Loue place au soleil pour vin inconnu, pas cher…

 
C'est une boutique assez étonnante qui vient d'être inaugurée en grande pompe dans le "8e arrondissement" de Madrid, le quartier chic de Salamanca qui regroupe la plupart des enseignes de luxe. El Sueño de Baco, le rêve de Bacchus vend du vin. Jusque là, rien de bien extraordinaire, si ce n'est que c'est quand même gonflé d'ouvrir une cave de deux cent quatre-vingts mètres carré, calle Goya, en pleine crise, dans la capitale d'un pays qui ne boit presque plus de vin. L'originalité d'El Sueño de Baco ne réside pas dans cette prise de risque financière (on parle de sept cent mille euros), plutôt dans le concept mis au point par des commerciaux issus de La Mancha, plus vaste appellation du monde, puits sans fond de la production espagnole. Il ne s'agit en aucun cas d'un caviste qui vend des vins qu'il a goûtés, qu'il aime, dont il connaît le vigneron pas plus que nous sommes là face un avatar de la grande distribution qui fait son beurre en attirant dans ses filets, grâce à des "foires" annuelles, une clientèle qui d'habitude le snobe. Cette boutique, pardonnez-moi l'anglicisme, est un show-room: les producteurs présents au Sueño de Baco ont payé* leur place pour voir leur bouteilles présentées ici. Et, "on se fiche du nombre de bouteilles qu'on vend", explique un des promoteurs du projet, Alejandro Landete à la radio Cadena Ser, l'idée est de donner une visibilité à ces marques désespérément noyées dans la masse pinardière ibère.


Pour sortir de l'anonymat ces vins issus de La Mancha, mais aussi d'autres DO de masse espagnoles dont certaines bodegas sont parfois un peu à la ramasse (La Rioja, Cataluña, Asturias, Castilla y Léon), El Sueño de Baco met les petits crus dans les grands. L'emplacement, j'en parlais plus haut, métro Velázquez, dans un des quartiers les plus commerçants de Madrid, et, comme le veut le mondovino local, un décor présumé futuriste, disegno, dans "la veine Cosmos 1999" (version mauve funéraire), qui domine l'architecture viticole espagnole depuis dix ans. Pas de faute, en revanche, pour ce qui concerne le matériel, les vins sont présentés dans des Enomatic, ces merveilleux "garde-vins" italiens qui m'ont séduit dès leur arrivée en France en 2006 et qui permettent de conserver et de réfrigérer impeccablement le vin.


Alors, comment ça marche? À votre arrivée au Sueño de Baco, on vous offre une carte magnétique qui donne droit à cinq verres gratuits, cinq doses en fait. Quand vous avez dégusté, vous achetez (ou pas) les bouteilles de ce que vous avez aimé. Et on vous offre une nouvelle carte Enomatic. L'idée est finalement assez simple, on rejoint ce principe ancien, inscrit notamment dans le Code Napoléon qui spécifiait que pour certains produits comme le vin la transaction n'était effective qu'après agrément dudit produit. De ce point de vue là, je trouve l'idée plutôt sympa: surtout dans un pays d'archi-buveurs d'étiquettes et de notes Parker, réintroduire l'idée que ce qui compte, c'est ce qui est à l'intérieur de la bouteille, que le vin c'est fait pour boire et que ça doit plaire à celui qui l'achète, ça me semble sain. Après, je connais certains des jus présentés; sur le papier, ce n'est pas là que j'ai envie de faire mon marché, mais je le sais, je suis difficile, on me le reproche souvent**… Il est évident, compte-tenu du quartier, de l'environnement, du lieu, que celui qui aura goûté gratuitement se sentira un peu "ficelé", obligé donc d'acquérir un ou deux flacons. Mais bon, c'est de bonne guerre. De toute façon, encore une fois, personnellement, ce Sueño ne me fait pas rêver, pas plus que ses caldos*** industriels, mais il y a de la place pour tout le monde et je trouvais l'idée suffisamment intéressante pour vous en dire quelques mots.


* les tarifs sont assez "discrets" mais il est évident que le business des promoteurs se fait sur la location de l'espace, pas sur la vente de bouteilles. Je précise d'ailleurs qu'on y fait également goûter des huiles d'olives.
** on m'a même récemment fait dire que ce serait tellement plus cool si je me mettais, comme tout le monde, à aimer les grandes marques de négoce de René Barbier, Telmo Rodríguez et de la famille Palacios. Mais, je suis paresseux, j'aime pas faire des efforts…
*** des "bouillons", des "soupes", on dirait des jus en français, un mot honni des winesnobs ibères mais utilisé sur le site Web d'El Sueño.


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