Jouir de jalousies.
Je ne sais pas ce que rapportent vraiment les différents prix, les différentes récompenses, attribués ici et là à des établissements ou à des personnalités. Meilleur ci, meilleur çà, plus grand, plus beau, plus haut… Ce que je peux affirmer en tout cas, c'est que le récent Restaurant & Bar Design Awards décerné à Londres a fait gagner une table de deux clients au Disfrutar de Barcelone. Disfrutar, c'est une des adresses dont parle beaucoup la volaille qui fait (croit faire?) l'opinion en matière d'élégances gastronomiques espagnoles. Pour dire, à peine ouverte, cette maison chic de L'Eixample a décroché une étoile au Michelin. Bon, bien sûr, le Guide des Pneus version ibérique, il y a à boire et à manger. Enfin, pas trop d'ailleurs. Ni à manger ni à boire…
N'empêche que nous y sommes allés à Disfrutar. Tiens, rien que pour ce nom, superbe: "disfrutar", "profiter", "jouir" surtout. Si musical en espagnol, promesse de cueillette, de fruits, de plaisir. Et franchement, pour nous qui voulions "manger les rideaux", ce fut un enchantement. Parce que, même si la rue est aussi cliniquement grise que son quartier (quel dommage d'avoir massacré le beau marché du Ninot et sa féérique caserne de pompier!), dès que vous pénétrez à Disfrutar, l'Espagne, colorée, lumineuse, bruyante, vous saute à gueule.
En vérité, nous y sommes aussi (surtout?) allés dans une démarche intéressée. L'architecte qui a bâti le lieu a utilisé un matériau que je dois très prochainement mettre en œuvre dans un projet: les céramiques vernissées et surtout les jalousies produites par une vieille entreprise de La Bisbal d'Empordà, la maison Ferrés. J'adore ce travail de l'argile qui nous rappelle la fondamentale dimension terrienne du nord-est de la Catalogne, masquée parfois par l'éblouissant calcaire et les pinèdes de la Costa Brava. Matériau noble? Assurément.
Les céramiques, vernissées ou émaillées, brutes même en tommettes pour plafond et carrelages, tout le monde connaît. On prête moins attention en revanche aux jalousies, les celosías, comme on dit en espagnol. Cette dentelle de terre cuite, assemblée sous forme de briques, est généralement utilisée en extérieurs, pour couper (ou au contraire accélérer) le vent et/ou tamiser la lumière. Comment ne pas y voir un puissant héritage des moucharabiehs installés de ce côté des Pyrénées à l'époque d'Al-Andalus, comme une perpétuation de la tradition mozarabe ibérique?
À Disfrutar, les celosías ont conquis l'espace comme les Arabes l'Espagne. Ils sont le soleil de ce local qui aurait pu être un des banals couloirs de l'Eixample, sombres tunnels privés de lumière naturelle. Tel que l'a voulu Oliver Franz Schmidt d'El Equipo Creativo, c'est très spectaculaire (un poil trop à mon goût), vraiment réussi. Oubliant l'antériorité du matériau, les étrangers, anglo-saxons notamment, y voient l'expression d'une modernité, d'une créativité barcelonaise qui semblent les enthousiasmer. Ils se régalent, et franchement nous aussi, à l'idée d'utiliser ces céramiques qui mélangent le souvenir d'un puissant patrimoine à un air de vacances en bord de mer plein de fraîcheur. Bref, un beau moment à "jouir des jalousies" de ce restaurant dont la cuisine a comme je vous le disais été célébrée par la critique.
La cuisine? Ah oui, la cuisine, j'allais oublier! Comment dire? Immonde? Oui, tout simplement immonde*.
* Sur ce repas, non pardon sur cette "expérience" disent les pubeux de sous-préfecture et les pompom girls de la foodisterie, on va faire simple. Vous êtes formaté au Nutella? Poussé au buuuurgeeeeur? Élevé au Caca-Cola? Alors, sans aucun doute vous aller adorer cette interminable symphonie dédiée au bubble-gum, à la jelly et aux crackers (plus précisément crackers/fromage un peu rance pour un des plats), pétrie de références ludiques aux symboles et aux marques de la malbouffe, où on bouffe avec les doigts comme pour les apéros au camping. L'idée, vous la connaissez, est que tout soit faux, fake, aussi naturel que les seins d'une actrice porno américaine. Seule nous a réconfortés l'aimable rusticité des tanins de ce gentil Garrut dont je vous ai parlé il y a longtemps et qui nous a un peu purifié la bouche.
