Le voisin trop discret.


Il y a des vignerons médiatiques, pleins d'entregent, qu'on voit plus souvent dans les journaux, les aéroports, sur les estrades ou à faire en permanence la tournée des cavistes et des restaurants. À tel point qu'on en vient à se demander s'ils ont encore quelques minutes à consacrer à leurs vignes, à ces précieuses vignes dont ils vous expliquent qu'elles sont leur sanctuaire, que "il n'y a que là qu'ils sont bien", etc, etc… Vous connaissez la chanson.
Rémi Jalliet, c'est le contraire.  Les médias l'indiffèrent, les compliments le font rougir; non pas qu'il soit timide, je pense qu'il aime vivre comme ça, à l'abri des regards, dans son univers qui n'a pas grand chose à voir avec le Mondovino.


Remarquez, en matière de com' et de marketing, ce toujours jeune vigneron languedocien (bientôt quarante ans) vient de faire un immense pas en avant, ça ne rigole plus: il a mis un bout de papier sur la porte de sa petite cave de Villesèque-des-Corbières où sont indiqués son nom et même son numéro de téléphone. Notez-les bien, car il  figure à peine dans l'annuaire…
Rémi Jalliet, je l'ai connu dans la seconde partie des années quatre-vingt-dix. Il possédait à l'époque l'impressionnant Château des Auzines, toujours dans les Corbières, à Lagrasse. Dans un contexte troublé, il y avait d'ailleurs produit d'excellentes bouteilles. Son 97, si la mémoire ne me fait pas défaut, était délicieux. Malheureusement, il bradait ça au tour des dix-sept francs, ça ne faisait pas sérieux, pas suffisamment en tout cas pour les buveurs d'étiquettes. Qui plus est, il était associé à l'époque avec son père, grand manitou du vin dans la grande distribution, chez Intermarché, ce qui ne contribuait pas à valoriser l'image du Château des Auzines (euphémisme…)


Quand j'ai retrouvé Rémi, quelques années plus tard, alors que nous avions tout deux fait le deuil de nos illusions, il avait donc investi cette petite cave de Villesèque, sur ces calcaires mouvementés qui regardent, en fonction du vent, le Mont Saint-Victor ou le château de Durban. Un joli terroir, je vous en parlais la semaine dernière à propos des Clos perdus. Rémi Jalliet est d'ailleurs voisin de vignes de Paul Old et Hugo Stewart. Avec eux, il partage une certaine conception du travail du sol, il n'a pas le bio tapageur, là encore, c'est la dicrétion qui prévaut. Ce qui n'empêche pas des convictions chevillées au corps. Bien au contraire.


Presque par hasard, l'autre jour, en passant à Villesèque, j'ai goûté le Clos d'Espinous 2011 qu'il est en train d'embouteiller. Et comme à chaque fois, j'y ai retrouvé la patte de Rémi Jalliet, cette mâche incroyable, cette matière fine et dense, un fruit explosif, gourmand davantage marqué actuellement par la syrah que par le carignan mais absolument pas vulgaire. Bref, une bouteille assez impressionnante. Justement, c'est là que le bât blesse… Rendez-vous compte, au Domaine, ce Clos d'Espinous se vend dans les sept euros ! Le problème que sa “morphologie” ne correspond pas du tout à ce tarif. Celui qui s'attend, en déboursant cette somme relativement modique, à trouver dans son verre, une gentil petit pinard coulant, un aimable vin de soif, en sera pour ses frais, “il y a du vin” là-dedans, vraiment, profondément, de la matière sans lourdeur. J'aimerais bien lui donner rendez-vous en 2015 à ce 2011!


J'avais rencontré le même cas il y a quelques années avec les robustes minervois d'altitude de Jean-Philippe Bourrel à Fauzan ; sa clientèle traditionnelle était un peu désarçonnée par la densité, le fruit éclatant, presque envahissant dans sa jeunesse, de son “petit” vin. Comme si, paradoxalement,  elle se sentait volée qu'on lui en donne trop pour son argent ! Concernant le Clos d'Espinous, on joue en tout cas dans un registre sudiste, ample, très différent, par exemple, du style “bourguignon” de ses voisins des Clos perdus (même si on y retrouve cette même fraîcheur de bon aloi). D'une certaine façon, les vins de Rémy Jalliet contredisent totalement, par leur volume, leur “volubilité”, sa discrétion presque excessive. Il en va de même pour sa grande cuvée La Mountadou (ça doit se dire Muntada, ça dans le patois du département d'à côté, non?), riche, également, charpentée et qui réclame impérativement quelques années de garde.


Ce qui me plaît aussi avec ce vigneron, c'est son manque d'opportunisme. Ça colle avec le reste de son caractère. Il pourrait bien sûr tenter de surfer sur la vague, chercher à “vendanger vert”, à dépouiller ses vins, à diluer ses jus et son talent pour être dans le mood, faire le djeun', coller aux attentes si fluctuantes des arbitres des élégances, bref, “baiser utile”. Il ne lui manque rien pour réussir dans la branchitude pinardière, une bonne gueule, un contact facile, un aprentissage dans les vignes "nordistes"… Ben non, il se contente d'élaborer les vins qu'il aime. Et qui correspondent à son terroir. Avec une détermination paysanne qui n'est pas sans me plaire. Il est vrai que quand on vit à  Villesèque-des-Corbières, on a sous les les yeux le résultat du manque de constance viti-vinicole. Sur des terroirs exemplaires, comme on en trouve tant dans ce bordel géologique du Comté de Durban*, des terroirs connus depuis si longtemps par les négociants malins, on a réussi à arracher plus du riers des vignes, de préférence les plus nobles. Quant à l'ancienne cave coopérative du village, joliment baptisée L'Avenir, elle appartient désormais au passé, les maçons sont en train de la transformer en crèche et en restaurant scolaire, ce qui est moindre mal quand on sait ce qu'il est advenu à celle du chef-lieu de canton, Durban, château du XXe siècle, purement et simplement rasée.


