Langue sauce piquante, vin du Diable.


Quand on tue un cochon, un veau, un bœuf, un agneau, qu'on est face à cette masse plus ou moins importante de chair, d'os et d'entrailles, par la force des choses, on envisage la cuisine différemment. On l'envisage vraiment. "De la tête aux pieds" comme je l'écrivais récemment. 
Pas question de se contenter des pièces "faciles" qui ne sont autre que les morceaux de paresseux, ceux que l'on ne fait que griller, généralement, rôtir à la rigueur. Il faut réfléchir, imaginer des cuissons, des subterfuges, ruser. Je le répète, il faut cuisiner vraiment. Car là, pas besoin de calculette pour comprendre combien de kilos de tripes et d'abats on doit consommer pour avoir droit à un kilo de viande noble. Et inversement.
L'avantage, c'est que l'on évite l'ennui en découvrant à chaque repas un nouvel animal. Prenez le même veau, songez à la différence de goût et d'aspect entre sa côte et son rognon, son quasi et sa fraise, sa noix et son onglet, son jarret, sa noix et sa langue.


La langue justement. Sa belle langue muette. C'est par elle, rutilante puis virginale que nous allons poursuivre notre petite série sur le respect de l'animal, de l'animal de boucherie. Il y a mille façons de la préparer, un des plus simples, c'est telle quelle accompagnée d'une gribiche mais j'avais envie d'un grand classique de bistrot: la très mondaine* sauce piquante. Tomate (en tomata évidemment l'hiver), câpres, cornichons, piment, échalotes, ail, poivre, vous connaissez la musique! L'organe a auparavant été cuit dans un court bouillon marqué par la feuille de laurier, deux bonnes heures, le temps de s'attendrir sur le sort de ce jeune animal, et de boire un coup de blanc, en l'occurence un jus délicieusement décadent, tendance oxydative, un poil mou mais excellent sur le jamón. Ça s'appelle 3 uves, trois raisins de vijiriega**, vermentino et viognier, ça vient des hauteurs de Grenade, de la Bodega Barranco oscuro dont je vous avais parlé ici.


Puisqu'on parle de glou avec ce miam (j'essaie d'acquérir les dernières innovations du vocabulaire contemporain), se pose la question du vin qui pourra arroser notre langue et surtout sa sauce compliquée, aussi casse-pattes que la montée de L'Alpe-d'Huez. Et figurez-vous que j'ai trouvé. Par hasard. Enfin, ce n'est pas moi qui ai trouvé, mais mon beauf, l'ambassadeur*** qui se souvient parfois qu'il a été sommelier. Alors que nous nous nous apprêtons à manger chacun une livre de langue et ce qu'il faut de patates bouillies, il me sert une jus dont la gourmandise structurée m'évoque irrésistiblement un bordeaux de belle facture et d'année généreuse, genre 2009. "Non, ce n'est pas un bordeaux, perdu!" (il aime bien quand je me plante, le beauf'…). Je ne trouve pas l'auxerrois ni même le côt mais finis par le deviner; normal, c'est du malbec, ce qui est toujours très différent des jus aériens du terroir natal. Il est vrai qu'il est assemblé avec du merlot, du cabernet, de la syrah et du petit-verdot.


Nous sommes en Argentine, à mille mètres d'altitude, dans la Valle de Uco, au pied des Andes, à une soixante de kilomètres au sud de Mendoza et une quarantaine (à vol de condor!) de la frontière chilienne. Vous voyez le décor, c'est juste somptueux. Pour autant, Clos de los Siete ne roule pas les mécaniques. Ce 2012 est juteux, dense mais sans lourdeur ni mollesse, malgré les quatorze chevaux et demi qu'il affiche au compteur, l'harmonie est là, "haute torchabilité" pour rester dans la veine du vocabulaire pinardier contemporain. Rien à voir, par exemple, avec les caricatures, les comiques pipes-à-Pinocchio de la famille Catena, on est là dans l'univers du vin-plaisir davantage destiné à être bu que dégusté par des donneurs de notes blasés.


Le hic, c'est ce nom sur l'étiquette. "Vade retro Satanas!" Michel Rolland, le Diable en personne! "Couvrez ce patronyme que je ne saurais voir! Par de pareils objets les âmes sont blessées." Avouer que l'on s'est régalé d'une chose pareille pourrait bien me valoir une excommunication définitive par les docteurs de la Foi du Mondovino. Le crime d'apostasie n'est pas loin, l'hérésie est consommée. Amenez le bois du bûcher.
En fait, dans ce vin, derrière l'encombrante image du barbu gascon, je sens la main de cette diablesse de Dany Rolland, comme une pointe de sagesse périgordine pour enrober la flamme. Peu m'importe d'ailleurs, sur la sauce piquante qu'on marie**** usuellement avec des rouges plus fluets, l'accord est génial, et c'est l'essentiel. Tant pis pour les curés, bedeaux et les gratte-Jésus*****, je m'en refais une assiette. Ou deux. Et quelques verres.
Qu'il est doux de leur tirer la langue…




* Hommage bien sûr à l'excellent blog, amoureux de la langue, des correcteurs du journal Le Monde.
** Un vieux cépage espagnol que l'on trouve encore vers Grenade et aux Canaries.
*** Non, il ne bosse pas au Quai d'Orsay mais pour une association, Primum Familiae Vini, dont il est le "wine ambassador".
**** À propos de mariages, lire le blog d'Emmanuel Delmas.
***** J'adore cette vieille expression médoquine qui traduit à merveille la bigoterie.









Commentaires

  1. Dernière expression entendue : le vin "libre" (ou pas, en l'occurrence). Rassure-toi. Je cherche toujours. De l'aide peut-être ? Quelqu'un ?

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  2. Hé oui, Michel sait faire du vin et du bon. Que cela plaise ou non. C'est bien de ta part de lui rendre justice.

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  3. Parfaitement d'accord... Un peu qu'il sait en faire du bon vin Michel, y compris là où il ne le fait pas mais où il conseille. Et tous ces domaines se comptent par centaines sur la planète. Comme quoi...

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  4. J'ai aussi mis une claque à mes a priori avec "le clos des sept". Très "torchable", en effet. J'aimerais en boire plus souvent ...

    Tom B.

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