Œil de perdix, who killed bambi?
À notre époque, une des meilleures façons de nous montrer humain, c'est d'aimer les animaux. De les aimer bruyamment. Avec force cris et gestes. Avec force démonstrations. Quitte à les aimer davantage que nos semblables. Qui, aujourd'hui, oserait, sauf à passer pour un monstre sanguinaire, s'opposer à la disneylandisation des esprits? Personne. "Who killed Bambi?" chantaient Edward Tudor-Pole avec les Sex Pistols. Tout un symbole, d'ailleurs, parce que ce paso doble co-écrit par la couturière Vivienne Westwood débutait par un olé musicalement coloré, qui ajoutait "l'horreur" de la corrida à celle de la chasse.
Pourtant, je regarde la tête de cette perdrix sur le billot et je ne peux m'empêcher de la trouver belle. Une nature morte. Un animal sans vie, un oiseau que l'on va finir de plumer, minutieusement et dont le sacrifice va nous nourrir. Dont la chair parfumée va nous procurer un plaisir inouï. "Orgasmique" me glisse-t-on l'oreille.
Eh oui, la bonne cuisine, celle de nos campagnes, de nos grand-mères n'est pas très compatible avec celle du pays de Mickey. On y saigne, on y étripe, on y éviscère, on y étouffe, on y piège, on y fusille, on y pêche… Et moi, sincèrement, plus je suis près du saigneur, mieux je digère. Plus je sais d'où vient cette bête, qui l'élevait, qui l'a chassée, ce quelle mangeait, quelle était sa race, plus je me régale. Et je n'arrive pas à voir autre chose que de la logique et de la gourmandise bien comprise dans cette constatation. Je préfère voir mourir, bien mourir une bête qui a vécu naturellement que de feindre d'ignorer, comme tant de mes contemporains, la vie sans vie qui a précédé l'arrivée d'une bidoche de batterie dans une barquette de polystyrène expansé. Loin des yeux, loin du cœur, une notion à la mode dans cette société de consommation qui nous nourrit abondamment, trop parfois, trop facilement.
Cette jeune perdrix des Pyrénées, achetée la veille au volailler du marché de la Boqueria, en slalomant entre les grappes de touristiques-photographes est maintenant parfaitement plumée. Je vais l'ouvrir en crapaudine, l'aplatir d'un coup de feuille. Je l'aime à la graisse de canard, malheureusement, je n'en ai plus. Et je ne suis pas assez téméraire pour en acheter en Catalogne. Ce sera donc de l'huile d'olive andalouse, de Baena, bouillante, qui va colorer la peau du bel oiseau. La cuisine s'emplit d'odeurs extraordinaires. Après les cèpes et les trompettes de midi, c'est sûr, nous sommes en automne. Une poignée de minutes plus tard, la perdrix est bronzée. Comme une touriste sur la Costa Brava. Dans la cocotte, je ce qu'il me reste de la merveilleuse ventrêche roulée, idéalement rance, achetée en août au marché de Réalmont. C'est un crescendo! Puis vient l'oignon doux de Figueres, émincé. Un demi chou vert. Et deux grains d'ail rose de Lautrec. Puis un verre d'un vieux blanc de Tondonia qui traînait par là, un reste de têtes de vieux cèpes en persillade, du sel, du poivre blanc, en pagaille. J'ai vingt minutes devant moi, le temps d'essayer de deviner quelle bouteille va arroser ce dîner presque frugal mais carrément princier.
Le vin est splendide, du grenache, il n'y a guère de doute. Je pense à Bonneau, à Bonneau quand ça va bien, quand la bouteille n'est pas partie en sucette et que ça sent le grand châteauneuf-du-pape. C'est du grenache, un poil usé, mais d'un charme fou. Raté! Ce n'est pas du Bonneau, juste la grande sœur de ce que nous avions bu le dimanche précédent à la sidreria de Pampelune. La Mémé de Gramenon, millésime 2005, correctement aérée. De la griotte, un peu de laurier, et cette chair, ce soyeux. En tout cas, avec la perdrix, ce sera un bonheur. Olé!
Six-sept minutes avant la fin de la cuisson du chou, je pose l'oiseau sur le chou. Et je remets le couvercle. À table! Avec juste une belle grosse tranche de miche de campagne de mes boulangères chéries de la Barceloneta, les divas de Baluard. Et la Mémé, de plus en plus volubile. Les suprêmes sont fondants. Je pense d'ailleurs à ce moment-là à un filet de biche (la maman de Bambi?) qui nous attend de l'autre côté des Pyrénées, chez un chasseur des Corbières. Oui, moi aussi j'aime les animaux. Et parfois même quand ils sont morts. Quand ils ne sont pas morts pour rien.
* En plus de la chanson des Sex Pistols, je vous conseille d'aller aussi jeter un œil à ce blog, Who killed Bambi?
Dire qu'on m'a élévé pour ça
RépondreSupprimerPour?
SupprimerPorn cop
SupprimerEt vous avez mangé bambi au dessert après la perdrix ?
SupprimerNon, Reggio, mais on va bientôt manger sa mère. En filet.
SupprimerLa perdiz ? ... ces bricolos...
SupprimerToujours un plaisir de te lire
RépondreSupprimerEt hop, dans l'estomac, elle ne l'aurait pas volé cette cocotte !! Quelle belle fin/faim! Bises
RépondreSupprimer