Le salon, les "on" et les cons.


Et c'est reparti pour "la plus grande ferme de France". Le Salon de l'Agriculture a ouvert ses portes, dans une ambiance de crise, plus encore que les dernières années, sous les sifflets et les huées, dans la bousculade et les charges de CRS. D'un côté, les politiciens, tous partis confondus, extrêmes compris, qui viennent là comme on va à Lourdes ou à la Mecque, de l'autre des agriculteurs, manipulés et désespérés. Est-il besoin de revenir davantage sur ce scénario banal? Lisez en tout cas l'éditorial de Jean-Marcel Bouguereau dans La République des Pyrénées, "ce salon, écrit-il, est une vitrine mensongère car il valorise cette industrie agroalimentaire et cette grande distribution qui sont en train de tuer les agriculteurs."


Car derrière la profonde détresse des agriculteurs, derrière l'échec de l'agriculture française et ses incalculables conséquences pour le pays, économiques, stratégiques, touristiques, écologiques, émergent bien sûr des responsabilités. Au Café du Commerce, on va vous causer bien sûr de l'Europe. Évidemment. Si pratique l'Europe, le bouc-émissaire idéal. D'autant que sa forme, sa structure patatoïdes s'y prête. Mais surtout, on va vous parler des "on", et parfois des "ils". "On nous impose", "ils" ont décidé que… L'enfer, c'est (toujours) les autres.
Le problème, c'est que tous les "on" qui imposent et décident, nous les avons élus. Ces "on" qui ont ajouté des couches d'administration et de normes à d'autres couches de fonctionnaires et de règlements, c'est nous, pas des "on" qui les avons mis en place. À Bruxelles comme à Paris.


Je suis ravi, par exemple, d'entendre la journaliste Isabelle Saporta* surfer avec un brin d'opportunisme sur le ras-le-bol des normes et des contraintes qui pourrissent la vie de ceux qui essayent de faire bon. Comment n'adhérerais-je pas à ce discours, fut-il de circonstance, moi qui avec quelques autres le tient depuis des décennies? Tant mieux qu'il devienne "à la mode"!
"En France, dit Isabelle Saporta, on a cette espèce de masochisme qui fait que quand on a un truc qui fonctionne bien, en l'occurrence la bonne chair (sic), au lieu de l'aider, de le mettre sur un piédestal, on le flingue. C'est hallucinant". Et d'ajouter, à propos des normes, "l'Europe donne un cadre général un peu contraignant, mais nous en France, nous avons tendance à faire bien pire que ce que l'on nous demande. On fait du zèle. On fait du zèle par exemple sur l'hygiénisme, donc on est en train de flinguer toute notre filière de qualité sur le lait cru, qui est quand même l'une des grandes réussites françaises". Heureux d'apprendre qu'il n'est plus "facho" de tenir de tels propos qui, au passage, écharpent la tour de Babel fonctionnariale franchouillarde, patiemment édifiée par les gouvernements successifs, le dernier en étant arrivé au point culminant de l'ouvrage.


Ces normes sont, comme je le soulignais notamment ici, m'interrogeant sur leur "normalité", l'arme de destruction massive des multinationales de la malbouffe. Grâce à elles, l'industrie fait table rase du sain et du bon, du non-calibré, de l'artisanal, du sensible, du précis, j'ai envie de dire, de l'humain. Tout ce qui n'est pas fabriqué en usine devient "impropre à la consommation", à l'image de nos pauvres foies gras de Bouzigues, mis sous séquestre.
Pour lutter contre ça, on peut bien sûr agiter des banderoles, et voter. Il faut toujours voter même quand on n'y croit plus vraiment, en essayant d'éviter le dépit. Mais, je le dis et je le répète, le moyen le plus efficace, quasi infaillible, de combattre l'empire de la malbouffe, c'est notre cabas, notre panier de commissions. Là est la clef.


