Vin de péquenots : 4 €.
Il y a parfois des bouteilles qu'on achète pour d'autres raisons. Des raisons moins objectives (qualificatif aussi hilarant que dérisoire quand on parle de vin). Comme un souvenir, un témoignage, quelque chose de sentimental. L'autre jour, j'étais entré, "pour voir", chez la petite caviste de Castillon-en-Couserans. Une échoppe de rien accrochée à la pente du Pré commun, face à l'école. Et j'ai vu cette étiquette un peu moche dans des casiers en bois clairsemés: Vigneron d'Ariège proclamait-elle fièrement.
Du vin, en Ariège, j'en ai bu une rasade il y a bien longtemps. A bisto de nas, au début des années soixante-dix. Là-haut, en tutoyant le Mont Valier et le Pic de la Calabasse, aux foins, baigné dans cette odeur d'herbe mûre, fleurie, qui demeure un des piliers de ma bibliothèque aromatique. On avait fait le feu sous les noisetiers, à l'écart des bœufs, de leurs bouses et de leurs mouches, que le tracteur n'avait pas encore supplantés. Avec du jambon et du fromage passés à la flamme. C'était bizarre comme goût, assez "piquant". C'était bricolé maison, comme le cidre. Il faut dire que ça devait être le deuxième ou troisième verre de ma vie, pas en cristal d'ailleurs. J'identifie ça aujourd'hui à une piquette (au sens littéral) qu'on avait de surcroît largement coupée d'eau pour lutter contre la chaleur de juillet. J'imagine ma tronche si on m'offrait ça désormais*…
L'unique bouteille de la marchande de Castillon (elle avait été dévalisée) a traîné dans le casier qui nous suit en voyage. Mauvais fils, je ne me faisais guère d'illusions, d'autant que localement on ne m'en avait pas raconté que du bien. Pour dire, de peur de me faire traiter de péquenot, je n'ai même pas osé la faire goûter à mon docteur, une fois arrivé à Toulouse. Alors, discrètement, elle a pris le chemin de Barcelone, entre un fronton, un meursault, un chinon et un bordeaux.
À cause des sentiments évoqués plus haut, il n'y avait évidemment pas plus mauvais juge que moi pour dire ce qu'elle avait dans le ventre, cette bouteille. Alors, je l'ai servie (à l'aveugle comme il se doit) à ma chère et tendre dont j'ai lu dans le journal qu'elle s'y connaissait un peu en jaja. Et son grand sourire a suffi à ma joie.
Le rouge, dans son verre, pétait de fruit, un fruit joliment équilibré par d'aimables tanins. "Loire? Bourgueil?". Je l'avais servi bien frais, dans les 12°C. "Cabernets franc et sauvignon, arrondis d'un peu de merlot, parfois (selon les millésimes) tendus par une pointe de tannat" m'a expliqué depuis l'œnologue du Domaine du Sabarthès**, Robert Lala. Autrement plus friand en tout cas que certains grands crus élimés que les bourgeois de Saint-Girons achètent au pousse-caddie et se régalent en parlant pointu. Ce raisin mûrit sur les coteaux argilo-calcaires d'une autre Ariège que la mienne, celle de la vallée de la Lèze, vers Montégut-Plantaurel et le Carla-Bayle, pas loin de la grotte du Mas-d'Azil, dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises ("parc naturel", c'est presque pléonastique avec Ariège…) qui couvre une bonne partie du département. En prime, les vignes (en conversion bio) sont travaillées, au sein d'une APAJH, par des jeunes et des adultes handicapés, des personnes auquel ce métier du vin contribue à donner une place sociale et une dignité.
Oui, je sais, chers lecteurs, l'immense majorité d'entre vous ne vit pas au pays de la mounjetado***, et il est autrement plus difficile de se procurer une des douze mille bouteilles de mon vin de péquenots qu'un Yquem 98 ou je ne sais quelle étiquette en vogue; peu de chances qu'on le trouve dans les magazines et les bars branchouilles, il n'est guère photogénique, condition sine qua non de la médiatisation. Cependant, pour ceux qui veulent le goûter, sachez qu'il est en vente online (oui, oui, l'internet est arrivé en Ariège…) à un tarif qui ne fera qu'ajouter aux moqueries des mondainvineux qui se payent des bouteilles comme d'autres des béhèmes ou des fringues: quatre euros.
Mais, vous le savez, comme aurait pu le dire le bateleur de Mitterrand et Sarkozy, quand à cinquante ans, on n'a pas bu un vin à quatre euros, c'est qu'on a raté sa vie…
* Quelqu'un me l'a fait justement, c'est mon pote Benoît Valée, à Barcelone, à L'Ànima del Vi, tout étonné que je lui annonce qu'il s'agissait d'une piquette. Facile, j'en avais déjà bu! Ce n'était pas si mauvais que ça, meilleur que plein de vin ratés, maquillés ou qui veulent péter plus haut que leur cul. Désaltérant en tout cas, ce qui est la finalité de la piquette.
** Le domaine cultive également la syrah, le pinot noir, le chardonnay, les sauvignons gris et blanc, le chenin et le petit manseng. Un second vignoble est installé sur les graves de la vallée de l'Ariège, vers Varilhes.
*** Variante locale du cassoulet, préparée avec des cocos de Pamiers ou des haricots-maïs qui la rendent si douce.
ça donne envie, mais les frais de port sont assez conséquents (bon, ok, vu le prix de la boutanche, c'est pas non plus trop grave).
RépondreSupprimerOui, j'ai regardé les conditions de livraison, ce sont les tarifs de La Poste en dessous de 30 kilos, le transporteur n'intervenant qu'au delà. Il vaut mieux se grouper…
SupprimerCela étant, ils ont deux boutiques, une à Montégut-Plantaurel et l'autre à Foix. Vin & volailles.
Dans le village d'Englomer proche de Castillon, je vous propose de déguster les ravioles brousse te magret du Moulin Gourmand, c'est un délice!! et pour quoi pas accompagnées de Sabarthes !?
SupprimerThe GEF
À Engomer, très exactement. J'ai déjà goûté, c'est excellent.
SupprimerEffectivement ça donne envie d'y tremper ses lèvres...
RépondreSupprimerEt le domaine d'Engraviès, ça te dit quelque chose? Je crois qu'ils sont dans la partie orientale du département...
Comme dit dans un autre fil de discussion (sur Facebook), il s'agit de la même mouvance.
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