Les vendanges de l'enfer.


Les vendanges sont devenues un des marronniers des réseaux sociaux, de Facebook notamment, un agréable marronnier. Deux fois par an (une fois par hémisphère), s'instaure désormais une amusante compétition* entre les vignerons de la planète à celui qui commencera le premier, finira le dernier, aura la plus charmante coupeuse, le porteur le plus mignon, l'ambiance la plus joyeuse… et, évidemment, à celui qui aura les plus beaux raisins.


L'un d'entre eux pourtant, en ce millésime où ils sont plutôt très beaux, a décidé aujourd'hui, en toute transparence (ce qui lui ressemble complètement), de nous en montrer de très laids, sûrement les plus laids qu'il n'a jamais cueillis.

Ce vigneron, c'est Thomas Pico, au Domaine Pattes-Loup à Courgis. Vous le connaissez, j'avais déjà dit ici tout le bien que je pensais de ses vins remarquables. Comme plusieurs de ses confrères de Chablis, il a pris la grêle dans la nuit du 31 août au 1er septembre. Un ouragan, localisé mais dévastateur, à quelques jours des vendanges. Des crus comme Montmains ont été touchés.Toutes les images qui illustrent cette chronique viennent de chez lui.


Heureusement, après la part de l'orage**, reste la part des hommes. De ceux qui se relèvent et se battent. Alors, Thomas a fait ce qu'il y avait à faire. Le soleil est revenu, ses troupes ont coupé ce qu'il restait à couper. Dans des parcelles encore meurtries par la grêle. Avec l'espoir, celui de ce double arc-en-ciel sur le vignoble de Chablis, du sourire de ce gamin dans le tracteur. Avec même, hauts les cœurs, la joie retrouvée, la communion des vendangeurs.


"Les vendanges de l'enfer", le mot n'est pas de moi mais de Thomas Pico. Courage à lui (et à ses collègues aussi durement touchés). Parce qu'on sait qu'au bout du chemin, après tant de sacrifices et de tri, il y aura du vin. Le vin des larmes, le vin de la colère, le vin des problèmes. Nous le boirons pourtant avec plaisir, car se sera le vin de l'opiniâtreté, de la persévérance, du combat.
Je sais qu'il y en aura peu de ce 2015 (dont le sort était médiatiquement scellé dès le début du mois d'août***), mais peut-on en réserver dès maintenant, Thomas? Il me plaît déjà. Il aura, je le sais, le goût de la Vérité.



* Je vous en avais montré de jolies images ici, l'an dernier.
** Merci, Grégory Nicolas
*** Récemment, au détour d'un texte sur les vins qui foirent, je me moquais des oracles qui nous décrivaient, un mois avant les vendanges, la récolte 2015. L'envie de nous parler de "millésime du siècle" n'était pas loin, alors même que les raisins entamaient à peine leur véraison.
Le problème, c'est que vigneron, c'est pas un métier de fonctionnaire, ce n'est pas du garanti sur facture: tant que la récolte n'est pas rentrée, rien n'est fait, tout peut être remis en question, sans négociation ni préavis. Car la Nature, cette nouvelle divinité païenne, est aussi parfois une belle et grosse salope. On l'a vu cette année (les oracles ne l'avaient pas lu dans leur marc-de-bourgogne) à Chablis dont on parle ici mais aussi vers le Larzac, le Gard, l'Ardèche ou Irouléguy. En matière de vendanges, il vaut mieux attendre la fin du match pour lever les bras…


Commentaires

  1. La nature "une belle et grosse salope"? Une phrase digne de Michel Rolland dans Mondovino, celui qui déplorait que les vignerons du Languedoc soient encore "trop paysans"....

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    1. Je ne vois pas trop le rapport, Paul, sauf peut-être ce Languedoc de Mondovino où justement Aimé Guibert jouait de façon photogénique le paysan, contre l'avis des authentiques vignerons de terroir du coin. "Une belle et grosse salope", c'est un peu la retranscription de ces échanges avec ces copains qui se sont fait grêler cette année ou une autre. Vous croyez que Thomas Pico (que j'ai eu hier après-midi) n'en voulait pas un tout petit peu à la Nature, le premier septembre quand il a découvert le carnage? Vous l'imaginez, vous, Paul, une année de travail, et, si proche du but, vos espoirs réduits à néant? Votre entreprise fragilisée?Pour Thomas, heureusement, à force de travail humain, et grâce à d'autres parcelles épargnée, il aura du vin. Et je sais qu'il sera bon.

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    2. Bravo à vos espoirs . Je ne connais pas ce vigneron, ni son vin pourtant...quelques uns me sont connus à chablis . Connaissant vos talents de bon gouteur et bon critique , je pense que celui ci mérite vos éloges ....Dans l'attente de le déguster et l'apprécier en vôtre compagnie . Bénédicte

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    3. Oui j'imagine parfaitement le dépit et le dégoût avec lesquels les vignerons touchés par la grêle découvrent le carnage.
      C'est simplement une curieuse façon d'envisager les choses que de considérer la nature comme "une salope". La grêle, c'est malheureux mais, j'ai envie de le dire, "ce sont des choses qui arrivent" et ce n'est pas à des vignerons que je vais l'apprendre.

