La guerre du mousseux aura-t-elle lieu?
À moins de deux mois de Noël, c'est une idée qu'on essaye de chasser de son esprit. N'empêche que les industriels du mousseux, principalement installés dans la lointaine banlieue de Barcelone, sont bien obliger de l'évoquer ici et là: et si les Espagnols décidaient à nouveau de boycotter les bulles catalanes? La région est en effet une très grosse productrice de vins effervescents souvent bas-de-gamme, à la fois hyper marketés et ringards, appelés cavas, et qui constituent le plus important bataillon du "champagne espagnol". Sur les deux cent quarante millions de bouteilles élaborées dans les usines du coin, 36%, soit plus de quatre vingt six millions de cols, sont consommées en Espagne, hors Catalogne.
Mais vous l'avez tous plus ou moins lu dans les journaux, le désastre économique aidant, cette région est sujette à une très forte poussée nationaliste, encouragée, pour noyer le poisson, par des partis au pouvoir dont les responsables (?) s'expriment en public comme au café du Commerce et considèrent le populisme et le poujadisme comme des armes électorales normales. Du coup, il ne s'écoule pas une journée sans que le reste des Espagnols soit traités (tels les "bougnoules" qu'en a fait d'eux l'imaginaire catalaniste), des paresseux, voleurs, ignares, etc, etc… Le problème, tous les commerçants le savent, c'est qu'insulter ses clients ce n'est pas le meilleur dopage qu'on puisse administrer à son chiffre d'affaire. D'autant qu'il y a quelques années, à propos d'une autre querelle, pourtant moins aigüe, une campagne de boycott du mousseux catalan avait été lancée, et relativement suivie en Espagne; le cava avait vu ses vente chuter de plus de 4% en très peu de temps.
Ces temps-ci, cette envie de snober les produits catalans, dont l'emblématique mousseux, semble donc refaire surface. On voit naître sur Facebook de nombreuses pages qui militent en ce sens, à l'image de celle-ci. Et on m'a fait passer vendredi dernier un bon vieux document Powerpoint des familles, créé en 2008, récemment relancé par un certain Raúl Serrano Estaún, basé du côté de Saragosse et qui, si mes informations sont bonnes, serait proche de la Droite espagnole. Dans ce fichier qui tourne sur le Web, on explique que la mairie de Vilafranca de Penedès, dont les zones industrielles (en concurrence avec celles de Sant Sadurní d'Anoia) abritent de nombreuses usines à cava, refuse de hisser les couleurs espagnoles que ses élus mépriseraient. Et on y indique également que d'autres régions de la Péninsule produisent du cava et qu'il serait donc de bon ton de se fournir ailleurs**; une de ces régions, l'Aragon voisin, indiquait d'ailleurs récemment qu'elle s'attendait à une hausse de ses ventes de mousseux. Je ne saurais d'ailleurs trop conseiller aux vignerons "à bulles" de Limoux, de Gaillac, du Bugey, de Die, d'Alsace (dont les produits sont généralement d'un tout autre niveau que celui du "pauvre" cava!) d'aller prospecter du côté de "l'Espagne espagnole", on ne sait jamais, au cas où la seconde guerre éclaterait avant les fêtes de fin d'année…
* l'économie de la région catalane est catastrophique: la dette y est abyssale, la plus élevée d'Espagne, et en progression constante. Quant au chômage considérable, il touche 22% de la population active, bien plus que dans les régions riches, le Pays basque, Madrid ou la Navarre, par exemple.
** si on était mauvaise langue, on pourrait d'ailleurs ajouter que ça ne changerait pas grand chose au goût, le cava étant en général tout sauf un vin de terroir, on se demande même parfois si c'est un vin!
** si on était mauvaise langue, on pourrait d'ailleurs ajouter que ça ne changerait pas grand chose au goût, le cava étant en général tout sauf un vin de terroir, on se demande même parfois si c'est un vin!
J'avions (comme dirait Jacques Berthomeau...) complètement oublié que l'on trouvait d'autres cavas en Espagne, ailleurs qu'en Catalogne. Merci de le rappeler...
