Etxebarri, le Paradis, le Purgatoire et l'Enfer. (suite et fin)
CHAPITRE II, L'ENFER.
Comme promis, nous sommes toujours au Pays basque, en Biscaye, dans le petit hameau d'Axpe, à Etxebarri. Je vous parlais hier de la cuisine à la braise de cet asador de campagne devenu restaurant international par la grâce d'un guide aux jugements somme toute artificiels, souvent ridicules et parfois rocambolesque. Vous me direz que demander à des Anglais (sponsorisés par une marque d'eau à bulles) de nous enseigner ce qu'on doit manger, c'est aussi congru que de transformer un pilier gallois en petit rat de l'Opéra…
J'évoquais la cuisine d'Etxebarri, donc, ce qu'elle a de charmant, d'extraordinaire même (comme les exquises gambas de Palamós), ses points faibles également, mais il ne vous a pas échappé que je n'ai pas pipé mot des boissons. Tout simplement parce que la carte des vins de cet établissement est un tel contre-sens, une telle aberration qu'elle en devient remarquable, un cas d'école, l'illustration du vide d'une certaine sommellerie espagnole et mérite un billet à elle seule.
J'en reviens à l'arrivée à Etxebarri, à ce "plaisir de l'escalier", à l'avant. Dans cette vallée du silence, devant cette maison, on s'attend (conditionnement médiatique?) à être confronté à une "cuisine paléolithique", à une cuisine des origines. Il me semble que, naturellement, on est alors pris d'une soif assortie à cet appétit de pureté, à une soif delteillienne, quelque part (mots tellement galvaudés) entre fraîcheur et minéralité. D'autant que cette cuisine de la grille est une des plus fougueuses amantes du vin, à l'opposé des bidouillages chimiques qui eux dénaturent les crus et détruisent toute possibilité d'accord, fut-il "moléculaire".
Je ne vais pas tomber dans ce travers assez français, m'exclamer "il n'y a rien à boire!" Il y a de jolies bouteilles, pas chères en plus, sur la carte de ce bel établissement, mais pour la plupart imbuvables parce qu'infiniment trop jeunes, il y a du Dagueneau, du Selosse, du Roulot… Tiens, rien que Jean-Marc Roulot, par exemple, on vous propose du Meix-Chavaux, un de ses meursaults les plus exubérants, les plus riches, à garder vingt ans; là, on vous le sert non seulement très jeune, mais, en plus, c'est du 2009 millésime solaire s'il en est! Ce serait tellement plus malin de boire son "petit bourgogne! D'une façon générale, on a l'impression que le sommelier qui a fait cette carte (on dirait en fait plus le travail d'un technico-commercial que d'un sommelier) a surtout cherché à accumuler les références, à compiler des noms. Ça me fait irrésistiblement penser à Eddie (Jennifer Saunders) dans Ab' Fab', "names, names, names!"
J'en reviens à l'arrivée à Etxebarri, à ce "plaisir de l'escalier", à l'avant. Dans cette vallée du silence, devant cette maison, on s'attend (conditionnement médiatique?) à être confronté à une "cuisine paléolithique", à une cuisine des origines. Il me semble que, naturellement, on est alors pris d'une soif assortie à cet appétit de pureté, à une soif delteillienne, quelque part (mots tellement galvaudés) entre fraîcheur et minéralité. D'autant que cette cuisine de la grille est une des plus fougueuses amantes du vin, à l'opposé des bidouillages chimiques qui eux dénaturent les crus et détruisent toute possibilité d'accord, fut-il "moléculaire".
Je ne vais pas tomber dans ce travers assez français, m'exclamer "il n'y a rien à boire!" Il y a de jolies bouteilles, pas chères en plus, sur la carte de ce bel établissement, mais pour la plupart imbuvables parce qu'infiniment trop jeunes, il y a du Dagueneau, du Selosse, du Roulot… Tiens, rien que Jean-Marc Roulot, par exemple, on vous propose du Meix-Chavaux, un de ses meursaults les plus exubérants, les plus riches, à garder vingt ans; là, on vous le sert non seulement très jeune, mais, en plus, c'est du 2009 millésime solaire s'il en est! Ce serait tellement plus malin de boire son "petit bourgogne! D'une façon générale, on a l'impression que le sommelier qui a fait cette carte (on dirait en fait plus le travail d'un technico-commercial que d'un sommelier) a surtout cherché à accumuler les références, à compiler des noms. Ça me fait irrésistiblement penser à Eddie (Jennifer Saunders) dans Ab' Fab', "names, names, names!"
Bref, tout ou presque dans cette carte est convenu, d'un conformisme absolu. Il est vrai que l'originalité, ce n'est pas vraiment la qualité première du sommelier espagnol dont on souvent l'impression qu'il coche des cases, qu'il signe des formulaires pré-remplis, sans aucun investissement personnel, sans aucune curiosité, aucune sensibilité, aucun amour. Car, franchement, pour "construire" une carte pareille, il n'y en a pas pour très longtemps, une heure à peine, avec quelques guides, un bon carnet de chèques, un ordinateur qui fonctionne et le téléphone d'un ou deux revendeurs. Et surtout, sans tire-bouchon (mais avec la bouteille de Coca-Cola à portée de main)! Cette vision du vin, déshumanisée, panurgique, flambarde, m'insupporte. Et plus encore à la table d'une belle maison comme Etxebarri que dans tel ou tel restaurant de pijos où ce serait finalement normal.
