Voyage au centre de la terre.


La cuisine, on peut y mettre toute la poésie, tout le folklore, tout l'amour du Monde, ça reste quand même beaucoup de technique. De la technique ("tek-nik" comme disait le gourmand Toulouse-Lautrec), voire de la technologie. Derrière la magie se cachent des phénomènes physiques, des réactions chimiques qu'on peut aborder de façon empirique mais qu'il n'est parfois pas inintéressant de connaître*, y compris pour que ressurgissent des goûts et des parfums venus de la Nuit des Temps.
La technologie implique donc des processus rigoureux et des outils, des outils de précision dont le cuisinier consciencieux peut difficilement se passer pour régaler ses convives. C'est d'un de ces outils, indispensable, fondamental, dont il est question dans cette chronique.


Rassurez-vous, il n'y sera pas question de technologie à la mode, comme par exemple ces fours basse-température qui ont (malheureusement!) quitté les usines de la malbouffe et les cantines industrielles pour envahir les cuisines dites gastronomiques. Laissons leur plastoque,  leur sous-vide et leurs sondes thermiques aux rôtisseurs ratés, laissons-leur le plaisir de donner à toutes les viandes exactement la même texture et le même goût, surtout qu'en s'en mêlent les poudres de perlimpinpin. 
L'outil dont je parle, c'est la terre, la terre façonnée par la main de l'homme, savamment tournée, puis cuite dans un four à très haute température. La terre qui demeure un de mes matériaux de prédilection, un des matériaux les plus intelligents quand il s'agit de dompter le feu, d'adoucir sa violence.


Depuis des décennies, les "fournisseurs de ma majesté" sont les Not, une famille que j'ai connue lorsque sa réputation franchissait difficilement les frontières du canton de Castelnaudary, dans l'Aude, alors que désormais on en parle même dans les blogs
Je me souviendrai toujours du jour où, pour la première fois, j'ai poussé la porte de leur atelier. Un univers comme figé par la terre, peint par l'argile. Lors d'une de mes visites, j'ai pensé au merveilleux rêve de Georges Charpak qui espérait qu'un jour on puisse, en lisant les sillons d'une poterie comme on lit un disque de vinyle, entendre la voix de ceux qui l'ont créée. "L'empreinte sonore" disait le physicien, voyant là l'éventualité de ressusciter nos ancêtres. Certains de ses collègues lui ont rit au nez, peu ont comme lui reçu le Prix Nobel.


L'été dernier, une soirée cassoulet se profilant à l'horizon, j'ai donc refait "le voyage au centre de la terre". Jusqu'à cette écluse de la Méditerranée (jadis appelée du Médecin ou de Médicis), un lieu important du canal du Midi, l'extrémité orientale de son bief supérieur, de son sommet en fait que constitue le seuil de Naurouze.
J'aime cet endroit, si proche des axes routiers, ferroviaire et donc fluvial qui irriguent l'isthme pyrénéen, et pourtant loin de toi, protégé par les quelques virages à angle droits d'une route qui se faufile entre les champs de céréales du Lauragais. Et j'y suis retourné comme si je l'avais quitté la veille, avec cet accueil émouvant dans l'atelier, les visages familiers, d'autres qui ne sont plus là, d'autres aussi qui viennent prendre le relais de ce grand œuvre familial qu'est le chantier terrestre mais spirituel de la famille Not. Ces gens-là perpétuent un art-de-faire qui remonte à l'antiquité, que les brassages méditerranéens ont amélioré, leur maison est un musée vivant.


Je parlais de cassoulet, parce qu'évidemment, ce qui a valu ce regain de notoriété à la famille Not, c'est la fameuse cassole sans laquelle un cassoulet n'est qu'un ragoût de haricots. Son matériau, sa forme évasée modifient technologiquement le goût de ce plat. J'ai déjà détaillé ça par ailleurs**, quant à la recette de mon cassoulet, vous la trouverez ici.


Mais on ne peut pas résumer le travail de ces potiers à la cassole, leurs autres poteries ménagères*** sont des outils indispensables: tripières, daubières, diables, plats à gratin, grézals, caractéristique avec leur couleur "jaune crème anglaise" typique du Lauragais. Jusqu'à cet élégant petit saladier au rebord perlé qu'ils ont ressortis de leur précieux catalogue de modèles, vieux de plus de cent ans.


Certains se disent, voici encore des objets de milliardaires que personne ne pourra s'offrir. Faux! Archifaux! Les poteries de chez Not, qu'on se passe de mère en fils, sont à la portée de toutes les bourses, pas plus coûteuses en tout cas qu'une merde d'IKÉA pétrie non pas de terre d'Issel mais de toute la misère du Monde. S'il y a parfois un prix à payer, c'est celui de la patience, pour les pièces de commande, mais c'est bien le moins: on ne parle pas de gadgets mais d'objets de patrimoine. Faites à votre tour "le voyage au centre de la terre", vous comprendrez. Mieux, vous sentirez.




* Je pense notamment à La cuisine c'est aussi de la chimie, le livre très didactique d'Arthur Le Caisne, évoqué ici, et qui demeure un excellent cadeau pour Noël prochain.
** J'avais raconté dans une monographie, Cassoulets, haricots, mongets & Cie (Éditions Loubatières, 1996) la merveilleuse histoire de la poterie lauragaise et de son contenu, et notamment de la fameuse cassole, authentique melting-pot culturel. Une façon de cuire la terre apportée en Narbonnaise par les Romains, perfectionnée ensuite par les arabes avec l'apport de leur vernis de calcine, sublimée après la découverte de l'Amérique par l'apport du haricot, cet immigré andin. 
*** La famille continue également à produire d'admirables vases d'ornement extérieur identiques à ceux d'Anduze, mais artisanaux… 




Commentaires

  1. Je ne suis pas tout à fait d'accord. Tu goûterais mon épaule d'agneau (bio) de la ferme d'Alice (Alice Musso, à Saint-Laurent-du-Médoc) sur lit d'aillet (quoi ? Ton blog ne reconnait pas le mot "aillet" ?!?) cuite en cocotte des plombes à 75°C, pas sûr que tu cracherais dessus.

    Bon, arrête avec ton cassoulet, aussi. Comment veux-tu que je trouve le temps en ce moment ? Mais attends que le rythme diminue. Promis. Je tente !

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    1. Oui, mais dans une cocotte en terre, ou dans un diable…

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    2. Pour ce qui est de l'aillet, si, souvent. Mais ici, à Barcelone, je suis obligé de demander de 'l'all tendre'.

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    3. Les miennes sont en fonte ou en cuivre. Pour l'aillet, je me doute bien que tu connais, tu fréquentes l'ouest atlantique français. Je remarque seulement que le censeur orthographique invisible me le souligne quand je l'écris. Je "l'ajoute (donc) au dictionnaire" pour épargner mes yeux de la vague rouge.

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    4. Pas qu'Atlantique, on en trouve aussi en Languedoc et Catalogne. Notamment.

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