Vin d'Hadrien.


Tout part d'une conversation (le mot est exagéré), d'un échange virtuel à propos d'un vin de Savoie, une bouteille de blanc ouverte l'avant-veille, laissée en plan, à moitié pleine. C'est du gringet, de l'année 2006, cépage plus que confidentiel – "sublime, forcément sublime" aurait tranché Marguerite Duras. Un nez vaguement "alsacien", une bouche qui n'est pas sans rappeler certaines marsannes de la Vallée du Rhône… Pas vraiment mon style, un peu trop mou, manque de "tension" comme on dit aujourd'hui, une certaine originalité, mais bon… Je demande des avis, consulte les oracles immatériels, invoque les esprits télématiques. "Sublime, forcément sublime", quasi unanimement, les gardiens du temple noient le poisson, glissent comme la truite d'un torrent du Couserans entre des mains innocentes, jargonnent. "Alors ce gringet 2006, vous en pensez quoi?" Pas grand chose, visiblement puisqu'il n'est plus question que d'amphores de terre cuite et d'œufs de béton, la forme nous envahit, avale le fond, le contenant engloutit le contenu. Le gringet n'est plus qu'un concept, le support d'une démonstration qui ne démontre rien.


Le petit monde du vin est ainsi. Souvent, il me fait penser à cette citation qui me colle aux basques, depuis une lecture à la lampe-tempête, sur un lit Picot, dans la bibliothèque parfumée de mon arrière-grand-père, tout au sommet de Lourmarin, un lieu sauvé de l'intemporalité par la cloche du beffroi voisin. Je revois encore entre mes mains ce fin bouquin noir*, édité à New-York: "Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d'une étoile, s'il se laisse trop absorber par ses problèmes d'escalade, risque d'oublier quelle étoile le guide. S'il n'agit plus que pour agir, il n'ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu." Oui, parce que finalement (que les docteurs de la Foi bacchique me pardonnent), nous ne parlions que d'un vin, vous savez, ce truc liquide qu'on met dans sa bouche et qu'éventuellement on avale. Ses arômes, son goût…


Sur ce, voila que déboule de Bordeaux mon fils Guilhem qui avec sa belle et fraîche arrogance de khâgneux me balance dans la figure l'empereur Hadrien. Pas celui de l'Eau, si précieuse**, celui du vin, celui des Mémoires, celui d'une Marguerite moins péremptoire, moins clinquante aussi que la précédente: "Le vin nous initie aux mystères volcaniques du sol, aux richesses minérales cachées: une coupe de Samos bue à midi, en plein soleil, ou au contraire absorbée par un soir d'hiver dans un état de fatigue qui permet immédiatement de sentir au creux du diaphragme son écoulement chaud, sa sûre et brûlante dispersion le long de nos artères, est une sensation presque sacrée, parfois trop forte pour une tête humaine, je ne la retrouve plus si pure sortant des celliers numérotés de Rome, et le pédantisme des grands connaisseurs de crus m'impatiente." Guilhem a raison, son professeur principal aussi, on devrait toujours lire Yourcenar…


*Lettre à une otage, Antoine de Saint-Exupéry, 1943 BRENTANO'S, New-York.
** les amateurs de fragrances délicates auront immédiatement apprécié l'hommage à la grande Annick Goutal, à son Eau d'Hadrien. Personnellement, je verse volontiers dans son Vétiver ou dans son incroyable Eau du Fier si compliquée à trouver.


Commentaires

  1. "La forme avale le fond".....je confirme y compris sur votre blog d'ailleurs...

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    1. Si vous le dites, cher Anonymous… Je vous conseille toutefois de bien relire cette phrase de Marguerite Yourcenar qui, me semble-t-il ne manque pas de fond.

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    2. Ah mais je ne parle pas de Marguerite, je parle de vos textes, le plus souvent lénifiants ! C'est assez drôle d'ailleurs car vous êtes, pour moi, l'exact contraire de ce que vous prétendez être. La croisade anti supermarchés est au contraire "politiquement correct", dans ce monde de boboïtude . Et le fameux pédantisme des "grands connaisseurs de crus", mais mon pauvre M.Pousson, vous êtes en plein dedans quand vous jugez un vin de "pas terrible, lourdaud, oxydé approximatif"...

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    3. Mais, M'sieur Anonymous, vous êtes un usurpateur d'identité. Un comble pour un anonyme.

