Un vin qui ne ment pas.


C'était au milieu des années 90, j'avais interviewé un évêque français qui, en le travaillant un peu, à ma grande surprise, ne s'était pas déclaré opposé au port du préservatif. Déclaration aussitôt reprise dans une dépêche d'agence: scandale dans l'Église catholique, démenti de la conférence épiscopale! Le problème, c'est que je travaillais à la radio, et que son propos avait été fidèlement enregistré par mon sublime Nagra 4.2*. Ça n'a cependant empêché certains bigots de continuer d'affirmer qu'il ne l'avait jamais dit…


Si je vous raconte cette histoire d'un autre temps, ce n'est pas pour jouer l'ancien combattant mais à cause d'une polémique qui agite le Mondovino hexagonal depuis deux jours. À l'origine, une interview justement, celle d'une vieille gloire du vin alternatif, Éloi Dürrbach, dans la dernière livraison du magazine Terre de Vins, construit entre Montpellier et Bordeaux. Au détour d'une phrase, alors que le propriétaire de Trévallon affiche son amour de la terre et de la Nature, pour forcer le trait, il cite en contrepoint l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Et, immense surprise, on lit (avant que Bordeaux et Haut-Brion n'en prennent pour leur grade**): "chez Plageoles à Gaillac, tout est passé au Roundup"!


Alors évidemment, quand vous connaissez le domaine Plageoles dont la notoriété, mondiale, dépasse de loin les frontières du Tarn, les bras vous en tombent. Et ce n'est pas qu'une question de notoriété, on en a vu des salopards célèbres! C'est juste que ce domaine est un modèle de probité, d'authenticité, de transparence du vin. Bien avant tant d'autres qui s'en font les porte-drapeaux aujourd'hui, on y a parlé de respect des sols, des cépages, d'un métier, d'une culture. Un domaine contrôlé en bio par Qualité France, un des organismes les plus rigoureux en la matière, pratiquant fréquemment des analyses de bois et de sols (ce qui est quand même autrement plus probant que de simples contrôles de factures…)


Pour ma part, cette phrase m'a blessé, moi qui considère, tel je l'ai écrit ici, Robert Plageoles comme un de mes "maîtres de vin". J'ai plus que compris dans ces conditions la colère de Bernard Plageoles, son fils, celle de Florent aussi, colère exprimée vendredi soir sur Facebook, comme c'est désormais la règle (qu'on le veuille ou non).


Sous le coup de l'émotion, parce que je ne peux pas lire de telles énormités, de telles conneries, voir ces vignerons dont le travail est pour moi exemplaire comparés à des empoisonneurs, j'ai moi-même posté quelques lignes sur Facebook, point de départ d'une longue discussion, d'un long débat entre vignerons, journalistes, marchands, sommeliers et amateurs de vin sur ce qui devenait une affaire.


Puis, évidemment, j'ai contacté l'auteur de l'interview, Sylvie Tonnaire, que je connais depuis quinze ans, une fille sérieuse, qui aime le vin, pour lui "dire de dire": il fallait savoir, tirer cette affaire au clair. Et, privé comme en public, elle m'a assuré qu'Éloi Dürrbach lui avait bien dit cette énormité. Telle quelle, sans y changer une virgule. Une phrase consignée dans son carnet de notes. Par parenthèse, à l'époque des iPhones, tellement plus légers que mes chers Nagra, pourquoi n'enregistre-t-on pas les interviews en Presse écrite?


Est arrivée ensuite, une version légèrement différente, via le directeur de Terre de Vins, Rodolphe Wartel, et vraisemblablement de Trévallon: Éloi Dürrbach aurait mélangé les époques, un lointain passé et le présent***. Pourquoi pas…


Enfin, Ostiane Icard, la fille d'Éloi Dürrbach m'a donné ce que je considère comme la version officielle actuelle des propriétaires de Trévallon, son père aurait déclaré la phrase suivante que je vous livre à la lettre près: "il a dit que à Gaillac beaucoup désherbé sauf Les Plageolles". 


Excusez-moi pour ces longueurs, mais on comprend mieux une affaire en ayant entrevu tous les points de vue. Qui ment? Je n'en sais fichtre rien, même si j'ai mon intime conviction. 
Éloi Dürrbach avait-il bu un coup de trop, s'est-il mal exprimé, a-t-il été mal compris? N'a-t-il pas, à la façon du Aimé Guibert, surjoué son rôle de sauveur de la planète? Nous ne connaîtrons jamais vraiment la vérité, chacun jugera selon son intime conviction. Ce que je sais, moi, sans donner aucune leçon de journalisme, c'est que je n'aurais jamais publié cette phrase, vraie ou fausse, cette phrase diffamatoire**** dont on peut aisément vérifier plus encore que la bêtise, l'inanité. En allant dans les vignes ou en buvant du Plageoles. Car, ceux qui savent lire le vin sont capables de voir, leur corps est capable de sentir ce qu'il y a dans un verre de vin des Tres-Cantous.


Au passage, dans cette histoire de parole contre parole, reste un grand oublié, Haut-Brion où l'on m'a d'ailleurs appris que les vendanges des rouges de leurs sols débarrassés "de toute vie microbienne" débutaient mercredi et que le prince Robert de Luxembourg, par ailleurs amateur de Trévallon, ne s'abaisserait pas à répondre à Éloi Dürrbach.


Par parenthèse, sur ce dont est "accusé" le premier cru des Graves, une utilisation de glyphosate au moment de l'arrachage, on ne manquera pas de lire l'intéressant éclairage fourni par mon camarade Didier Michaud, l'excellent vigneron de Planquette en Médoc, ardent militant du bio et de la transparence. Là aussi (à moins qu'il ne le démente…), Éloi Dürrbach aurait mieux fait de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler.


