Le vin qui rend daltonien.
Le fond de l'air est plutôt chaud. Étonnamment chaud pour un mois de février. Par delà le bastingage rongé de sel de la terrasse, l'eau de la Méditerranée brouille la lumière sur les toits de Barcelone.
Soleil et brume, il faut manger du poisson.
Et penser à des mers plus fraîches, à l'Océan atlantique.
Pourquoi pas un vinho-verde, pieds nus sur le sol de ciment tiède ?
Le vinho-verde, le "nouveau" vinho verde, je vous en ai déjà parlé ici. Rien à voir avec les terribles tord-boyaux dont les carreleurs portugais remplissaient à ras-bord le coffre de leur Merco d'occasion, à concurrence avec des chouriços fumés, gorgés de vin, d'ail et d'un piment mille fois plus odorant que brûlant.
Vinho-verde, "vin vert", mais saviez-vous que ce vert n'était pas une couleur*? Le vert du vinho verde, plus qu'une teinte, c'est une sensation. De verdeur à l'époque des carreleurs en Merco d'occasion, de jeunesse** et de fraîcheur quand tout va bien. Une fraîcheur qui se décline en blanc mais aussi, on le sait moins, en rouge.
Ici, donc nous voici face à la version rutilante du vinho-verde de l'architecte-vigneron Vasco Croft qui contredit pas mal d'idées reçues sur les vins du nord-ouest du Portugal. Produit sur du granit, au bord du fleuve Lima à partir de vinhão, ce cépage autrement appelé sousao de l'autre côté de la frontière, en Galice. Un cépage haut en couleur, teinturier, un peu rugueux sur les bords, et très acide. Traditionnellement, on le boit dans des bols de terre cuite, sur de la morue ou même de la lamproie, grande spécialité de cette terre atlantique, objet de fêtes et de concours, plus encore peut-être qu'en Gironde.
Ne vous imaginez pas boire ce rouge assez sombre sur une côte de bœuf ou un gigot, vous voilà face à un rouge de poisson ou de charcuterie, à un rouge-blanc. Tout est ici parle de vivacité, d'humus humide, frais. De langues aux consonnes mouillés***.
Nul doute qu'à l'aveugle, vraiment à l'aveugle, avec un bandeau sur les yeux, nous serions nombreux à nous mélanger les couleurs, à devenir daltoniens.
* Vinho verde est en fait une appellation, principalement consacrée au blanc (beaucoup d'albariño), qui consacre un terroir et un style, opposé d'une certaine façon au style capiteux des vins de Porto. Une immense appellation, la plus vaste du Portugal avec trente-quatre mille hectares et une multitude de domaines, souvent artisanaux et minuscules.
** Là encore, méfions-nous des idées reçues. Oui, le vinho verde est a priori fait pour être bu jeune, dans l'année qui suit sa mise en bouteille. A priori, mais pas tout le temps comme le prouvait le blanc 2012 bu à la même occasion. Vasco Croft a même promis de faire goûter les 2010 et 2009 de son Aphros Ten lors du prochain salon des vins portugais, Simplesmente Vinho, qui se tient les 5 et 6 mars à Barcelone.
*** Tenez, je vous en offre quelques minutes, sublimes, avec Misia, sa voix et sa peau transparentes.
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