervenants, certains nous prennent pour des trou-du-culs, ou pour des cons, comme vous voulez.. 
Alors, parmi ceux qui combattent cette idée d'une labellisation du vin naturel, oui, il y a de vrais gentils, des rêveurs, des utopistes qui rêvent de ce monde sans lois ni règles, où l'on ne mentirait pas, d'une terre plus propre où règnerait la concorde entre les hommes. Si si, il y en a. 
Et puis, il y a les idiots utiles* (consciemment ou pas), ceux qui croient savoir, les stratèges de bistrot qui cherchent avant tout à faire croire qu'ils sont dans les petits papiers de ceux qui savent, qu'ils appartiennent au premier cercle. 
Enfin, et c'est le sujet de mon agacement, il y a les margoulins, les cyniques.


Car, bien évidemment, contrairement aux contes de fées délirants propagés par les attachés de com' synthétiques, les propagandistes sourcilleux et les zélotes salariés de la cause, l'univers du vin naturel, comme tout le Mondovino, compte ses margoulins, ses cyniques. Et s'ils montent aujourd'hui au créneau, ce n'est pas par bonté d'âme, par souci de pureté philosophique, c'est uniquement parce qu'ils sentent bien que si une telle réglementation était mise en place, elle mettrait en péril leur juteux business.
De quoi s'agit-il? De cette masse non négligeable de Vins de France (ex-Vins de Table) qui n'ont pas fuit le système des Appellations d'Origine parce qu'on les en chassait comme de pauvres renégats, parce qu'ils étaient "incompris", "victimes", "combattus". Si beaucoup sont partis, c'est pour des raisons moins avouables. Tout simplement parce que pour magouiller, cette catégorie des VdF est quand même infiniment plus pratique que les AOP et autres IGP. 
Peu ou pas de contrôles d'origine, des notions de rendement aléatoires, des tolérances œnologiques plus généreuses, nous voici au paradis de la "cuve à roulettes", des faux-papiers et de la bidouille, nous voilà, lâchons le mot, chez les négociants**. 


Certes, tous les négociants, qu'ils portent ou non des dreadlocks, qu'ils soient cools ou pas, du Beaujolais ou d'ailleurs, ne sont pas des margoulins. Mais vous vous imaginez si les vérificateurs de tel ou tel label nature, naturel, venaient mettre leur nez dans ce monde parallèle, souvent camouflé par de beaux discours ultra-verts, de belles embrassades et des étiquettes revendicatives? 
D'abord se poserait la question toute bête du bio. Parce que je vais vous dire, des raisins ou des jus vraiment bios, bruts, en vrac, ça ne court pas les rues, même avec un bon sourcing. Ce que l'on achète souvent (et surtout "au black"), ce sont des surplus de production de coopérateurs ou de viticulteurs qui font pisser la vigne, et qui pour ce faire ont plutôt la main lourde, très lourde sur les pesticides. Donc, rien que pour cette première raison, parce qu'ils ne sont pas bio (et même matraqués), ces vins-là (dont certaines marques en vogue), malgré leur bonne gueule, leur nez, leur goût "plus nature que nature"*** ne passeraient pas le cap de l'agrément. 


Vous imaginez qu'en prime, on les soumette à une analyse pharmacologique, qu'on découvre qu'ils sont chargés comme des coureurs cyclistes espagnols? Car, sans même passer par la case négoce, je vous passe tous les traitements pratiqués dans l'obscurité des caves pas ces margoulins et ces cyniques. Vous voulez par exemple qu'on parle des vins traités au lysozyme, cette enzyme interdite en bio et qui permet aussi efficacement que le SO2 de lutter contre la piqûre? Vous voulez qu'on contrôle les passages du "petit camion" comme on dit dans les campagnes, celui qui vient sauver la cuve dévorée par les bretts? Vous voulez qu'on parle de bentonite et d'acides interdits?
Tout cela bien sûr ne concerne que les tricheurs, mais ces tricheurs existent, sont influents même parfois, et n'ont aucun intérêt à ce qu'on vienne parler de bêtises modernes, l'origine, la traçabilité, les contrôles, les analyses. D'où les rideaux de fumée destinés à protéger leur vin nature pas très naturel.


Pourtant, je persiste à penser que pour que le vin actuellement qualifié de "naturel" puisse se développer, sortir d'un microcosme à forte consanguinité où l'entre-soi et parfois l'omerta sont de rigueur, il faut qu'il se donne les moyens de prouver sa qualité. Et ça, aux yeux du grand public, ça passe notamment par des signes officiels de reconnaissance, par une crédibilité et de la transparence.
Bref, en bordant bien la démarche, en se méfiant de l'INAO et de son cocktail explosif de fonctionnariat et de politique, il faut avancer, construire**** cette reconnaissance de vins différents, exprimant leur propre musique et dons nous sommes nombreux à nous régaler souvent. Il faut le faire pour les vignerons honnêtes, sincères, engagés dans cette voie. Je me place de leur côté, mais surtout de celui du consommateur, ce cochon de payant qui aimerait qu'on en finisse avec l'hypocrisie.




** Ou des vignerons qui mélangent leur vignoble à du négoce.
*** Une macération carbonique bien lourde, une dose de volatile et une pincée de bretts, "ça va faire un malheur à Paris, coco!"
**** Pourquoi pas en s'inspirant de l'exemple américain comme je le l'écrivais ici.


Commentaires

  1. On trouve peu d'informations sur l'enzyme lysozyme et son interdiction en "bio".
    On dirait presque que le sujet est tabou...

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    1. C'est comme la flash-pasteurisation et d'autres trucs, un peu comme un secret de famille. Mais là, celui qu'on encule, ce n'est pas le petit-cousin, mais le consommateur.

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    2. le chlorydrate de lysozyme c'est tout simplement du blanc d'oeuf

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    3. Allons, allons, nous parlons de cette poudre-là (qu'on a bien aimé en Ardèche notamment) et qui est interdite en bio:
      http://www.viticulture-oenologie-formation.fr/vitioenoformlycee/pdtoenotsvo2-2006-2007/lysozyme.html

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    4. En voici un peu plus: http://www.vignevin.com/pratiques-oeno/rouge.php?etape=&operation=9&onglet=Utilisation

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