Tout cela est évidemment très cher, comme dans son homologue Tickets (le pire restaurant de Barcelone). Principe de base du marketing: la merde, si on veut qu'elle soit crédible, il faut la vendre cher.
Vous me direz que je n'ai pas non plus à m'en plaindre, j'y suis allé tout seul, sans revolver sur la tempe, et comme on dit au rugby, "si tu fous la tronche où les autres ont les pieds…" C'est vrai, mis quand même, quel moment quand au début du repas, très gentiment, le serveur nous a débité l'interminable liste de molécules, d'intrants chimico-pharmaceutiques auquel nous risquions d'être allergiques! On se serait cru à l'hôpital avant une opération à cœur ouvert. Mon refus, entre autres de ce puissant laxatif qu'est le Mannitol, enfant chéri des tecnoemocionales, ne m'a pas empêché d'avoir une fin d'après-midi intestinalement compliquée…
Tout cela est évidemment très cher, comme dans son homologue Tickets (le pire restaurant de Barcelone). Principe de base du marketing: la merde, si on veut qu'elle soit crédible, il faut la vendre cher.
Vous me direz que je n'ai pas non plus à m'en plaindre, j'y suis allé tout seul, sans revolver sur la tempe, et comme on dit au rugby, "si tu fous la tronche où les autres ont les pieds…" C'est vrai, mis quand même, quel moment quand au début du repas, très gentiment, le serveur nous a débité l'interminable liste de molécules, d'intrants chimico-pharmaceutiques auquel nous risquions d'être allergiques! On se serait cru à l'hôpital avant une opération à cœur ouvert. Mon refus, entre autres de ce puissant laxatif qu'est le Mannitol, enfant chéri des tecnoemocionales, ne m'a pas empêché d'avoir une fin d'après-midi intestinalement compliquée…
Bon, on ne va pas en disserter pendant des heures, c'est exactement la même merde, fabriquée dans les mêmes usines, que celle que l'on sert aux gogos, aux snobs, aux bouffeurs de noms de feu El Bulli, du Celler de Can Roca ou de chez Dacosta. La même bouillie sucrailleuse, prête-à-vomir devant laquelle s'extasient les illettrés du goût, bouillie qui est à la cuisine espagnole ce que Salvame (émission télévisée pour QI d'huîtres) est à Cervantes.
Allez, voici les photos, c'est plus simple, et c'est d'ailleurs la seule finalité de cette négation de cuisine que d'être photographiée.
Allez, voici les photos, c'est plus simple, et c'est d'ailleurs la seule finalité de cette négation de cuisine que d'être photographiée.
Ouais, c'est totalement régressif. Sinon, c'est bon la pomme de pin ?
RépondreSupprimerPeut-être qu'on aurait du la manger…
SupprimerEst-ce un hasard si le graphisme de la carte représente le mot jouissance semblant s'effacer ?
RépondreSupprimerLe verbe "jouir", plutôt. Oui, c'est peut-être un sens caché. Nous en tout cas n'avons pas crié de plaisir. sauf pour les jalousies…
SupprimerBonjour. "Tombé" presque par hasard (je vais à Barcelone bientôt avec ma chère et tendre)sur votre blog que je dévore depuis cet après midi, j'ai cru un instant avoir trouvé le restaurant idéal pour fêter dignement nos nombreuses années de mariage. Jusqu'à ce que je tombe sur cette phrase magnifiquement magique : "La cuisine? Ah oui, la cuisine, j'allais oublier! Comment dire? Immonde? Oui, tout simplement immonde.". J'en pleure encore... Merci pour ce que vous faites et la transmission si stylée de vos idées que je partage amplement. Alors ? Où faut il aller manger à Barcelone sinon ?
RépondreSupprimerMerci,
SupprimerIl y a dans le blog une chronique intitulée 'Le mini-guide de Barcelone' dont je ne peux pas vous donner le lien depuis mon téléphone. Vous y trouverez ce que vous cherchez.