L'exception qui confirme ma règle.
Qu'ils aient étudié ou non la zoologie, tous les amateurs de rugby le savent, le springbok est une espèce de gazelle qu'on trouve en Afrique du Sud. Cet animal gracieux dont le nom afrikaans signifie "antilope sauteuse", ou "antilope à ressorts" a donné son nom à une des équipes les plus redoutées de la planète ovale; on n'a pas oublié, entre autres, leur come-back sur la scène internationale, en 1992, lors de leur première tournée post-apartheid. Je me suis d'ailleurs parfois demandé le rapport entre la légèreté de cette gazelle et ceux dont elle ornait le maillot. Même si, ne soyons pas injustes, on a vu dans leurs rangs de merveilleux joueurs, vifs et allègres, tel Bryan Habana.
Alors, je dois l'avouer, comme avec leur rugby, j'ai un peu de mal avec les vins sud-africains. Je sais, ce n'est pas beau de généraliser, mais voici vraiment un pays dont les bouteilles ne m'ont toujours apporté que très peu d'émotion: souvent archi-boisés, volontiers lourdingues, technologiques en diable, j'ai même tendance, désormais, à manifester pour eux plus qu'un a priori, une certaine forme de rejet. Logique, mais un peu idiot. D'autant que je ne suis pas obtus, et en aucun cas réfractaire aux vins du nouveau Monde: il m'arrive même de succomber à leurs charmes, qu'il s'agisse, par exemple en Australie, des chardonnays de Rick Kinzbrunner ou des pinots noirs de Phillip Jones, que je trouve dignes de Mrs Peel, c'est dire…
Heureusement, il existe (au moins) une exception qui confirme ma règle, un cru aux antipodes des jus caricaturaux qui font la gloire de l'Afrique du Sud chez les pourvoyeurs de vins industriels anglo-saxons. Un vin-gazelle, un vin-springbok, gracieux, aérien, pour peu qu'on lui laisse le temps de s'exprimer. C'est d'ailleurs autant un mythe qu'un vin, et quand on le boit (ce qui m'est arrivé à trois reprises), on se délecte presque autant de sa bouteille asymétrique et de son étiquette éternelle que de son essence-même. J'ai goûté le 94 et récemment le 97. J'ai adoré leur nez de "vieux" très finement poussiéreux, comme pour atténuer (à la façon dont on doit user une paire de belles chaussures de Northampton) l'éclat des arômes de marmelade d'orange et de citron confit, de "parfum de doux-amer" qui, sinon, vous sauterait trop violemment au nez. Un enchantement. Et puis, le boire, c'est un peu comme lire Points de Vue et Images du Monde, on partage le quotidien du Gotha qui se l'arrachait au XVIIIe, les larmes de Napoléon qui y noyait (apparemment dans une version agrémentée de mort-aux-rats) sa solitude de Saint-Hélène. Personnellement et plus simplement, je le trouve divin, à la roussillonnaise, sur une tarte au citron* pas trop sucrée.
Ce vin, vous l'avez reconnu, c'est le muscat de Klein Constantia, lointain écho d'une des premières pierres du vignoble sud-africain, puisque le domaine fut créé en 1685. En réalité, si la bouteille a conservé sa forme historique, les vignes, elle sont beaucoup plus récentes, elles ont été replantées en 1981; le muscat de Frontignan, à petits grains, y a remplacé les variétés plus vulgaires qui pourtant firent jadis sa gloire. Le terroir, lui est resté le même, un sol granitique dans un climat relativement frais et qui n'impose pas l'irrigation, très fréquente dans cette région. Quand on boit un flacon de Klein Constantia, on boit de l'histoire, tout du moins une belle reconstitution historique. S'y ajoute également pour moi un brin d'histoire personnelle, et même une pensée pour ce sacré Georges "Five" Dos Santos, le bistrotier-caviste majuscule de Lyon.
C'est bien d'un vin "sentimental" dont je parle, ce qui d'une certaine façon nous ramène à mon propos d'hier sur la liberté d'aimer ou pas un cru, sur le droit absolu à la subjectivité. Les Klein Constantia ont-ils la profondeur des vieux tokays ou même de ce formidable Loin de l'œil 2010 de Plageoles, d'une folle élégance, qui fut un des soleils de l'été? Je ne pense pas, mais peu importe. Il y a un temps pour tout. Et, comme dans une équipe de rugby, fut-elle frappée du saut des springboks, de la place pour tous les styles et tous les gabarits.
* Immanquablement, quand je pense à cet accord vieux muscat/tarte au citron, me reviennent en mémoire les repas d'il y a plus de dix ans à la table d'hôtes du Domaine de Nidolères, au Boulou, grande adresse où il faudrait que je retourne peut-être. Tout comme dans cet autre lieu improbable des Albères dont n'arrêtent pas de me parler mes potes perpignanais.
* Immanquablement, quand je pense à cet accord vieux muscat/tarte au citron, me reviennent en mémoire les repas d'il y a plus de dix ans à la table d'hôtes du Domaine de Nidolères, au Boulou, grande adresse où il faudrait que je retourne peut-être. Tout comme dans cet autre lieu improbable des Albères dont n'arrêtent pas de me parler mes potes perpignanais.
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