Vous voulez en finir avec l'industrie agroalimentaire qu'évoque Jean-Marcel Bouguereau, celle-là même qui tue les agriculteurs? Arrêtez immédiatement d'acheter sa production. C'est simple, achetez du cru, du brut, et cuisinez. Refusez leurs marques et leurs emballages. Décidez à la place des "on" et des "ils". Usez et abusez de votre réel pouvoir.
Mais pour en arriver là, il faut aussi en finir avec la source de tous ces maux que Jean-Marcel a le courage de nommer: la grande distribution**. Le salon de l'Agriculture, écrit-il, "on pourra y trouver La Ferme Lidl et Auchan sera présent avec un stand intitulé "Une filière responsable engagée pour tous". Tu parles ! En dix ans, voici ce qu’ont perdu les paysans au bénéfice de ces enseignes prédatrices : en 2005, sur cent euros de production, trente euros allaient à l’agriculteur et trente-cinq euros au distributeur, déjà mieux payé que le producteur. Aujourd’hui, la part de l’agriculteur est tombée à vingt euros, une misère." Cette chute gigantesque (vous imaginez qu'on demande aux fonctionnaires, aux contrôleurs zélés de baisser ainsi leur revenu?) impliquant une baisse de qualité, gustative et environnementale.


Loin des "on" et des "ils", la solution se conjugue à la première personne du singulier. "Je ne vais plus au pousse-caddie", point final. Cessons par notre collaboration personnelle d'alimenter, de faire grossir la Pieuvre. Encore une fois, usons et abusons de notre pouvoir. N'y foutons plus les pieds***!
Alors je sais, dès que l'on évoque ce sujet, de belles âmes interviennent pour pleurer sur "les pauvres qui n'ont pas le choix" (il n'y a que des "pauvres" dans ce pays?), qui sont "obligés" d'aller au supermarché; vous voilà disqualifié, la grande distribution est belle et généreuse, alors que vous n'êtes plus qu'un sans-cœur, un salaud. Interventions qui insidieusement valident quelques mensonges qui font le lit de la grande distribution, à commencer par le pire: elle est moins chère que les réseaux classiques. C'est faux. Faux, si l'on s'en tient au prix des denrées (vous voulez qu'on reparle des tomates?), encore plus si l'on intègre au calcul le type de consommation que cela implique davantage tournée vers le produit transformé, autrement plus coûteux que le légume ou la viande bruts. À cela,  s'ajoutent des coûts que nous payons tous, social, urbanistique, environnemental, écologique. Ce système horrible détruit nos centre villes, les abords de nos villes, les emplois industriels et agricoles et finalement rend les pauvres plus pauvres, les privant de leurs emplois pour les délocaliser chez d'autres pauvres, plus pauvres et plus dociles.

I
mmanquablement, les belles âmes, toujours larmoyantes, embrayeront sur le couplet suivant, celui du "c'est pratique", "on n'a plus le temps".  Argument honteux (et d'autant plus dans un pays comme la France où la durée du travail est une des plus basses du Monde), oublieux de celles et ceux qui nous ont précédés. On n'avait plus de temps quand on devait cuisiner sans gaz, sans eau courante, sans électricité, sans voiture, sans réfrigérateur? Là encore, le temps, c'est un choix, que l'on assume, comme celui de ses fournisseurs et ce qu'on y achète. Réapprenons à faire les courses (ça s'apprend!), à utiliser tous les nouveaux modes de distribution à notre portée, remettons-nous à manger de tout, économiquement.
Agissons, ne cédons pas à cette sublime incohérence contemporaine qui d'une main tient le bouquin de Pierre Rabhi, vante la "décroissance" sur Facebook, signe des pétitions et de l'autre appuie sur le bouton du micro-ondes pour décongeler une pizza Findus. N'oublions jamais qu'in fine, c'est nous qui décidons chaque jour quelle Agriculture, et donc quel état de santé, quelle économie, quels paysages, quelle société nous voulons. En poussant ou pas un caddie. Arrêtons de nous défausser, de rejeter cette responsabilité sur les autres: "on" est définitivement un con.



