La liste des vieux.


Donc, on a trouvé la parade. On nous présente aujourd'hui La listeLa liste, c'est l'arme fatale qui va massivement détruire le World's 50 Best Restaurants. Idée géniale: répondre à une pantalonnade par une… autre pantalonnade. Il faut dire qu'ils se sont mis à plusieurs pour trouver ça, sous l'égide du ministère français des Affaires étrangères. Oui, parce que nous voilà en plein dans cette vision tellement colbertiste, franchouillarde, du Monde. Le projet est géré par des fonctionnaires alors qu'il s'agit de répondre à une initiative privée britannique.
On nous invente donc un classement besogneux, bricolé au boulier chinois. Dans l'esprit (ça fait bizarre ce mot ici) de ce que d'autres fonctionnaires avaient mis au point il y a longtemps pour classer les vins, les inénarrables agents de la SAQ, la Société des Alcools du Québec qui faisaient ainsi la moyenne des notations de Parker, du Wine Spectator & Cie pour "donner leur avis".


Car c'est bien la méthode à Mimile utilisée pour créer cette fameuse liste. Faire la moyenne des notes de ce qui est déjà publié dans le monde sur les restaurants. Une louche de Michelin, une cuillère de Champérard, idem dans les autres pays, la sauce étant liée par 25% de TripAdvisor dont on sait la proverbiale fiabilité… Au total, deux cents guides, sites et publications sont compilés. "Nous nous contentons d'additionner des subjectivités" reconnaissait dans Le Figaro Philippe Faure, ancien ambassadeur, président d'Atout France (structure étatique chargée de promouvoir l'Hexagone) et ordonnateur de La liste. Espérons qu'en prime, on y a ajouté une pincée de politique, ce qui ne nuit pas quand on a comme ambition de parfaitement rater son coup


Il est assez évident que cette affaire sera un flop dont on se demande bien comment il dépasserait les frontières françaises. Mais finalement, est-ce le but? Ne s'agit-il pas d'offrir un petit plaisir solitaire et un lot de consolation aux vieux de la vieille de la gastronomie tricolore et à leurs suiveurs?
En aucun cas il n'est question ici de s'engager, de prendre parti, d'adopter une ligne éditoriale lisible, clé du succès de toute opération de ce genre.
Un guide pourtant, son utilisateur a besoin de connaître ses valeurs. Le Michelin par exemple, c'est simple: tu es retraité, aisé, tu aimes les rideaux à fleurs choisis (comme tout le reste de la déco) par l'épouse du patron, les maîtres d'hôtels habillés comme des vendeurs de voitures et les "bonne continuation", le Guide des Pneus t'habille sur mesure. Le Fooding, tu es jeune et parisien (ou rêve secrètement de l'être), tu ne supportes pas de manger à plus de deux kilomètres du canal St-Martin ni de boire des vins dont l'auteur n'est pas un ancien éducateur social de banlieue récemment reconverti, tu as trouvé ta bible. Etc.
Rien de tout ça dans la Liste, juste du tiède, ouvert de neuf heures à midi et de quatorze heures à seize heures trente, sauf le vendredi. Rien non plus de cette élégance française qu'avec une discrétion digne de la Panthère rose on cherche à promouvoir. Au contraire, on tombe dans le panneau comme de gros balourds en faisant à son tour un classement à l'anglo-saxonne qui compare ce qui n'est pas comparable. Et en plus du suivisme, on remplace le plaisir de chacun par d'artificielles additions et d'improbables calculs.


D'une certaine façon, cette liste pas très glamour légitime et conforte la pantalonnade du World's 50 Best Restaurants.
D'abord en reconnaissant l'intérêt d'un tel classement, vulgaire et hétéroclite. Au passage en accréditant l'idée qu'il normal de se faire sponsoriser pour pareille entreprise par les multinationales de la malbouffe.
Et surtout, en lui opposant une image de la restauration que beaucoup, chez les plus jeunes (mais pas que) vont trouver has been. Bien loin en tout cas des critères contemporains, de cet appétit de renouveau, de ce look certain qui à défaut d'avoir rempli les assiettes et les cœurs, a redéfini (et dépoussiéré) l'apparence des établissements où mangent ceux qui regardent l'avenir.
Tout bénéfice dont pour la pantalonnade anglaise qui se verra donc confirmée, renforcée dans son rôle de découvreur ébouriffé, tellement plus cool, moins coincé. Ainsi sera née (mort-née?) la liste des vieux.



PS: si jamais ce classement vous intéresse, vous avez tout ici, au bout de ce lien et les vingt-cinq premiers ci-dessous. Moi, je n'ai pas encore l'âge.

1er Restaurant de l'Hôtel de Ville - Crissier

2e
Per Se - New York

3e
Kyo Aji - Tokyo

4e
Guy Savoy - Paris

5e
Schauenstein - Fürstenau

6e
El Celler de Can Roca - Girona

7e
Kyubey - Tokyo

8e
Maison Troisgros - Roanne

9e
Auberge du Vieux Puits - Fontjoncouse

10e
Joël Robuchon - Yebisu Garden Place

11e
Régis et Jacques Marcon - St-Bonnet-le-Froid

12e
Flocons de Sel - Leutaz

13e
Les Prés d'Eugénie - Michel Guérard - Eugénie-les-Bains

14e
Nihonryori Ryugin - Tokyo

15e
Martín Berasategui - Lasarte-Oria

16e
Pierre Gagnaire - Paris

17e
Le Louis XV - Alain Ducasse - Monte-Carlo

18e
Osteria Francescana - Modena

19e
Le Bernardin - New York

20e
Le Pré Catelan - Paris

21e
De Librije - Zwolle

22e
Le Calandre - Rubano

23e
De Leest - Vaassen

24e
Kyo-ryori Nakamura - Kyoto

25e
Matsukawa - Tokyo



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