Le délit de second degré.


Je me demande si bientôt une future loi géniale n'imposera pas, quand on écrit, d'accompagner ses textes d'un avertissement, d'une posologie, de précautions d'emploi… Un peu comme pour les médicaments, l'alcool ou les armes à feu. Ou peut-être même d'une fiche de montage sans texte justement, avec des petits dessins, à la façon de celles des terribles meubles IKÉA. Un truc simple, quoi, pour se mettre à portée, éviter les accidents.
Sinon, gare au procès, fût-il d'intentions. Vous voyez les tribunaux, déjà encombrés, avec leurs prétoires encombrés d'écrivains, de journalistes, de blogueurs bredouillant, justifiant leur crime de second degré?
Car il y a plein de façons de ne pas se faire comprendre. On peut mal exprimer, dans un français trop soutenu par exemple, une pensée trop alambiquée. Pécher même par l'usage immodéré de mots polysyllabiques. Autant de procédés qu'on ne tardera pas de juger déloyaux vis-à-vis du lecteur.


La solution de secours pour le plumitif, devant ses juges, c'est évidemment de s'en prendre au lecteur. Le rabaisser, insinuer que la Nature l'a doté d'un QI d'huître. Qu'il est peu ramolli du bulbe. Solution de facilité! 
On peut également, pour faire sa Nadine Morano ou son Jean-Luc Mélenchon, que c'est la faute d'Internet. Y voir la montée d'une éventuelle "génération" smiley qui sans émoticône ne serait plus capable de ressentir une émotion ou de saisir le second degré. 
Que les pourfendeurs du Web se rassurent, le cerveau n'était guère plus à l'éveil "avant" devant le journal de vingt heures de TF1 ou les jeux télévisés assortis. Et l'expérience nous montre que la perte d'humour frappe aussi les vieux de la vieille.


Si j'écris ces quelques lignes (assorties des mises en garde d'usage), c'est qu'au delà de nombreuses constations en ce domaine, j'ai été halluciné en lisant ce matin sur Facebook plusieurs commentaires suscités par une de mes dernières chroniques. Celle sur les vignes du Château Haut-Brion, dénoncées comme un enfer privé de "toute vie microbienne" dans un article de Presse, une interview plus précisément (soyons précis) très controversée. Cette chronique, que vous pouvez lire ou relire ici, montrait avec humour, ou en tout cas, en tentant de faire de l'humour, à quel point l'accusation portée contre Haut-Brion était exagérée. À l'appui, des photos prises le jour-même montraient des parcelles de jeunes merlots du premier cru classé des Graves copieusement enherbées, très loin des "sols d'avant la vie" dénoncés dans l'interview. Je vous en livre ici, une perle, l'indignation d'une dame que je connais pas, apparemment très "Charlie" comme il faut au bon moment, qui qualifie ce texte "d'article à charge, insultant et irrespectueux". "ROTFL"*, comme conclut un des mes camarades vignerons girondins, dont je me taperais bien pour éteindre notre fou-rire commun une excellente bouteille de Planquette.
Pour autant, chers lecteurs, considérez ceci comme un avertissement définitif, même si la loi change, même si la bêtise gagne, je ne compte pas pour ma part modifier mes délictueuses habitudes. Le second degré, ici, ne sera jamais pénalisé et le sens critique toujours bienvenu. Car vous le savez, on peut rire de tout mais pas avec tout le monde.




* C'est moderne, hein, ROTFL ? Pour les vieux, pour la traduction smsesque de cette version hard de MDR, c'est ici.




Commentaires

  1. "je ne compte pas pour ma part modifier mes délictueuses habitudes"
    Pour nous, c'est le principal.
    Dans le cas contraire, une pétition planétaire aurait immédiatement circulé pour que tu changes d'avis.

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