Je sais qu'en écrivant tout cela, je ne vais pas me faire que des amis, on m'a d'ailleurs demandé, y compris dans mon entourage, d'éviter de publier ce que je pensais de cette carte des vins. Parce que ça ne se dit pas. Parce qu'on est en Espagne et qu'ici la règle, c'est "sujet-verbe-compliment". Et alors?
Je sais aussi qu'on va me trouver injuste de critiquer un restaurant récemment étoilé qui, ex-nihilo, fait un gros effort financier pour se payer une carte des vins "prestigieuse". Qu'il a fallu acheter "ce qu'on trouvait". Je répondrai que, même en Espagne (à moins de cent kilomètres de la frontière française), on pouvait se procurer facilement des vins "sincères", moins tapageurs, plus à l'image de Viktor Arguinzoniz et de sa cuisine de Vérité. Faire ne serait-ce que la très sympathique carte des vins de la modeste Sidreria Martintxo, autrement plus pertinente dans ce contexte. On aurait pu acheter quelques vieux blancs de Tondonia (dans les vingt euros), et, tant qu'à y être, se procurer une rafale de vieux flacons de la rioja avant que leurs prix ne s'envolent définitivement. Faire aussi un signe à tous ces gens qui sont en train de changer le visage du vin d'Espagne, Olivier Rivière, Fredi Torres, Marañones, pour ne citer qu'eux. Comment avoir oublié, alors que ce sont de presque voisins, les grands rouges de Galice* (dont même la très académique Guía Peñín s'est rendu compte qu'ils auguraient d'une nouvelle ère du rouge espagnol)? Imaginez sur de tels plats les jus vibrants de Jose Luis Mateo, le trousseau de Dominique Roujou de Boubée, les bierzos "catalans" de José Mas ou de Mario Rovira, etc, etc… Et les jerez, ces chefs d'œuvre en péril andalous, qui auraient triomphé sur l'anchois. Non, à la place, on nous ressort une nouvelle fois des rieslings, allemands notamment, parce que tout bon mouton qui se croit à la mode, se doit de le faire. J'évite de parler des vins français, d'évoquer tout ce que le Sud-Ouest** si proche pourrait offrir de bonheur à cette gastronomie d'une élégance discrète. Je n'aggrave pas mon cas non plus en suggérant quelques vins "nature" réussis qui seraient loin d'être ridicules ici.
Ce qui me choque, enfin, c'est le manque de lien de cette carte avec le lieu. Elle est maniérée, incompréhensible***, les vins sont "classés" dans des catégories, fictives, farfelues, imaginaires, le Terroir, le Micro-climat, le Fruit, qui rendent la recherche pénible; excusez-moi mais à la vue de cet étalage de pseudo-savoir superficiel, livresque, un seul mot me vient à l'esprit, "de la branlette!" Et je trouve ça triste dans un temple du bien-manger, je trouve ça très à l'image du colossal problème que l'Espagne entretient avec le vin. Peut-être serait-il temps de revenir aux fondamentaux, d'en finir avec la masturbation intellectuelle et les masterclasses qui polluent ici le rapport à l'œnophilie, de retrouver le chemin du plaisir simple. De briser cette spirale infernale. La prochaine fois, ça m'éviterait de faire la moitié du repas au cidre…
* À part un très conventionnel Gaba do Xil, pas mauvais mais pas très artisanal.
** à ce propos, j'aurais voulu que vous voyez la tête émerveillée de Ferran Centelles, le sommelier du Bulli, hier soir à la maison, tombant amoureux du Braucol de Plageoles…
*** même pour le personnel de salle!
Tu as parfaitement raison de dénoncer ces cartes de vins sans âme. Heureusement le cidre est bon. La bière aussi parfois. Mais dommage de faire toute cette route pour sombrer dans la banalité.
RépondreSupprimerMerci, Michel, oui, "sans âme", c'est le terme. Pour ce qui est du cidre, j'en bois beaucoup au Pays basque, quel magnifique accord avec tant de produits locaux!
SupprimerCette carte des vins correspondrait plus facilement à un "petit" restaurant traditionnel (tranche haute) qu'à un gastronomique. CX
RépondreSupprimerJe ne sais pas, chère CX. Pour moi, surtout, elle ne veut pas dire grand chose et ne correspond pas à grand chose si ce n'est à un manque d'amour pour le liquide et le solide, c'est une carte de cacou, comme on dit dans le Sud, de petit frimeur. Je précise d'ailleurs que je ne sais pas qui l'a "conçue", si tant est que quelqu'un soit derrière, peut-être est-ce une "œuvre" collective? C'est amusant d'ailleurs car certains, notamment à Barcelone, depuis ce billet, échafaudent maintenant des hypothèses sur l'identité de l'heureux (ou de l'heureuse) élu(e)…
SupprimerChère ou cher CX, pardon si je me suis pris les pieds dans le sexe de votre anonymat.
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