      C'est un peu comme l'expression de "catastrophe naturelle" qui me semble refléter toute la fatuité des minuscules choses que nous sommes, pauvres mortels, et que nous avons tendance à oublier. Et je ne vise pas ici les vignerons évoqués dans ce billet, dont j'apprécie les vins et à qui je souhaite bon courage pour ce millésime, mais ce mot de "salope" m'a un peu interpellé, voilà tout.

      Et n'oublions pas, là encore il n'est pas question des vignerons sus-cités, que l'une des plus "grosses salopes" à l'égard de la nature, c'est la filière viticole dont on rappellera au passage qu'elle est l'une des plus importantes consommatrices de produits phytosanitaires...

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    4. Oui, Bénédicte, c'est tout à fait remarquable ce que produit Thomas Pico. Et à côté de ce qui est grêlé, il y aura du grand en 2015!

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    5. Je comprends votre vision un rien 'rousseauistes', Paul, mais la Nature, cette merveilleuse Nature n'est pas toujours notre amie, si vous me permettez ce terrible égocentrisme humain. Nous devons aussi nous battre, nous défendre contre les fléaux naturels qu'elle engendre. La peste est naturelle, comme le cancer, le phylloxera et la grêle. Et parce que nous faisons tout pour préserver des équilibres écologiques (Thomas Pico le premier, et le vigneron que j'ai entendu prononcer ces mots aussi), nous ne pouvons pas trouver ça "injuste"? Être humains, tout simplement. L'humanité, l'humanisme, voilà peut-être ce qui manque aujourd'hui à ceux qui ont fait de la Nature une religion, perverse, comme toutes les religions, quand elle devient paroxystique.

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    6. "Rousseauiste"... tout de suite les insultes...
      Loin de moi l'idée de faire de la nature une religion. Bien sûr il nous faut nous protéger contre certaines agressions, mais quand vous dites qu'il est "injuste" de prendre la grêle, cela me fait penser à ce que Philippe Muray appelait "L'Empire du Bien", un monde d'où aurait été extirpé le négatif.
      De manière plus décalée, cela me fait également penser aux "manifs contre le froid" organisées par le groupe Jalons pendant l'hiver 1986 qui avait investi la station de métro "Glacière" à Paris avec ce slogan: "Froid assassin, Mitterrand complice!"...

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    7. Mouais, je comprends qu'on soit moins sensible à cette injustice métro Glacière que Montée de Tonnerre…

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    8. C'était le 13 janvier 1985 ("A bas la calotte glacière", etc.)... un froid à ne pas mettre un poireau dehors fut-il de canapé, bien des ceps passèrent ad patres et pourtant le millésime fut glorieux. "Août fait le moût", non ? A l'impatience médiatique répondront les nuances du temps.
      Cet épisode orageux, pour cruel qu'il soit, ne devrait pas avoir le retentissement "sulfureux" confessé en son temps par le bon JJR à l'égard de cette manière de grêle que fut la fessée administrée par mademoiselle Lambercier (était-elle belle, était-elle grosse ?). Gageons que l'issue sera des plus favorables aux vignerons et à leurs vins.

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  2. Pour avoir perdu la totalité de notre récolte en 2004 et 2008, je comprends intiment la colère de Thomas. On se relève de tout même du pire. On en garde des angoisses qui se réveillent du printemps aux vendanges...
    Isabelle Perraud

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  3. Arrêtons de larmoyer : la nature a finalement été sympathique et généreuse pour les Chablisiens .
    Après cette grosse frayeur du 1° aout , nous avons eu le soleil et le temps sec bien utiles pour sécher et cicatriser les raisins .
    Ce n'est peut-être pas le paradis mais c'est loin d'être l'enfer....

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    1. Je n'ai pas trouvé Thomas Pico larmoyant. Pas du tout, même. Honnête, en revanche, oui.

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    2. réponse privée : je ne disais pas ça pour Thomas que j'ai vu hier et qui est bien loin de larmoyer mais plutôt pour les commentaires , lus ici ou la .
      Entre le 1° septembre et le 15, quand tout a été vendangé, le tableau a changé du tout au tout et c'est pour nous un peu bizarre de lire ces messages qui ressemblent à des condoléances alors que le mort a ressuscité
      J'ai fait une première réponse , (qui s'est envolée) ou je disais que la nature n'avait vraiment pas été salope avec les Chablisiens cette année .
      Travailler la terre nous apprend un certain fatalisme face aux événements de la météo. C'est le seul qu'on peut et qu'on doit s'accorder pour pouvoir se regarder en face et continuer .
      Je ne suis pas d'accord avec vous sur une petite nuance : on ne peut pas mettre sur le même plan le phylloxera (qui est arrivé par bateau au 19°s) , le cancer ( qui bien souvent a des causes "environnementales" = dues à l'homme et à ses comportements ) et la grêle .
      Par contre pouvez-vous me dire ce que vous sous-entendez avec "honnête " ? qui ne l'est pas dans cette affaire ?
      A bientot
      Alice

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