Quand, fin 2016, mon frigo choisira mon merlot.


Pas évident de concevoir l'avenir. Et encore moins en ces fins d'années où, entre poularde et cotillons, les voyantes nous font le coup (généralement foireux) de la boule de cristal. Loin des pythies de bazar et des oracles moisis, Jules Verne, pourtant, n'est pas mort. C'est en tout cas ce que l'on a envie (?) de croire en lisant cette histoire qu'à votre tour vous aurez envie de découvrir. 
Imaginez, nous sommes à l'automne 2016, il fait chaud, trop chaud (une des seules prédictions* sur lesquelles tout le monde semble commencer à s'accorder). Votre réfrigérateur, flambant neuf, "intelligent" comme disait le vendeur du magasin d'électroménager sans trop savoir vous expliquer pourquoi, votre réfrigérateur, donc, est vide et vous avez soif d'un merlot bien frais. Alors, vous regardez sa façade grise comme l'inox, et vous lui demandez. Non, en fait, c'est lui qui vous le propose.


Car sur la façade de ce réfrigérateur, il y a ce petit logo entre jaune fluo et vert cru. Trois lettres surmontées d'un tiret, VIV. Une forme d'intelligence artificielle qui renvoie l'assistant SIRI de votre iPhone à la préhistoire de l'informatique. Depuis que la canicule de juillet 2016 a fait rendre l'âme à son prédécesseur dont le talent se limitait à rafraîchir des bouteilles et créer des glaçons, vous commencez à ne plus vous interroger sur le fait de savoir si justement les objets inanimés en ont une, d'âme. En quelques semaines, cette boîte de ferraille a appris votre vocabulaire, et aussi le sens que vous donnez à chaque mot. Ce qu'est pour vous un vin "incroyable", "sexy", "nature"… Elle connaît désormais vos goûts, vos habitudes, vos secrets (qu'elle jure de garder secrets), vos travers même. Progressivement, elle s'est même mis à devancer vos désirs.
VIV, "the global brain" que les inventeurs de SIRI sont en train de peaufiner, sera peut-être vraiment une révolution, à tel point qu'il est légitime de se poser la question de savoir si le vert de son logo est celui de l'espoir ou celui du Diable. On parle d'un lancement en 2016 mais il faudra du temps pour que son intégration puis surtout son utilisation se mettent en place, entrent dans les mœurs, tant ses implications sont gigantesques.


Parti d'une discussion d'ivrognes entre petits mozarts du codage à l'issue d'un enterrement de vie de garçon, ce projet prétend intégrer aux objets de notre quotidien une sorte d'intelligence "en mouvement" qui dépasse de loin la petite recherche sur Internet des assistants actuels encore très patauds. VIV va vraiment apprendre à votre contact afin de pouvoir prendre des initiatives, et décrypter l'univers (marchand principalement) à votre place, dépasser par exemple les diktats de Google, fouiller, comparer, pondérer. Il est ni plus ni moins question de donner naissance à une sorte d'ADN artificiel capable d'aboutir à une pensée autonome. La science-fiction n'est pas loin.
Pour mieux comprendre comment cette technologie californienne risque de modifier complètement notre quotidien, ringardiser les géants du Web et modifier (entre autres) les règles du Commerce, il vous faut impérativement lire ce papier de John H. Richardson, traduit de l'américain, sur le remarquable site Ulyces. Vous y comprendrez comment, à terme, bien au-delà du choix du merlot de votre frigo, VIV peut "contrôler le Monde". Passionnant, et comme souvent vaguement inquiétant. Mais ce sera peut-être aussi ça, 2016.



Commentaires

  1. Vincent,

    Merci pour ce billet.
    Le monde des objets connectés va nous tomber dessus très vite désormais.
    Les petits malins (publicitaires, épiciers en tous genres) de la révolution informatique (et biologique) ont plein d'idées pour nous aider à penser (et nous vendre leurs daubes).

    Transhumanisme, université de la singularité : pas trop fan.
    Quelques voix s'élèvent du côté de Gates ou Hawking

    Je dis cela alors que j'ai étudié l'Intelligence Artificielle il y a 30 ans.

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  2. Je précise ma pensée à l'aide de 2 auteurs admirables, sur des écrits (salvateurs ?) récents :

    Jean Biès dans le deuil blanc :
    Quelque chose m’a frappé : combien, en si peu de temps, avaient partout fleuri et s’étaient déchaînés tant de téléphones portables qui n’étaient pas sans me rappeler le mitraillage des questions dont j’étais victime. J’ai songé que le permanent recours à ces aide-mémoire enregistrant toutes les informations possibles, mettait au chômage, en s’y substituant, la fonction mnésique des individus.
    … On peut imaginer que dans un futur proche, l’humanité serait à l’échelle planétaire affligée de la maladie-sans-nom (Alzheimer), entraînant une pulvérisation du temps, une atomisation de l’être réduit à la seule instantanéité. Sans passé , et donc sans avenir, on n’en finirait pas de ne plus se reconnaître mutuellement, et par suite, de ne plus se connaître soi-même.

    Anne Dufourmantelle dans Puissance de la douceur :
    En France aujourd’hui, nous ne sommes heureusement pas en période de guerre armée. Mais une guerre sourde est à l’œuvre qui provoque des effets sournois sur les mentalités, sur la population et sur la société toute entière. Nous sommes en butte à une idéologie de la compétition à outrance, à une compétitivité sans fin, à une envie effrénée de possession, à une rentabilité obligée, à un chômage inquiétant, à un écart de plus en plus grand entre les revenus, à un repli sur soi de mauvais aloi, à une technologie dévorante qui délite le lien social, à une communication automatisée où la machine remplace de plus en plus l’échange de paroles, à une manipulation du discours médiatique qui nous oblige à penser en rond avec des mots édulcorés et standardisés.

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