Orgie par procuration.


C'est une horrible photo, cruelle, quasi-pornographique. Elle m'est passée sous les yeux cet après-midi, et j'en ai bavé. C'est comme une orgie dont on vous détaillerait le programme sans vous en glisser le carton d'invitation dans la poche. Un supplice!
La bécasse est un des mes oiseaux préférés, et les oiseaux sont parmi mes péchés mignons, donc… J'aime sa puissance, ce parfum qui surpasse tout, même la truffe. Puissance et finesse à la fois, jusque dans cette cervelle de bécasse que l'on se régale de suçoter en tenant sa tête par le (long) bec.
Inutile d'y revenir, grâce aux écolos les plus cons du Monde, plus khmers que verts, les restaurants français en sont officiellement privés, contrairement à ceux des pays environnants.
Reste qu'en admirant cette photo volée à une vigneronne bordelaise, fronsadaise, embarqué par son érotisme, j'ai rêvé de ce que l'on pourrait boire dessus. Comme un phantasme.


Elle, bien sûr, la vigneronne, me dirait un merlot de chez elle, du début des années deux mille, et ce ne serait pas idiot. Il faut du couillu (comme on a plus trop le droit de dire en France, dans ce pays où à force de museler la parole les ventres ulcérés ont enfanté des monstres). Plus vieux en tout cas que ce 2009 qu'elle arrive à boire maintenant mais auquel je laisserais au minimum dix ans.
Bon, vous l'avez compris, la vigneronne, c'est Dany Rolland. Les bécasses d'ailleurs, c'est le Diable en personne qui les a tuées. Beau coup de fusil le Michel! Un vrai Gascon. Ses détracteurs noteront au passage qu'entre autres défauts, il tue aussi de pauvre petites bêtes sans défense. Un monstre, le Diable, on vous dit…


Tant qu'à célébrer l'utile classicisme bordelais (si réconfortant finalement dans une France devenue bordélique), sur ces bécasses du Diable, on verrait bien aussi un pomerol de belle année, de dix-quinze ans, style La Violette. Ou même Lafleur si vous avez gagné à l'Euromillions (c'est un de mes vin de cœur, Lafleur, le 85 notamment).
Les vieux Médoquins, eux, partiraient en chasse d'une de leurs vieilles bouteilles du Château La Bécasse (disparu depuis et transmuté en premier grand cru classé…), délicieux pauillac à usage local dont les 85 et 89 m'ont laissé un souvenir ému.
Et hors de Bordeaux?


À mon goût, pas de bourgogne. Je trouve qu'il n'y a pas "le volume de jeu". Le pinot passe souvent en dessous et devient même parfois un peu métallique sur les rôties d'entrailles, sur la merde de bécasse. En fait, je filerais immédiatement vers un autre grand classique: la Rioja*. Pas des riojas pipe-à-Pinocchio, hein? De l'old fashioned, en attendant que les rouges de la nouvelle génération arrivent lentement à maturité (pensez à en garder en cave, les rockers…). Viña Real, évidemment, avec ce style rayassien des vieux millésimes. Le grandiose Reserva Especial 64, pour faire simple, mais pourquoi pas le "petit" Reserva 81, très rhodanien justement?


La Vallée du Rhône, on y pense justement. Rayas vieux comme indiqué plus haut mais plein d'outsiders aussi. Beaucastel, parce qu'on n'en boit pas assez, Jacqueline André, à Courthézon, les sœurs Armenier au Domaine de Marcoux et cette incroyable Cuvée spéciale, "Rayas style" de Michel Tardieu et de son fils. Dans un style décalé, je n'hésiterais pas non plus à franchir le fleuve pour aller déboucher le tavel Vintage d'Éric Pfifferling, à L'Anglore. Pas très loin de là, à la frontière gardo-héraultaise, on pourrait aussi songer à une relique de la fin des années quatre-vingt-dix, Los abuelos du Domaine Terre Inconnue, pinard majuscule, pour grands garçons seulement. Je suis sûr que tout au fond de sa tanière toulousaine du Temps des Vendanges, ce vieux briscard d'Éric Cuestas doit en avoir encore deux ou trois bouteilles…


