Ma pomme n'aime pas les guirlandes.


À entretenir avec elle une certaine intimité, on en oublie parfois ce qu'est une ville. Cette propension naturelle qu'elle peut avoir à se donner au nombre, à une foule avide d'elle. Si loin de ces mots qu'elle vous chuchote en tête-à-tête à l'oreille.
Étourdi que vous êtes (vous n'aviez pas regardé la date), vous voilà Portal de l'Àngel, en plein pont du Día de la Constitución* et de l'Inmaculada Concepción. L'avenue, comme la Plaça de Cataluna adjacente, et les Ramblas, est bloquée par la marée humaine qui s'en vient de la banlieue profonde consommer Barcelone. Les corps se frôlent, se touchent, se percutent. Orgiaque. Suffocant. Vous imaginez un bouchon sur la route des plages au mois d'août? Eh bien c'est pareil. Sans voitures.


Il y a le bruit, cette rumeur, le grondement, quelques cris, les parfums, les odeurs, la fumée, un souffle. Et puis dans la nuit de décembre, cette débauche de lumières. Tout le monde se croit obligé d'en rajouter, à l'approche de la Nativité, la foi se mesure en watts. Ça scintille, ça clignote, ça éblouit… Jusqu'à la nausée. Face à moi, le grand Corte Inglés (les Galeries Lafayette ibérique) est transformé en sapin de Noël. Jusque dans ses vitrines où, sous l'œil admiratif de catalanes aux rondeurs espagnoles, des femmes de celluloïd émaciées aux visages sans regard vous dévisagent tristement. 


Noël, le Nouvel An, l'Épiphanie… Ébloui comme un papillon de nuit par la lumière, le pays va poser le crayon et les outils pour une grosse quinzaine. Acheter, manger, illuminer. Combien de centaines (de milliers?) de kilomètres de guirlandes a-t-on accrochés dans ces rues, sur les façades de ces boutiques? La guirlande, baguette magique du commerçant, promesse de ventes miraculeuses, obligation marketing…
Et puis, je me retourne, et, de l'autre côté de la Ronda Sant Pere, je regarde l'Apple Store, le plus important de la ville. Sur les murs, aux fenêtres, rien. Juste cette grosse pomme blanche, et les éclairages habituels. Nous pourrions être le quinze janvier ou le premier juillet. Les vendeurs d'ailPhone seront-ils pour autant le plus mauvais chiffre d'affaires du quartier? Rien n'est moins sûr.




* El Día de la Constitución*, le Jour de la Constitution célèbre dans toute l'Espagne la fin légale du franquisme, consécutive à la victoire du Oui au référendum organisé en 1978. Il rappelle à tous la valeur fondamentale, sacré de la Loi écrite, le sacrifice aussi de tous ceux qui se sont battus contre l'oppression, pour la Liberté. Il précède de deux jours la très catholique fête de l'Inmaculada Concepción, l'Immaculée Conception.  


Commentaires

  1. Je déteste aussi cette débauche de guirlandes et me suis toujours demandé si c'est bien de là que venait l'expression "se faire enguirlander"... Eh bien, d'après mon Larousse, c'est justement ça : "enguirlander une fenêtre de gui et de houx". Donc, Barcelone, comme Paris, Londres ou Perpignan se laisse chaque année enguirlander... nonobstant nos réprimandes. Enfin, ça nous permet à chaque fois de pousser une saine gueulante contre cette pollution visuelle souvent doublée d'une odieuse pollution sonore, celle de la pub mêlée aux stupides chansons de Noël devenues des tubes en puissance au fil du progrès de l'humanité. Eh oui, c'est triste Noël ! Un sale moment à passer...

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