Au delà de cette tempête dans un coûteux verre de Trévallon (qui ne suscite pas en moi une folle envie d'en boire), je crois qu'il y a une leçon à tirer de cette affaire, une leçon pour nous tous, et notamment pour certains vignerons, adeptes de cette espèce de nouvelle communication du vin, qui consigne à dénigrer, voire à flinguer le vin du voisin ou du concurrent.
Une façon de faire qui a certes déjà existé mais qui désormais a envahi les salons, les forums, Facebook, où, entre crachas et mépris, sous couvert d'humour et de bien-pensance, voire d'orthodoxie politique, on se livre à une espèce d'exercice de "publicité comparative" pas très ragoûtant. Amis vignerons, amis cavistes aussi, vous ne sortirez jamais grandis de ces méthodes. Parlez-nous plutôt de votre propre travail! Parlez-nous de technique, de plaisir ou de bonheur, comme vous voulez, mais parlez-nous de vous.


Sur ce, tout en vous rappelant qu'il y a malgré tout de superbes choses à, lire dans ce numéro de Terre de Vins (par exemple le superbe article de Mathieu Doumenge sur mes amis les Horlogers d'Auvillar), je m'en vais de ce pas me servir une grande rasade du délicieux braucol "cuvée Roundup" de la famille Plageoles à neuf euros toutes taxes comprises. Un vin franc, direct, droit. Sans circonvolutions, insinuations ni rond de jambes. Un vin qui ne ment pas.



* J'avoue toutefois conserver une tendresse éternelle pour la robustesse et le design du Nagra-III de mes débuts (ci-dessous), un des plus beaux magnétophone créés par la firme Kudelski, à Lausanne.
** Balancer sur Bordeaux, ça ne mage pas de pain, et dans un certain Mondovino branché, ça donne une contenance. Surtout quand on n'a rien à dire…
*** Ci-dessous, l'intégralité de la longue réponse de Rodolphe Wartel. Par parenthèse, j'avais utilisé le terme "coquille" par gentillesse…
"Chers amis, chers lecteurs,
La mise en cause de Bernard Plageoles (Gaillac) par Eloi Dürrbach, l'une des icônes de la Provence vigneronne, dans notre numéro Terre de vins de septembre, en kiosque depuis peu, fait réagir et nous le comprenons fort bien. Comment ne pas réagir en effet face à cette mise en cause expliquant que chez Plageoles "tout est passé au Roundup, herbicide ô combien dévastateur pour le végétal comme pour l'animal.
A ce stade de la polémique, Terre de vins entend affirmer deux choses:
- son respect total de la personne mise en cause, Bernard Plageoles, que "Terre de vins" connaît bien pour lui avoir consacré à de multiples reprises des articles dont un rapportant la saga de cette success story dans le Sud Ouest.
- la défense sans réserve de sa journaliste, Sylvie Tonnaire, par ailleurs rédacteur en chef du magazine, qui a rapporté fidèlement, sans changer le moindre mot, les phrases tenues par Eloi Dürrbach. "Il ne s'agit nullement d'une coquille, précise Sylvie Tonnaire. Ces propos ont bien été tenus par Monsieur Dürrbach, que je respecte tout autant que la famille Plageoles. Je n'y ai pas changé le moindre mot, je n'ai rien déformé ni même coupé ou déplacé. Ce n'est pas mon genre et je n'y ai aucun intérêt."

Une faute a -t-elle été commise? D'évidence, l'utilisation du présent ne s'impose pas dans cette phrase qui fait mal au vigneron Plageoles, défenseur de la nature. Quand Eloi Dürrbach rapporte ces faits, il évoque, face à notre journaliste, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ou, tout du moins, une histoire passée, évoquée dans un récit destiné à évoquer des convictions, une histoire, un engagement, une vie. Au travers de l'interview d'Eloi Dürrbach, c'est en effet sa vie qui défile. Le micro est ouvert, il se livre, il se confie. Et il commet une faute. Ce qui a peut-être prévalu il y a des années - et c'est encore à démontrer - ne peut en effet prévaloir aujourd'hui pour une seule et simple raison: la certification bio du domaine Plageoles. Terre de vins a donc commis, en l'état, l'erreur de ne pas resituer ces faits dans le temps. Nous formulons donc nos excuses à la famille Plageoles. Nous donnerons à Bernard Plageoles, dans les prochains jours, toute la possibilité de s'exprimer et de répondre, s'il le souhaite, à Eloi Dürrbach. C'est le rôle d'un média, indépendant, libre et respectueux de l'intégrité de chacun.
Rodolphe Wartel, Directeur de la publication de Terre de vins"
*** Si ma mémoire est bonne, en Droit de la Presse, le fait de relayer une phrase diffamatoire, telle quelle, sans prise de recul, est en soi un délit de complicité.

Commentaires

  1. Bien d'accord avec toi : le plus simple était de ne pas publier ce passage qui, par parenthèse, risquait d'exposer un flagrant manque de crédibilité du magazine en question. Même si le journaliste se doit d'être responsable, je n'incrimine pourtant pas Sylvie car j'ai moi même, par le passé, commis ce genre de bourde en laissant dire par mon interviewé des choses irresponsables. Toutefois, on peut éventuellement publier ces conneries en en expliquant le contexte et en démontrant la stupidité de l'affirmation gratuite et calomnieuse. Mais il faut pour cela comme tu le soulignes prendre la peine d'enregistrer l'interview, ce qui est plus sûr en cas de contestation. L'envers de la médaille, c'est la langue de bois qui ne manquera pas de se généraliser chez nos confères(soeurs) comme dans le monde du vin.

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