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    4. Ne sois pas méchant, Nicolas, il est mignon l'Anonymous. Hein, Bijou, que tu es mignon! Et critique littéraire, en plus, si c'est pas chou, ça! Et il n'aime pas ce que j'écris, c'est "lénifiant" et il prend la peine, parmi les milliers de blogs existant de lire le mien. Tu ne serais pas un peu maso, aussi, Bijou? Et d'après ton compagnon de route (l'Anonymous qui se cache, lui aussi, quelques lignes plus bas) vous êtes légion comme toi? Je n'en doute pas, vu les chiffres de fréquentation d'Idées liquides & solides, que vous soyez nombreux, très nombreux.
      Pour le reste, pour le débat sur ce vin, sur les grandes surfaces (attention, tu vas te trahir…)ou sur mon conformisme, nous verrons quand tu auras le courage de tes opinions.

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    5. Il est évident, monsieur, que vous ne connaissez rien. La prochaine fois que vous viendrez sur ce blog, parlez à voix basse et buvez la bouche fermée. Des gens travaillent ici.

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    6. L'émulation se fait rude dans les parages; sympa de nous mettre au parfum de la sorte.

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    7. Avec tous ces Anonymous, on s'y perd… Moi, je voudrais juste dire à celui qui est en haut de la liste qu'il commence par aller se faire greffer des rognons, ça lui permettra de dire à visage découvert tout le mal qu'il pense de Vincent Pousson. Et puis, surtout, le remercier, il vient de m'offrir avec son "lénifiant" un de mes plus beaux fou-rires depuis longtemps! Parce qu'on peut tout lui reprocher au père Pousson (que j'adore) mais pas d'écrire de façon "lénifiante"! Allez achète-toi un dictionnaire, pauvre truffe!

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    8. Lénifiant, parfaitement Lénifiant ...

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    9. "Anonymus" partenaire de Leclerc, Carrefour etc...ki courre pour acheter de quoi se nourrir ! Oublie pas les "Promos" sur les produits "Reflets de France" ca te donneras bonne conscience et tu auras l'impression d'aider les paysans.. Malheureusement ou pas d'ailleurs..ceux là - les agriculteurs- tu dois pas souvent les fréquenter.. les gars qui bossent tous les jours, qui ont des horaires chargés entre le bétail le matin, les champs et les prés la journée et peler l'ail le soir... d'ailleurs tous les valides le font des enfants aux grands parents... mais Môsieur sait juger lui dans son bon fauteuil ! Vincent Pousson ne prétends rien.... il fais partager ses gouts pour la vie, celle des vrais produits, celle des vrais relations humaines et il se contre-fout de ce que pense les bien pensants des journaux pour "parigots" et "bobios" découvrant la nature et sachant déja tout et dans lesquels s'affichent les pub de "Grands vin" ou de tel vin de "marque"comme "Lestiac"... lui il bois du vrai vin, celui qui est fait par des Hommes qui ont une famille a faire vivre, des gens avec la passion chevillée au corps... Nous ses lecteurs c'est ce qu'on aime: Cette vérité qui n'as aucune complaisance et qui vas bien au delà , qui vous oblige a nous poser des questions de fonds, qui vous fait prendre conscience des dérives de nos politocards et autres "bien pensants" ! Quant aux vins je ne penses pas que je partagerais le moindre verre avec vous, vus vos commentaires plus que douteux. Je ne partage pas toujours les gouts de Vincent Pousson mais je les respecte, nous en discutons franchement. Nous partageons des idées communes sur la qualité des choses et des Hommes assez proche. Pour en revenir au Gringet, s'il ne se boit que par grâce aux artifices de "l'oeuf bobo" ou de la "cuve a mimile"... je me ferais du soucis. Le vin commence dans la vigne en croquant les grains de raisins, et tout bon vin doit pouvoir s'exprimer sans autre artifice.... sur ce je vais boire un bon canon " a la santé des anus"..
      Ivo Pagès

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    10. On commence par croquer des grains de raisin puis on finit par boire du minéral ... c'est traître ce machin de l'internet ...faudra qu'on s'en explique, un jour