* Loin de ses caricatures pinardières, Isabelle Saporta sort ces jours-ci un livre intitulé Foutez-nous la paix! chez Albin-Michel. Un titre très pompidolien, d'ailleurs (et un rien libéral); en 1966, l'ancien président de la République avait lancé à son chef de cabinet, Jacques Chirac, qui venait lui faire signer un nouveau texte de loi, "mais arrêtez d'emmerder les Français! Foutez-leur la paix! Laissez-les travailler".
** D'autant plus courageux que cet éditorial est publié dans un quotidien régional, et l'on sait à quel point la PQR est tributaire, dépendante des recettes publicitaires issues de la grande distribution. Cela fait plaisir à lire, surtout quand on voit d'anciens grands journaux faire la pute avec le pousse-caddie, à l'image du Monde.
*** On remarquera que le Président de la République, après s'être fait copieusement huer lors de l'inauguration du salon de l'Agriculture, a timidement attaqué la grande distribution.



Commentaires

  1. Bon dieu, comme tu as raison de le dire (si bien) et de le redire !
    Perso, j'ai un truc pour mes courses hebdomadaires : je pars au marché avec un billet de 500 (parfois, beaucoup moins) et j'en reviens avec un panier d'enfer rempli de bonnes et belles choses achetées après un rapide tour d'observation et beaucoup de patience pour bien choisir mes légumes, mes poissons ou mes fromages au bon endroit.

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    1. Oui, Michel, il faut le dire et le répéter. Ça fait des décennies que je le fais, et je ne suis pas près de m'arrêter.

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    2. je voulais dire un billet de 50 €... ;-)

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    3. On avait compris, parce que même si le journalisme enrichit son homme...

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    4. Rassuré je suis.

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  2. S'il n'y avait que le pousse-caddie...
    Quand on voit qu'à Toulouse, au marché des Carmes et à Victor Hugo, on trouve dès le mois de janvier des asperges du Chili, des girolles de Bulgarie et des tomates aussi rondes et fermes qu'une poitrine refaite...

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    1. Il y a toujours des contre-exemples mais les grandes lignes demeurent. On notera d'ailleurs que la GD a considérablement contribué à bousiller les habitudes alimentaires, notamment en matière de saisonnalité des produits.

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    2. C'est faux.....la GD s'est adaptée très vite, mais c'est la proposition au consommateur de produits venant de l'hémisphère sud dans les années 80 qui a changé la donne. Le consommateur a pu manger des fruits dès le départ hors saison en Europe (mais de saison dans l'hémisphère sud) et mauvais puisqu'ils partaient très loin d'être mùrs pour être presentable à l'arrivée ici. Les premiers clients de ces produits étaient les marchés de gros (MIN)qui revendaient aux commerces locaux. Ils étaient d'ailleurs beaucoup plus chers. Ce n'est que depuis que c'est devenu un business et que la production s'est industrialisée qu'effectivement les prix se sont équilbrés et que le commerçant/producteur local a commencé à réellement souffrir.La GD est un mal necessaire lemonde ne peux pas acheter son pinard chez un caviste ou chez un Boucher dont les prix sont autres que dans la grande distrib. La GDest là pour faire di fric, pas pour nourrir les gens, et les premiers responsables sont les producteurs qui ont mordu à l'hameçon en vendant à la GD qui les a super bien traités au départ le temps d'éliminer la concurrence. Après est arrivé ce qui était écrit.

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    3. C'est vrai qu'il y a de plus en plus de revendeurs dans nos marchés de province, il faut simplement les éviter. Les vieux pépés et veilles mémés disparaissent, heureusement qu'il arrive quelques nouveaux producteurs motivés et responsables qui font du bon boulot. Je fais moi aussi les courses à 7h30 chaque samedi mais 50 Euros sont loin de suffire.

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    4. Effectivement, si vous êtes 4 à la maison et que vous allez Boulevard Raspail ou à Neuilly...

