Manger l'Océan andalou dans un Chinois barcelonais.


"Et si, pour changer, on se tapait un petit Chinois?" En plus, ça tombe bien, en pleines festivités du Nouvel An, alors que s'ouvre l'Année du Singe. Direction, donc, le Paseo de Gracia. "Bonjour monsieur le voiturier, ça gaze aujourd'hui?" Chinois chic, donc qu'on repère à ses vitrines Tiffany's et Brioni, tandis que les fantasmatiques aiguilles un rien vulgaires de Manolo nous attendent en haut de la rampe dans le lobby. 


Le Mandarin Oriental, ça a beau être une chaîne, ça reste un palace. Même à Barcelone où l'on croise parfois des Américains en short. Caché derrière sa façade grisâtre, le lieu a incontestablement de la gueule. Belle architecture, personnel tiré à quatre épingles (ah, les robes-fuseau fendues/boutonnées jusqu'à la hanche…), le temps et son cousin l'argent y coulent avec aisance et volupté.
Reste que si j'aime les hôtels, je déteste y manger. On y sert généralement un concentré de cuisine internationale. Internationale, vous le savez, c'est le mot poli pour fade. Il ne faut pas choquer les palais fatigués des vieux riches.


Mais ici, au Mandarin du Paseo de Gracia, j'ai un bon souvenir, c'était du temps du pauvre Jean-Luc Figueras, il nous avait servi un exquis mélange de catalanité et de chinoiseries. Et on avait bien bu en plus, je me souviens d'un Fonsalette au mieux de sa forme. Jean-Luc Figueras et sa cuisine instinctive nous ont quittés, mais la salle de ce qui s'appelait le Blanc, le restaurant économique de l'hôtel, n'a pas changé. De l'espace, du volume, de la lumière.


Pour la cuisine, c'est une autre paire de manches. Ángel León (ci-dessus) a pris les commandes de ce qui est devenu le Bistr'Eau. Ángel León, on ne le connaît pas nécessairement en dehors de l'Espagne, c'est pourtant un chef populaire. Il a fait ce que je n'aime pas trop, de la télé, pire, Top Chef ou une merde du genre, là où les chefs ne sont que les hommes-sandwich de la malbouffe et de son vecteur le pousse-caddie; il y était juré m'a-t-on dit. Puis, il a bifurqué vers des émissions qui exigent un QI supérieur à celui de l'huître, sur la 2, "l'Arte " espagnol (toutes choses égales par ailleurs) où avec un entrain communicatif, il fait cuisiner les enfants, les marins sur un bateaux de pêche, le tout avec des vrais produits, vivants, généralement sortis de l'eau. Car l'homme est andalou (son délicieux accent!), de Jerez, fortement attiré par l'Atlantique.

À l'inverse de ces TV cooks dont la cuisine est aussi vide que les discours garnis, dans plusieurs plats d'Ángel León (remarquablement exécutés par son équipe), j'ai lu un message clair et cohérent. Il y a bien sûr sa magnifique tortillita de camarones**, ce classique andalou qui devient arachnéen (photo au haut de la page), semblable à une résille, assortie aux talons évoqués précédemment. Il y a aussi ces croquettes de calamar et d'encre, si loin des raclures de comptoir habituelles, ou le bocadillo, le sandwich du même calamar qui devient une sorte d'éclair à la mer. Mais, j'ai été impressionné par les mini chorizos de poisson: on a réellement l'impression de manger de la charcuterie avec cette petite saucisse confectionnée à partir d'un poisson méprisé, rejeté, le mújol, le mulet-cabot***. Joli clin d'œil qui m'a d'une certaine façon rappelé les merguez végétariennes du "couscous d'Alain Passard.


En plat de résistance, honneur à la viande de mer, avec une parpatana de thon rouge qui hésite entre l'alose et le gibier. La parpatana, c'est une pièce grasse du poisson, noire, intensément goûtue, entre la gorge et la ventrêche. Nous voilà au parfait opposé de la fadeur de la bouffe d'hôtel!


Idem avec l'autre plat phare de la cuisine d'Ángel León, le riz au plancton. Non pas qu'il se prenne pour Alain Bombard, mais c'est un de ses dadas, sélectionner et consommer le plancton, ici augmenté d'un jus de moules. Le résultat est stupéfiant, à l'œil comme à la bouche. Et le message écologique, réel. Bravo, vraiment.


Et le vin, me direz-vous? Oui, parce que boire un coup dans un restaurant barcelonais, ce n'est pas toujours simple, et encore moins quand il entend faire dans la gastronomie. Cuisine andalouse, vins andalous. Cohérence là encore, dès la première page de la carte, on vous invite au fino, à la manzanilla ou au palo cortado. Oser ça à Barcelone, la nordiste, chapeau!
Jesús, le directeur de salle, élégant comme un matador de Ronda, connaît sa partition sur le bout des doigts, n'hésitant pas à sortir des sentiers battus avec des jus "à l'envers", des botas d'almacenista, que la cuisine fait chanter. Si vous venez au Bistr'Eau, laissez-le faire! D'autant que les grands crus de Jerez, Montilla et Sanlúcar continuent d'être vendus à prix d'ami.
Je recommande fortement.




* Blahnik, of course…
** Je ne lui reprocherais qu'un point de sel un peu trop élevé à mon goût, sans savoir si le chef était amoureux ou emporté par son tempérament andalou.
*** Les Provençaux qui eux aussi connaissent la richesse de la mer tirent de ses œufs la précieuse poutargue, dont on trouve de belles version en Espagne et éventuellement en Italie. En Andalousie, il est également servi séché.


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