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    11. C'est assez drôle de voir rameuter toutes les "chiennes de garde". Alors petites réponses dans le désordre... Sacré Nicolas toujours prompt à réagir. Le gentil monsieur s'élève toujours contre la grande distribution sauf quand celle-çi se lance dans ses fameuses FAV. Alors là c'est pas pareil ça permet, je cite, de mettre des grands vins à la portée de tous (bah oui faut dire que la plupart de ces "grands crus" se retrouve sur B ET D). Quelle marade !
      Pour M.Pages que je ne connais point et que du coup je ne vais pas me permettre de tutoyer (!). Très cher, je m'offusquais juste de certains termes employés par VP pour caractériser le travail d'Emile Hérédia, vous voyez le genre d'homme qui a certaines valeurs et également une famille à faire vivre. On peut ne pas aimer certains vins mais traiter d'approximatif le vin de cet humble vigneron me semble "légèrement" disproportionné". D'ailleurs aussi disproportionné que le fameux " y a quelques vignerons natures qui bossent bien j'en connais 2 ou 3" l'auteur de cet fabuleuse réplique va se reconnaitre sans mal.
      Ce qui être très gênant dans ce microcosme des blogs et des critiques, c'est que l'on peut pointer du doigt, se moquer, critiquer, traiter le peuple de "moutons de panurge" mais dès que l'on émet un doute ou une appréciation on se fait insulter (voir JR et NDR).
      Alors si vous préférez rester seuls dans votre sphère bien pensante sans contradicteur et bien j'irais voir ailleurs et je continuerais à boire mes vins qui "puent des pieds".....Et vous resterez persuader que vos paroles sont d'or....
      Une fervente admiratrice !

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    12. moi j'aime bien "le verre des poètes" d’Émile Hérédia, çà n'a rien d’approximatif, c'est vivant, c'est bon! J'ai du mal à comprendre cette histoire de débats sur les grands crus? En Bordeaux par exemple, y'a t'il un vin qui tienne la route? ouais Paul Barre c'est bon, après... y'en a 2 ou 3, mais un mouton Rothschild à 900€, aucun intérêt, on est d'accord? même à 100€. Donc bon buvons de l'authentique, des vrais vins de terroirs, bon bref.

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    13. Je ne peux pas vous dire, je n'ai pas goûté ce "Verre des Poètes". Pour ce qui est des bordeaux, il me semble qu'y a plein de jolies choses, pourvu qu'on évite les salles de culturisme et les concours de bodybuilding.

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  2. Il n'a pas entièrement tort, Anonymous. Et nous sommes légion à le penser...

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    1. Des légions d'Anonymous, apparemment. L'Armée des Ombres?

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    2. Je suis heureux en tout cas de ne pas plaire à tout le monde, ça m'inquièterait. Comme il m'inquièterait de pas déranger un peu, le politiquement correct m'effraie…

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    3. Cela étant, et plus sérieusement, pour que se réveille "l'Armée des Ombres", les légions anonymes (pas si anonymes que ça d'ailleurs…), c'est que sans le savoir, j'ai du blesser une vache sacrée. Ce vin, Le Feu, je n'en pense (et n'en dis) ni du mal ni du bien, "pas mon style", mais il est le support à une réflexion me semble-t-il plus large dont la base pourrait être " les celliers numérotés de Rome, et le pédantisme des grands connaisseurs de crus"…
      Maintenant, je peux comprendre que la littérature ennuie…

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    4. Laisse passer le troupeau des trolls, les redresseurs de torts d'internet, cet isoloir magnifique. Que les insulteurs aient le courage de lever leur loup qu'on voit un peu ce qu'ils ont dans les yeux. Et si tu n'aimes pas ce vin, ne te gênes pas pour dire que c'est de la merde, c'est ton droit. Nous qui signons de nos noms, nous avons le droit d'exprimer une opinion.

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  3. Belle mise en relation de plusieurs univers, comme j'aime à le faire. L'Eau du Fier, Vincent, est seulement disponible à la boutique Goutal de la rue de Castiglione, je crois. Bises parfumées!

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    1. Merci, Anne. Merci aussi pour les échantillons, de très belles choses, mais un peu trop "violentes" pour moi. Faute d'Eau du Fier (dont je connais la complexité d'approvisionnement), tu as, plus classiquement, du Vétiver?

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    2. Vétiver d'Annick Goutal, évidemment…

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    3. panatta sur gazon12 octobre 2012 à 19:01

      Evidemment. Eau Tantrique [cherche pas, c'est déposé]

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