Est-il besoin pour un vigneron d'être médiatique? J'en reviens à l'interrogation de départ. Pourquoi pas. On a vu grâce à ça des carrières démarrer à la vitesse d'une fusée. D'un autre côté, des gens comme celui qui nous intéresse aujourd'hui s'en sortent plutôt bien, loin des sunlights et des caquètements des "volailles qui font l'opinion"; il a une clientèle semble-t-il fidèle, exporte bien, en Allemagne notamment, commercialement, il a choisi une autre voie. Être médiatique, est-ce que ça rend le vin meilleur? Pas toujours. On a même des exemples contraires de vignerons qui s'enferment dans une mode, dans un style qui n'est pas forcément le leur ou celui de leur terroir et qui finissent par se perdre. L'essentiel, n'est-ce pas de croire sincèrement à ce qu'on fait, de produire le vin qu'on aime. Et tant pis si on a l'amour discret…


* Voila d'ailleurs qu'on se remet à parler d'une appellation cru Durban, sur le modèle de ce qui existe à La Livinière ou à Boutenac. Et déjà on m'explique que l'Institut National des Appellations d'Origine cherche une cohérence dans ce terroir. Et n'en trouve pas évidemment, puisque c'est un bordel géologique et que c'est ce bordel, ce côté hétéroclite des terroirs et des climats, cette complexité, qui fait sa richesse. Du coup, on en vient à parler des cépages, et sur ce terroir qu'on n'arrive pas à unifier, à rêver d'imposer un monolithisme quasi kolkhozien: grosso-modo, on ne pourrait pas produire ici de 100% carignan, de 100% grenache, de 100% mourvèdre, tout cela au non d'une typicité imaginaire qu'on veut définir autoritairement, a priori, à la place des vignerons qui me semblent pourtant mieux à même de savoir ce qu'ils ont dans les cuves que les fonctionnaires de l'INAO. Je leur conseillerais donc, à ces fonctionnaires, de revenir à l'origine de leur mission, de pousser les murs, d'arrêter de voir les appellations comme des usines à gaz, des livres de comptes tenus par des comptables vétilleux. Qu'on réglemente par exemple l'usage du carignan dans certaines plaines ultra-productives, je peux éventuellement l'entendre, mais quand on parle d'appellations "villages", comme dans ce projet corbières-durban qui ressort des limbes, pourquoi ne pas autoriser qu'on puisse y élaborer un 100% carignan? Ou, je me répète, un 100% grenache (cépage tout aussi corbiérenc que le carignan,c'est-à-dire totalement immigré…)? Ou un 100% mourvèdre? Qu'on arrête avec des dosages théoriques, des assemblages théoriques faits dans des bureaux au nom d'une typicité imaginaire. Revenons à l'exemple historique (pour l'INAO) de Châteauneuf-du-Pape: on peut y utiliser les 13 cépages mais aussi y faire comme à Rayas un 100% grenache. Bref, faisons confiance au vigneron, ne le prenons ni pour un âne, ni pour un tricheur et redonnons-lui son libre arbitre…


Commentaires

  1. Comme toi : faisons confiance à Rémi !

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    1. en ce qui concerne le cru DURBAN il faut rappeler que c'est un très vieux dossier. le projet avait été initié par Antoine Verdale qui avait réussi à avoir le soutien de Mr Bentejeac délégué du ministère de l agriculture qui si j'ai bonne mémoire a été vigneron au chateau des Auzines.
      Ce monsieur avait d'ailleurs pondu un rapport pour aider les viticulteurs des Corbières à devenir vignerons .....
      En ce qui concerne le terroir de Durban j'avais travaillé dés mon arrivée à la chambre d'agriculture........ il y a un certain temps sur ce projet.
      Avec mes amis Jean Claude Jacquinet et Richard Planas nous avions identifié les caractéristiques de ce terroir
      le climat méditerranéen est ici tés marqué mais ce secteur est protégé des vents marin pendant la période végétative aussi le cycle végétatif est très long et permet une bonne maturité des raisins . Cette caractéristique climatique est vraiment spécifique au terroir de Durban
      En ce qui concerne les sols c'est vraiment une poubelle géologique: Calcaire dur de l'aptien, calcaire tendre de l'hettigien, terrasses et glacis ancien et schistes ...Mais tous ces sols présentent une caractéristique commune: une réserve en eau moyenne mais avec des profondeurs d'enracinement très importantes ce qui favorise un approvisionnement en eau régulier limitant les périodes de stress hydrique.
      cette description des terroirs des Corbières a été publié dans le PAV du 1/1/1989.
      Et c'est une bonne chose que grâce à l’arrivée de nouveaux vignerons ce projet revoit le jour ... Jean HERITIER

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    2. Je suis assez d'accord, Jean. Le seul truc, c'est qu'a priori, ces jeunes s'en fichent de ce cru Durban qui tourne à la médaille en chocolat pour grandes surfaces.
      Mais la bonne nouvelle, c'est que des jeunes ont envie de continuer, j'ai même été contacter par un jeune d'Embres-et-Castelmaure qui veut voler de ses propres ailes, en bio qui plus est!

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