RépondreSupprimerIl n'y a qu'un français pour considérer l'intangibilité absolue des frontières du XXème siècle. L'Espagne a fait sa Révolution durant la guerre civile et le parti de l'ordre l'a emporté. Du coup, il ne s'est écoulé qu'un peu plus de 30 ans de pratique démocratique depuis l'abandon du conservatisme autoritaire. J'adore votre blog mais quand vous parlez de politique ça manque souvent d'équilibre. La nationalisme catalan peut être discutable ou condamnable sur bien des points mais au niveau économique, remettre sans cesse le chômage et la dette autonomique comme illustration de vos démonstrations, c'est lassant. Si la Catalogne coupe plus ses budgets éducation et santé qu'au pays basque, il y a peut être une raison. Si ces retallades s'imposent au titre de l'endettement de la région alors que la pays basque n'est pas dans ce cas, il y a peut être une raison. Ces deux régions ont grosso modo la même structure socio-économique mais le "concert économique basque" (pacte fiscal en catalan) permet des voluptés budgétaires que "d'altres" n'ont pas. En tant que français, je comprendrais que l'Espagne décide d'une voie d'intégration nationale si elle n'était pas un Etat régional asymétrique qui accorde à certains ce qu'elle refuse à d'autres. Si le sentiment national catalan se développe c'est aussi parce que ce pays n'a jamais proposé de projet national à la sortie du franquisme. La monarchie parlementaire régionalisée est le coupable absolu, dommage que vos excellents articles ne dépassent pas l'écume des choses quand la politique est abordée.
RépondreSupprimerJuste quatre remarques:
Supprimer1°) Il n'y a pas qu'un Français pour s'inquiéter qu'en ces périodes de crise on détourne l'attention avec des invectives national-populistes, beaucoup d'autres Européens pensent que les Espagnols, dont les Catalans ont actuellement mieux à faire, à travailler notamment. Au delà du fait que jouer à ce jeu-là dans ce genre de périodes, c'est assez irresponsable…
2°) Pourquoi seulement comparer avec le Pays basque? Comparez avec Madrid, ce sera fiscalement équitable, et, en plus, les Catalans adorent le faire…
3°) C'est peut-être plus tôt, au XIXe que l'Espagne a oublié de devenir une nation.
4°) Rejeter la faute sur les autres, c'est bien, assumer ses propres responsabilités, c'est mieux. Pour ce qui est des folies économiques, immobilières et spéculatives notamment, les hommes politiques catalans n'ont rien à envier à leurs autres collègues espagnols, dans ce grand n'importe quoi, ils ont mis leur seny bien au fond de leur poche, leur mouchoir par dessus. Que dire aussi de la gabegie des chaînes de TV, des "ambassades", de la politique linguistique? Et voulez-vous qu'on parle de corruption, de Palau de la Musica, de Péages, de ITV, pendant qu'on raconte au "bon peuple" que "Madrid le vole"?
Juste un exemple, en passant, d'un méchant journal "franquiste" (puisque c'est ainsi qu'on qualifie ceux qui ne sombrent pas dans le national-populisme): http://politica.elpais.com/politica/2012/06/08/actualidad/1339184302_442059.html
Merci pour votre réponse mais si je compare le Pays Basque à la Catalogne c'est qu'il s'agit de communautés historiques à statut particulier, les périmètres de comparaisons constitutionnelles sont importants en Espagne... Il faut rapprocher la dette basque de son "concert économique" pour se rendre compte du mirage sur lequel est bâti ce pays.
SupprimerSi vous voulez prendre le XIX comme période de référence vous allez faire plaisir aux catalans mais je trouve que la période moderne apporte beaucoup plus de réponses sur ce qu'est ce "pays" !
Je n'ai abordé le sujet que sous l'angle de l'asymétrie économico-constitutionnelle, vous jugez une situation politique à partir de clichés sur des faits divers générés par toutes les démocraties occidentales (Millet, Palau, Gurtel c'est la même chose que carrefour du développement, la mairie de Paris et autres) . Il n'y a rien de catalan ou d'espagnol dans ce que vous décrivez. Par contre je comprends la dissonance cognitive qui doit s'emparer d'un citoyen espagnol quand se pose la question territoriale du mode de remboursement autonomique de ses médicaments, de son régime TVA, de son impôt sur le revenu et de son système éducatif. Je ne dis qu'une chose c'est que le nationalisme catalan occupe le débat national parce que ce pays n'a jamais choisi entre la voie d'un Etat national intégré et une Confédération à "l'européenne". Et déqualifier ce mouvement parce que la région est endettée et pleine de chômeurs, c'est biaiser les termes du débat. C'est juste dommage de mon point de vue.
Sinon je ne sais toujours pas pourquoi les frontières de l'Espagne sont plus intangibles pendant une crise financière que celles de l'Empire Austro-Hongrois durant toute sa mouvementée existence, merci de m'édifier.
Parce que la question qu'on est en droit de se poser, au regard de l'Histoire, c'est de savoir si une grave crise économique, sociale, est le meilleur moment pour faire du nationalisme l'alpha et l'oméga du débat politique.