Terre Inconnue, ça nous conduit tout droit au Languedoc-Roussillon, et à un de ses cépages les plus chics: le mourvèdre. Originaire du Levante dont je parlais hier, ce grand d'Espagne est largement implanté entre Rhône et Pyrénées. Sur 9200 hectares déclarés en France***, près de 7000 le sont dans cette région. Vus les terroirs, pas étonnant donc qu'on y trouve de grandes bouteilles.
Parmi celles-ci, il y a l'énigmatique mv? de Marc Valette. C'est un 2008, quatre barriques d'un pur mourvèdre à la finesse exceptionnelle malgré sa densité. Quand le boirons-nous? Je ne sais pas, mais il faudra sûrement songer à lui pour les bécasses des années 2020-2030…


Alors, le mourvèdre, pourquoi? D'abord parce que les tanins. La bécasse, c'est aussi la célébration des tanins. Et le mourvèdre, sorte de "cabernet-sauvignon méditerranée", n'en manque pas. Des tanins de qualité, virils mais corrects quand il est bien vinifié. Des tanins que l'oiseau magique affronte gaillardement et qu'il enrobe. À nourriture résolument anti McDo, vins nécessairement anti Caca-Cola, plus charpentés que doucereux.
Les mourvèdres, la bécasse peut les aimer robustes comme chez Jean Gardies à Espira-de-l'Agly, sa cuvée La Torre. Galbés, tels ceux de La Raphaëlle de Pierre Escudié au Domaine de Nidolères. Sensuels à l'image de la cuvée Maxime de Michel Escande, à Borie de Maurel.


Et puis bien sûr, on peut penser à Bandol où quelques domaines continuent de raconter le mourvèdre, dans toute sa rigueur. Ainsi La Cabassaou du Domaine Tempier, une des référence en la matière. Pour ceux qui ont vingt ans à perdre. Enfin, à gagner…


On peut quitter la Méditerranée. Filer vers le Sud-Ouest. À Madiran par exemple, avec ce formidable Abiatu dont je vous parlais ici. Et tant d'autres dont le tannat fera risette avec la bécasse. À Gaillac aussi, même si ça peut surprendre, en tapant dans le prunelart. Celui de Plageoles était si bon la dernière fois que je n'arrivais même pas aller jeter la bouteille au verre perdu.


On peut aussi filer en Loire, chercher du breton qui tient la route. Tris vins me viennent immédiatement à l'esprit, Clos Cristal Entre les Murs à Saumur-Champigny, et cinq chinons: les Franc de Pied de la famille Baudry, le Coteau de Noiré de Philippe Alliet, l'Arcestrale de chez Pichard (2005 minimum), Le Clos de la Roche de Wilfrid Rousse et Le Chêne vert de Joguet.


On peut enfin, dans ce voyage imaginaire au pays des vins de rêve (même si on a zappé l'Italie, la Suisse, la Californie, l'Australie****) revenir dans la vallée du Rhône, tout au nord. Flirter avec la syrah, dans ses versions les plus "violentes". En Côte-Rôtie avec des Jamet des années quatre-vingt-dix (ah, la 91…) et surtout me semble-t-il à Cornas, chez Vincent Paris. Plus exactement avec les bouteilles de son oncle Robert Michel. Pas facile à trouver mais je crois qu'il en reste encore quelques unes au portes de Paris, à La cave d'Ivry, chez Paco Mora. Ruez-vous dessus! 
Mais tout ça ne sont que phantasmes. Pas la moindre petite bécasse à se mettre sous la dent dans les jours à venir. La misère. Une orgie par procuration, quoi…




* Si je puis me permettre une petite digression, j'irais même sur les hauteurs, en Arlanza, là où de tout temps on a produit les vin-médecins de la Rioja. Une bouteille d'El Quemado d'Olivier Rivière pourrait, dans quelques années, se révéler comme une arme fatale sur la bécasse.


** Sur une parcelle appartenant jadis à leur frère et qu'elle ont récupérée se produisait d'ailleurs une épatante cuvée de mourvèdre. Je crois qu'il m'en reste une bouteille de 2001 à boire, je la verrais bien sur un long-bec…
*** Contre 110000 en Espagne, ce qui relativise…
**** En Australie, je pense à celui qui se trouve juste là, en dessous. Un peu violent, rude, mais sur les entrailles…






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