Nouvelles frontières.


De quoi demain sera fait? Il y a des pays, des régions où cette question prend un sens bien particulier. Ceux et celles bien sûr où la guerre fait rage, ceux et celles aussi où la famine extermine en silence. Pour ma part, j'expérimente une nouvelle forme d'incertitude. Infiniment moins angoissante certes que celle des réfugiés de l'Islam, que ces migrants partis un baluchon sur le dos chercher une terre moins hostile, plus prospère, l'Humanité, quoi.
Ce soir, ici en Catalogne, les urnes vont parler. Sans vraiment le dire, les Catalans vont faire savoir s'il veulent l'indépendance. Au terme d'une campagne bizarre, démocratique à l'africaine*, les sondages sont formels**, les nationalistes, minoritaires en voix, pourraient grâce à l'arithmétique du scrutin devenir majoritaires en sièges au parlement régional, et donc initier le processus de sécession.


Alors, je sais, le catalanisme, en France, on voit ça comme un gentil folklore, avec ses sardanes, ses châteaux d'hommes, la Costa Brava. Malgré ses écarts, les journalistes parisiens eux-mêmes sont indulgents***, puis que culturellement au nord des Pyrénées, un régionaliste c'est plutôt de Gauche, donc c'est gentil. Pourtant, ce n'est pas de danses costumées qu'ils s'agit, mais bel et bien de nationalisme, une dénomination que ne réfutent en rien les catalanistes. Un nationalisme différent de celui plus bleu foncé que l'on connaît en France, mais le sang et or ne rendent pas la misère moins pénible au soleil. Y flottent les mêmes relents de xénophobie, les mêmes manipulations quand on explique par exemple aux Catalans que, bientôt, ils seront économiquement les égaux des Suisses, Hollandais ou Danois. Demain, on rase gratis…


Que va-t-il se passer si le "oui" triomphe dans ce drôle de scrutin? À vrai dire, personne ne le sait vraiment, l'incertitude règne L'actuel président de la Generalitat (le conseil régional), Artur Mas, est un menteur professionnel, un démagogue, un populiste qui agite depuis trois ans le hochet de l'indépendance pour se maintenir au pouvoir et masquer sa politique, ou son absence de politique) Il doit gagner. Pour conserver son poste bien sûr, mais aussi parce que seul un triomphe peut lui permettre d'espérer se débarrasser de ses nombreuses casseroles judiciaires. Pour lui, disent les mauvaises langues, comme pour son père politique Jordi Pujol, docteur es corruption, "c'est l'indépendance ou la prison". Difficile donc de savoir ce que fera ce type inquiétant une fois qu'il aura atteint son but, rempiler pour quatre ans.


Ce qui est sûr, c'est que l'Espagne ne veut pas entendre parler de sécession. Pas plus que les principaux leaders européens. La Communauté a d'ailleurs à maintes reprises répété que cela équivaudrait automatiquement à une sortie de l'Europe, et probablement de l'euro. Eh oui, il faudra se réhabituer à sortir son passeport pour franchir l'Èbre ou le Perthus. Comme "au bon vieux temps"…


Ce n'est d'ailleurs pas la première frontière que dresse le nationalisme catalan. Les gouvernements régionaux successifs, coincés par les extrêmes, on a fait de la langue, qui est normalement un moyen de communication, un moyen de ségrégation. Le terme officiel pour l'implantation à marche forcée du dialecte local parle de lui-même: "normalisation linguistique".
L'école, l'histoire notamment, réinventée de façon nombriliste et discutable, contribuent au bourrage de crâne des nouvelles générations. Qu'on s'entende bien, je respecte profondément les cultures, les identités régionales, celle-là particulièrement, le catalan étant un dérivé de l'occitan de mes ancêtres. La culture catalane, ma cousine, je le respecte au moins autant que ceux qui la dissolvent dans le Caca-Cola et les sous-cinéma hollywoodien. Mais cette maladie du drapeau dont est victime cette région, ces bannières que l'on agite à tout propos me mettent mal à l'aise. Et j'aime l'idée européenne que rejettent désormais certains de ceux qui risquent d'être élus ce soir.


Tiens, pour relativiser, alors qu'ici en Catalogne, on rêve de fermer les portes et de se replier sur soi-même, lisez cette interview du physicien Stephen Hawking à El País: "la survie de la race humaine, assure-t-il, dépendra de sa capacité à savoir quitter la terre, conquérir l'Espace et trouver de nouveaux foyers". En voilà de nouvelles frontières.




* Une campagne émaillée par de nombreux incidents, comme l'interdiction d'antenne, sur la télévision publique régionale, d'un ancien ministre socialiste qui venait de sortir un ouvrage sur les dangers économiques de l'indépendance: cela risque d'influencer les électeurs ont prétexté les "journalistes". Ben oui…
** Ainsi le sondage "secret" publié hier par El Periòdic d'Andorra, ci-dessous.
*** Et qui nous ressortent à chaque article les vieux clichés hors d'usage sur la plus riche région d'Espagne et blablabla…


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