SupprimerCela étant, dans ce billet, il n'était pas question de frontières, si ce n'est, implicitement, celles que les populistes catalans sont en train de bâtir entre l'Espagne (et éventuellement l'Europe) et eux.
Mais comme nous digressons, je vous offre un autre éclairage sur le fond de l'âme nationaliste catalane avec cette citation issue d'un texte des années 70 expliquant ce qu'on pouvait penser des "pauvres Andalous" (ce qui nous ramène très exactement à mon billet). Je précise bien qu'il ne s'agit pas d'un de ces monstrueux discours tenus dans l'Allemagne des années 30 pour décrire "l'homme juif":
"El hombre andaluz no es un hombre coherente, es un hombre anárquico. Es un hombre destruido, es, generalmente, un hombre poco hecho, un hombre que vive en un estado de ignorancia y de miseria cultural, mental y espiritual. Es un hombre desarraigado, incapaz de tener un sentido un poco amplio de comunidad. De entrada constituye la muestra de menor valor social y espiritual de España. Ya lo he dicho antes: es un hombre destruido y anárquico. Si por la fuerza del número llegase a dominar, sin haber superado su propia perplejidad, destruiría Cataluña."
Charmant, non? Vous savez qui en est l'auteur?
C'est Jordi Pujol, ça date de 1958 et tout a été dit, commenté, amendé il y a fort longtemps. Vous focalisez sur CiU et CDC mais le nationalisme catalan dépasse en profondeur et en antériorité l'horizon et les champs partisans de la crise actuelle. Je ne suis pas convergents, ni rien d'autre d'ailleurs. J'observe la société politique catalane et Rivera et ses ciutadans ont un discours neuf dont j'entends les échos au républicanisme théorique mais vous vous en tenez encore à l'écume du débat. J'espère que les nationalistes espagnoles vous horripilent autant que les catalans quand ils menacent de renvoyer l'armée rétablir l'ordre, mais cela aussi tient à l'écume des choses. Le fond du problème c'est quel projet national crédible l'Espagne propose face au "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Demandé autrement, qu'est-ce qui rend l'Espagne incontestable ? Si votre seule réponse se limite au contexte économique, je comprends les jalons posés par les nationalistes pour plus tard...
SupprimerDésolé de troller votre blog (et ce sujet) dont je suis un lecteur passionné depuis longtemps mais ça faisait quelques mois que je voulais aborder tout cela avec vous
C'est effectivement Jordi Pujol qui a écrit ces horreurs, mais en 1976 (Jordi Pujol i Soley - La immigració, problema i esperança de Catalunya - 1976, Editorial Nova Terra).
SupprimerL'histoire de l'intervention de l'Armée, la polémique ridicule sur les "attaques aériennes de la Catalogne", ça, on n'en parle même pas, laissons-le aux ânes…
Nier l'impact du contexte économique me semble difficile. après, c'est comme la tramontane sur un départ de feu de forêt: à 10 km/h, on éteint tout; à 100 km/h, c'est le désastre.
Livre écrit en 1958, je maintiens (mon mémoire de sciences politiques avait Jordi Pujol pour sujet). 1976 c'est la date de l'édition la plus récente et pour avoir évoqué ce sujet avec cet immense personnage de l'histoire, toutes les lettres d'excuse et articles publiés sur ce thème n'atténuent pas son sentiment de culpabilité. Mais ce livre contenait des éléments bien moins scandaleux et les écrits post-franquistes de Pujol sur une nation catalane non organique sont autrement plus moderne et visionnaire. Et je répète que je ne suis pas "convergent" et plutôt républicain au sens français du terme.
SupprimerPour le reste, vous ne répondez pas à la question du caractère incontestable de l'Espagne. Quand les Calédoniens se révoltent nationalement dans les 90's , il n'y a pas de crise économique. Est-ce plus respectable ?
Désolé, vous le savez comme moi, en cas de réédition, l'auteur dispose d'un droit de regard, il peut alors amender, biffer, ajouter… Ces phrases figurent telles quelles dans la version de 1976. Et sont fréquemment resservies sous une forme ou une autre par les héritiers spirituels de Jordi Pujol. La dernière fois, il y a peu, c'était Artur Mas évoquant le niveau des écoliers andalous. La technique est connue, on vocifère, puis discrètement on s'excuse. Duran a fait pareil avec les homosexuels qu'ils voulait soigner.
SupprimerPour le reste, ne mélangeons pas tout.
Sur ce, je vous quitte, je dois justement aller répondre à une ITW de la télévision française sur ce thème du nationalisme catalan galopant. Bonne fin de journée.