Le miracle de la soupe aux choux.


Prenez un époque compliquée. Pas spécialement dramatique au regard de l'Histoire. Et encore moins, quand on est déjà sorti de son trou, qu'on s'est rendu compte de ce qu'est la vie sur Terre, dans des pays moins confortables mais tellement photogéniques, pittoresques, ensoleillés que l'on va découvrir d'un battement d'ailes. Notre condition n'est pas toujours rose, mais il faut être odieusement égoïste, honteusement oublieux de la misère du Monde, comme nous (entre autres) riches Européens, pour ne pas comprendre que nous avons le cul au chaud, parfois bordé de nouilles. 
Une époque compliquée, pas spécialement dramatique donc, mais porteuse de doutes, d'interrogations, de remises en question. Alors, ressurgissent les vieux démons, les bêtes immondes, noires ou rouges, et au quotidien cette tentation tellement humaine du repli sur soi, de la réaction, d'un refus systématique du progrès. Ce refus, il se manifeste d'une multitude de manières. Le vin en est un bon exemple où l'on entend parfois des discours passéistes qui oscillent entre "la Terre ne ment pas" et un très chic mépris de la connaissance scientifique. Dans le même ordre d'idée, je vous passe ce que j'ai qualifié il y a quelque temps de "complotisme alimentaire", où l'on s'engouffre dans des modes tendance Presse féminine, friandes de coupables, le méchant gluten ou la vilaine viande, responsables de tous nos maux.


Tout cela est pathétique, inquiétant, comme un écho à ce texte déprimant d'Onfray, mais heureusement parfois comique. Grotesque même. Car cet univers New Age regorge de néo-remèdes de bonnes femmes, souvent numériques, dont certains sont désopilants. Ainsi un truc qui traîne en Espagne, infaillible, nous assure-t-on sur de très nombreux sites spécialisés*, contre le cancer, l'hypertension artérielle, le diabète, les virus, les troubles digestifs, la coqueluche (tiens, ils ont oublié l'impuissance et la chute des cheveux…): c'est assez simple, pour guérir de tout cela, il suffit de se mettre une gousse d'ail dans l'oreille. Si, si, je vous assure, c'est prouvé, "ma femme de ménage le tient du cousin de sa poissonnière"…


Bon, ne nous moquons pas trop des Espagnols (en plus, l'ail, c'est délicieux!), parce qu'en matière de sites poubelle sur l'alimentation et la santé, nous avons au nord des Pyrénées quelques musts du genre, à commencer par le célèbre santenutrition.org, le "Wikistrike médical" dont on rirait si ce n'était pas consternant.
Mais que dire de la dernière trouvaille en date, comme un hommage au grand René Fallet? Le miracle ne tient pas à l'arrivée du beaujolais-nouveau, c'est sa merveilleuse soupe aux chou qui est en train de révolutionner la médecine de ce début de millénaire. Je ne saurais trop remercier Olivier Rochut néo-vendeur parisien de (bons) vins du Languedoc, de Bourgogne et de Corse** de m'avoir adressé le lien du site sublime qui nous rend compte de cette découverte stupéfiante.


Eh oui, je vais vite en parler à mon docteur (qui adore la soupette), le plat préféré du Glaude et du Bombé va nous faire perdre, avant l'arrivée des beaux jours, ces quelques kilos de trop sans lesquels nous pourront sans peine enfiler nos bikinis. Quelle chance! En plus, c'est la saison, sur les étals des marchés, les choux sont superbes, ajoutons-leur ce qu'il faut d'oignons, de carottes, de patates, d'ail, de ventrèche, de lard vieux et d'andouilles de couennes et nous retrouverons d'ici peu notre taille-mannequin.


"Las, las ! O vraiment marâtre Nature !" Voilà que l'on me dit que la soupe aux choux, il faudrait que je l'ingurgite en gélule au lieu de m'en régaler à l'assiette, avec comme bouquet final un bon chabrot plein de gaieté aux côtes-roannaises du Domaine Sérol (celui qui me fait aussi chanter la tête de veau). D'ailleurs dans le futur site médecine-beauté que je ne vais pas manquer d'ouvrir, le gamay sera mon secret de beauté, midi et soir, mais sans banane, ni gélules. Il n'y sera en fait question que de bonheurs humbles, charnels mais humbles, on y rira fort en caressant les fesses des filles***, trop fort même pour emmerder les voisins.


À cette fête plus que New Age, rassure-toi, Michel Onfray, nous ne viendrons pas en trottinettes pour adultes made in China, mais en Massey-Fergusson plus rouille que rouges et sur des vélos volés, d'horribles bicyclettes de ville, écarlates, métrosexuées, où dans un souci d'égalité, les femmes et les travestis nous trimballeront sur le porte-bagages.
Merde aux gélules! On ne va quand même pas se froisser avec la Denrée, lui infliger à lui, notre nouveau compagnon intergalactique, le misérable spectacle d'une société qui se délite, de ces générations qui se percutent. Ce sera la fête, on cuira la brassicacée à l'oule, à la toupine, avec ce qu'il faut de prince de janvier dedans, et de grosses tranches de pain au gluten par dessus. On boira sec le rouge de Sérol, et, voyageant léger, nous partirons au bout de l'univers avec juste ce qu'il faut de chez nous dans notre besace, le goût de notre terre.
Et une fois encore le miracle de la soupe aux choux s'accomplira. Pour de vrai. Immortels, nous aurons guéri de tout. Même de la connerie humaine.




* Des exemples ici, ici ou .
** Chandon de Brailles, Le Viala, Leconte des Floris, Leccia, les deux compères, Catherine et Olivier, en disent quelques mots ci-dessous.
*** On raconte qu'en Bourbonnais, elles ont la cuisse légère.


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