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  3. Grâce à la Sociologie moderne, on appréhende mieux le concept de "reproduction sociale"... quand on est fils d'ouvrier, on a beaucoup plus de chance de devenir ouvrier ; quand on a l'habitude de regarder la TV au petit dej, on a plus de chance de la regarder ; quand on n'a pas appris à se poser de questions sur ce qu'on mange, on mange mal. La notion de reproduction sociale permet de comprendre que la liberté de penser et d'agir des individus est beaucoup plus entravée qu'on ne le pense. La reproduction sociale ne se transforme pas en deux coup de cuiller à pot. La modification de la pauvreté culturelle et sociale est un travail de long terme et seule l'éducation permet de modifier sensiblement le poids de la reproduction sociale. La Malbouffe est un choix ; ne plus aller au supermarché est un choix... hum au delà même du pouvoir d'achat, les choses semblent malheureusement plus longues et plus complexes que cela...

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    1. Et alors? Parce que c'est complexe, on baisse les bras? Je ne suis pas enclin au défaitisme et à la résignation.

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    2. "Sociologie", "reproduction sociale"...
      On tolère les gros mots maintenant sur ce blog?

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    3. Tant qu'ils ne sont pas de moi… Je reste plaisancier, et ce n'est pas un rôle.

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    4. Moi non plus je ne suis pas défaitiste. C'est pour cela que j'ai créé une association dédiée à la connaissance de la vigne et du vin... Si nous faisions tous quelquechose de similaire, on pourrait peut-être espérer faire changer les choses.

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    5. Très bien, mais au delà de la sociologie et des impression, on va parler chiffres.
      Entre 1960 et 2014, la part de l'alimentation est passée de 35 à 20% du budget des ménages français, soit une baisse de 43% alors même qu'en volume ces ménages ont bien plus consommé, et de façon sophistiquée.
      Imaginez que vous diminuiez votre budget automobile de 43% tout en roulant davantage, vous croyez vraiment que vous rouleriez dans la même bagnole?
      Imaginez que vous diminuiez votre budget vin de 43% tout en buvant davantage, vous croyez vraiment que boiriez la même chose?
      'If you pay peanuts, you get monkeys'…
      http://goo.gl/SrBqqo

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    6. En parallèle les dépenses en logement sont passées de 10% en 1959 à 28,4% aujourd'hui et de façon générale, les dépenses "pré-engagées" (prélevées en début de mois) sont passées de 15% à 35%.
      et l'Automobile, elle ne s'arrange pas non plus, je suis bien placé pour le savoir vu que c'est mon métier... l'âge moyen des voitures en circulation est passé de 6 ans dans les années 80 à 9 ans aujourd'hui.
      Bref tout ça pour dire que la part du revenu arbitrable par les ménages s'est considérablement restreint et que l'alimentaire fait partie des dépenses qui ont été découpées... budgétairement comme culturellement il est difficile de penser que ce soit uniquement par choix... (budgétairement à la rigueur pour le quintile de la population la plus riche...).

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    7. Deux remarques:
      1°) d'autres dépenses, habillements, électronique, TV, voyages… ont considérablement augmenté ou sont apparues. Des choix, encore.
      2°) le niveau de vie a augmenté.

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  4. Je viens de découvrir votre blog à un moment où moi-même je suis révolté de voir la machine destructrice de la Malbouffe continuer de sévir en toute impunité, sans la moindre réaction de la masse qui continue joyeusement à détruire un patrimoine culturel et identitaire en grand danger!!! Dans un contexte où la question de l'identité de la France est fortement mise en question, nous avons une occasion inédite de rassembler le Français autour de ce qui constitue sa colonne vertébrale: la nourriture. Il est urgent qu'une inversion s'enclenche pour que la masse passe de la consommation d'aliments à la nourriture et pourquoi à la gastronomie (dans son sens le plus essentiel: l'art et le plaisir de se nourrir). Le grand problème aujourd'hui, c'est que pour trouver un VRAI produit, il faut engager un véritable travail de recherche qui le plus souvent vous amène dans une épicerie fine. Je pousse un grand coup de gueule contre les épiceries fines qui sont des supermarchés qui vendent essentiellement de la merde déguisée en produits "d'exception". J'ai pour ma part décidé d'aller vivre dans la région des Abruzzes, le coeur vert de l'Europe où l'autosuffisance est de mise et où l'accès à des produits simples, humbles et essentiels est beaucoup évident.

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