M comme moléculaire (effets secondaires).

 
Évidemment, avec le billet de l'autre jour qui racontait ma descente moléculaire chez le principal concurrent de Ferran Adrià à Barcelone, je suis encore passé pour un anarchiste, un iconoclaste, un blasphémateur! Que voulez-vous (air connu), on est toujours le gauchiste de quelqu'un… N'empêche que j'ai été bien puni de mes frasques dans l'univers de la bouffe chimique, j'étais gonflé comme le LZ 129 Hindenburg le 6 mai 1937 à Lakehurst. Bref, encore un point commun avec les admirateurs de la géniale cuisine de feu El Bulli, j'ai eu, in fine, un long rendez-vous, en tête-à-tête, avec la Nature (laquelle avait pris l'apparence d'une cuvette de chiottes).
Je ne vais pas vous entretenir plus longtemps des désagréments que m'a causée cette "expérience", vous avez été nombreux à me le dire: "je l'avais bien cherché!" N'empêche, c'est la formation scientifique, on ne se refait pas, j'ai beaucoup réfléchi, et très sérieusement, à cette histoire de sommellerie moléculaire qui avait été le point de départ de ma démarche. J'avais en effet échafaudé une hypothèse de travail (qui était la conclusion de ce billet) selon laquelle, sur de la merde, l'accord parfait, c'est la pisse. D'aucuns, des vétilleux, des scrupuleux, ont trouvé ça trop lapidaire, m'ont demandé à voir mes calculs, à pointer mes démonstrations. Soit!


Pour simplifier, on nous explique, donc, dans cette révolutionnaire théorie de la "sommellerie moléculaire" dont le Canadien François Chartier a fait son fond de commerce, que l'on va analyser toutes choses, liquides et solides, que nous ingérons et y détecter les composants aromatiques qui s'y trouvent. Ainsi, quand ces composants seront identifiés, comme dans les jeux pour nouveaux-nés (je simplifie, je le répète), on pourra faire des paires, des accords comme on dit dans les restaurants: on fera aller ensemble, les carrés avec les carrés, les ronds avec les ronds, les jaunes avec les jaunes, les bleus avec les bleus, etc, etc… Je ne vais pas entrer dans le détail de ce qui m'oppose à cette théorie des accords parfaits, dire à quel point cette recherche maladive de perfection m'ennuie, rappeler qu'au delà de l'accord existent souvent des dissonances, des contrastes inoubliables. Non, je voudrais juste poser une question: comment peut-on, avec ce procédé, échapper à la standardisation?


Car, pour qu'elle fonctionnent, les fameuses formules magiques, "scientifiques", de la "sommellerie moléculaire", il faut impérativement que les produits, liquides ou solides, qu'on va faire marcher au pas soit parfaitement conformes à la formule chimique qui est censée être la leur. Il est indispensable qu'ils entrent dans un cadre normatif, standardisé, comme je l'écrivais plus haut! Sinon, tous les accords parfaits voleraient assurément en éclat, les calculs mathématiques s'en trouveraient faussés. En clair, ça marche pour un Mac Do' et un Coca-Cola, invariables (et encore…) d'un bout à l'autre de la planète, éventuellement pour un vin industriel et de la nourriture ISO je-ne-sais-plus-combien, pour des tomates espagnoles ou du fromage de supermarché, pour de l'inerte, du pasteurisé. Mais, dès qu'on va attaquer le sensible, l'artisanal, le fin, le mouvant, le paysan, le pur, le vivant, patatras! Le problème, comme d'habitude, c'est la Nature, cette saloperie de Nature qu'il faudra bien un jour réglementer…


Et, désolé, tant qu'à rentrer dans des considérations ringardes et désuètes, parlons de l'emmerdement suprême. Celui qu'à mon avis, il faudrait résoudre au plus vite, afin d'assurer le succès de ce Meilleur des Mondes gastronomique qu'on nous promet. Le facteur humain. L'empêcheur de tourner en rond, le grain de sable dans la machine, l'impedimentum. Tant qu'à faire, finissons-en avec l'humain! Débarrassons-nous de ces clients qui, par leur tares, interdisent à des sommeliers aussi géniaux de briller de tous leurs feux (et au passage, contre un petit chèque, de fourguer des picrates pas terribles)! Oui, supprimons les clients! Remplaçons-les par des robots, des robots qui mangent, des robots qui boivent, qui peuvent avaler une succession de 27 plats arrosés de 62 vins sans éprouver aucun effet secondaire et en se prosternant à chaque accord devant l'immense virtuosité du sommelier, "éblouissant soleil de nos caves" comme on dirait en Corée du Nord. Tiens, d'ailleurs, j'y pense, et si, dans notre quête effrénée de perfection, ce sommelier, on le remplaçait aussi par un robot?


Commentaires

  1. Ce n'est pas seulement très drôle, c'est juste, aussi. Quiconque a bu un jour un verre de sauternes avec des huîtres chaudes (une tombée de parmesan, trois gouttes de crème fraîche, une lamelle de truffe noire) le sait bien.

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    1. Oui, parce que j'en ris, mais quand je vois le nombre de connaisseurs, d'experts qui écoutent ces sornettes sans broncher, j'ai plutôt envie de pleurer! Remarque, ils sont payés pour…

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  2. Plus je vous lis, plus je vous aime Vincent.
    Et j'adore vous lire et je n'arrete pas de vous lire...
    C'est bon, nom de Dieu.

    Tom B.

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    1. Merci, Tom, mais ce n'est rien de très compliqué, je réfléchis juste à ce que je ressens.

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    2. Moui menfin c'est pas que ça Vincent...

      Je sais aussi pourquoi j'aime ce que vous écrivez.
      Si c'est compliqué ou pas de faire ce que vous faites, de dire ce que vous dites, de voir ce que vous voyez, et de l'exprimer comme vous l'exprimez, c'est pas vraiment la (ou les) question(s) qui m'importe(nt). Je me retrouve (avec des nuances plus ou moins grandes dues à mon hummm ..."irréfutable altérité") dans votre vision du monde/sensibilité. Ce qui m'importe c'est que vous le fassiez et ça me fait simplement du bien de vous lire. J'aime bien les mecs qui ont des cojones, du style, de la sensibilité et qui réfléchissent autrement que tel un comptable, vendeur ou fashion-victim, à notre monde ... "Réfléchir à ce qu'on ressent", non non c'est pas si commun, Vincent.

      Tom B.

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    3. Ca serait pas un peu de la moquerie/ironie cette tirade ?

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  3. Non, c'est sincère.
    Aucun second degrès.

    On n'est pas obligés de baigner constamment dans ce cocktail déformant de paranoïa/mépris/amertume si propre à notre époque/pays.

    Tom B.

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