Bain de jouvence pour les AOP.


Hier soir, je discutais au téléphone avec un jeune vigneron français. Il est tout fier, il vient de rentrer un magnifique vermentino sur lequel il place beaucoup d'espoirs, la fermentation se déroule bien, il ne reste plus qu'à croiser les doigts, mais apparemment, ça "sent bon". Du coup, en attendant la cueillette des rouges, nous mettons la dernière main à l'étiquette qui nous fait bien rigoler. Puis d'un seul coup, alors que je suis devant mon écran, à l'autre bout du fil, je le sens se tendre: "S'il te plaît, vire-moi le millésime, là, sous le nom. Ces connards, ils sont capables de me le déclasser, comme le rosé cette année. Alors en plus je vais pas les payer pour marquer 2015 en Vin de Table!"
Le rosé en question, plus sombre que la norme, pas amylique pour un sou, il s'est vendu comme des petits pains pendant que celui de ses voisins, bien que bradé, avait le succès commercial des cercueils à deux places. Il s'est vendu non pas avec la dénomination géographique prévue (nous avons du refaire l'étiquette la veille de l'impression) mais en Vin de France, comme un paria. Oh, il aurait pu le représenter, mais je me souviens de sa colère quand il a reçu le papier avec marqué en gros dessus "échantillon oxydé"… L'oxydation, on a passé l'été à la chercher, personne ne l'a trouvée.


Je vous raconte cette anecdote comme un éclairage de ce que vivent au quotidien des centaines de vignerons en France, pris dans les mailles d'un filet administratif vicieux et orienté, celui de l'INAO, des syndicats d'appellation et de leurs sbires. Dans beaucoup de crus (pas tous heureusement mais trop quand même), on brime, on blâme, on exclut.
Dans le monde hexagonal du vin, on en a plein les tiroirs des histoires de ce genre, jusqu'à l'abracadabrant et médiatique feuilleton de Pontet-Canet, la nouvelle star de Pauillac menacée de déclassement comme un manant de la plaine de l'Hérault. On s'indigne moins dans les gazettes d'avoir vu disparaître la mention "château" de l'étiquette d'un de ses voisins, l'estimable médoc devenu Vin de France du bougon Didier Michaud (ci-dessus) à Saint-Yzans, passé du noble Château Planquette au très roturier Planquette. Remarquez, ça lui va bien au teint….


Là, évidemment, pendant deux trois jours, avant que le soufflé ne retombe, on va gloser sur le cas d'Alexandre Bain. Ce vigneron de Pouilly-Fumé qui ne sort jamais sans son cheval est la coqueluche des magazines parisiens. Pour dire, on l'a même vu en pleine page dans Télérama! Ses vins sont marqués "nature", c'est son choix, ils ne ressemblent pas à ceux de ses voisins, ne sont pas "typiques" de son appellation, mais il les produit sur ce territoire. Et là, pour une histoire très courtelinesque de date de contrôle de sa cave*, on lui indique qu'il est viré de cette appellation. Vue la surface médiatique de l'exclu, j'ose espérer que dans les beaux bureaux parisiens de l'INAO ou dans ceux du ministère de tutelle, on aura la bonne idée** de suggérer au cow-boy qui a pris cette décision de rengainer son colt et de trouver une solution.


Comment ne pas partager la juste interrogation d'Antoine Gerbelle (qui avait déjà défendu ce vigneron dans la Revue des Vins de France) cet après-midi sur Facebook: "les organismes de contrôle des AOP n'ont rien de plus important à faire que de transformer les trublions de la nouvelle génération nature en martyrs?"
Oui, messieurs des syndicats, de l'INAO, vous qui mandatez, qui téléguidez ces organismes de contrôle, vous ne croyez pas que vous finissez par donner un image navrante du système vinicole français? Ce n'est pas un peu stupide, pardon, complètement con, de virer de vos appellations des types dont les vins, pour des raisons que vous n'avez pas à juger, sont vendus, appréciés, voire adulés dans le monde entier? Je vais vous dire, messieurs des syndicats, de l'INAO, à force, ça finit par faire mange-merde votre truc, association de vieux aigris, jaloux du succès des autres, défenseurs d'un immobilisme clanique pétri de copinages et d'avantages acquis. Sortez un peu, aérez-vous la tête.


Pour le coup, je le répète, Alexandre Bain ne s'est pas fait éjecter de l'AOP Pouilly-Fumé parce que son vin ne correspondait pas aux standards gustatifs des experts chargés des dégustations de contrôle. Mais à plusieurs reprises, comme le rapporte Antoine Gerbelle, on lui a cherché des noises, le papier avec marqué en gros dessus "échantillon oxydé", il l'a reçu.
Me vient du coup, par esprit d'escalier, une idée qui permettrait d'arrêter de se tirer des balles dans le pied et de faire gagner du temps et de l'argent aux vignerons: pourquoi ne pas carrément supprimer cette dégustation qu'on appelait autrefois d'agrément (ce qui m'a toujours fait rire, parce que l'agrément là-dedans…). Ben oui, finissons-en avec cette pantalonnade: les points de vue des un des autres sont inconciliables: le coopérateur formaté au Ricard et à la Marlboro n'aura jamais le même palais, et surtout les mêmes références que le "naturiste" amateur de Cantillon et de Fleur du pays. Peu importe pour le prestige du vin français dans le Monde que l'un ou l'autre aient raison. Pourvu qu'ils arrêtent de se donner en spectacle!


Voilà, donc, c'est simple, juste une bonne analyse pour vérifier que le vin est dans les clous, qu'il est "marchand" au sens légal du terme et basta! On ne nous emmerdera plus avec "l'échantillon oxydé", avec ces dégustations vétilleuses qui sont au plaisir du vin ce que la gynécologie est à l'amour. Et le consommateur fera le tri, achètera ce qui lui plait, rejettera ce qui ne lui plaît pas. Chacun prendra son pied où il pourra, et surtout où il voudra, quant aux vignerons, dans le cadre imparti, ils donneront librement leur vision de leur terroir***.
En revanche, ce sera le boulot des contrôleurs, ils vérifieront que les raisins qui ont rempli la bouteille proviennent bien du terroir spécifié sur l'étiquette. Vous verrez, ce sera un miraculeux bain de jouvence****, à la Cranach, pour cette vieille dame qu'est devenu le système des appellations d'origine français.



* Le détail de l'histoire ici raconté tout à l'heure dans le blog alterno-féministo-naturiste de la caviste belge Sandrine Goeyvaerts.
** Si la version donnée par Alexandre Bain ci-dessus est confirmée.
*** Je sais qu'on va me ressortir les usages constants, mais ça fait longtemps qu'ils ont pris un pet au casque les usages constants. Tiens, rien qu'avec la machine à vendanger par exemple…
**** Désolé, je sais, ça fait Almanach Vermot, un peu beauf, je n'ai pas pu m'en empêcher, en plus, ce n'est pas de moi mais d'Antoine Gerbelle…


Commentaires

  1. Ce petit vermontinu 2015, ça sentirait pas le cahors de contrebande par hasard?

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    1. Ah, c'est un vermentinu qui aura plus l'accent du causse lotois que de la montagne corse, oui…

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