Boire des mots.


On va bientôt, au bombardon et à la grosse caisse, fêter les vins nouveaux. Liesse générale, banane obligatoire (les deux*) et saucissonnades à gogo (éventuellement sans S…). Si mes comptes sont exacts, ce sera le dix-neuf novembre. Je pense que ce soir-là, j'aurai un rendez-vous important. Ou une grippe diplomatique.
Ne m'en veuillez pas, je ne suis pas bégueule, mais les beaujoleries, comme les tariquèteries, j'ai donné, je passe mon tour. En plus, je n'y peux rien, Musa acuminata, c'est pas ma tasse de thé (sauf flambée), quant au mariage rouge/saucisson, ça reste pour moi un cas de divorce**.
Attention, je ne veux dégoûter personne, ni opposer un style à un autre, tous les goûts sont dans la Nature, régalez-vous mes amis! Simplement, j'ai d'autres soifs, et je déteste les figures imposées, les mouvements de foule; la liberté me va mieux au vin.


C'est une conversation avec une vigneronne, hier après-midi, qui m'a fait penser à ça. Une fille réservée qui, avec son mari, produit loin des modes des vins fins, des vins de garde, mûris, réfléchis. C'est d'ailleurs en parlant avec elle que je me suis dit que je n'en buvais pas assez.
Je vais encore passer pour un snob, mais tout cela naviguait assez loin du marketing langue-de-belle-mère/coussin-péteur/jeux de mots de Carambar tellement en vogue dans un Mondovino qui essaye, en forçant le trait, de faire (encore) jeune. C'est de Rilke qu'il était question. D'une de ses phrases que nous avons envie de coller sur l'étiquette*** d'un vieux carignan dont les racines fouillent les schistes noirs depuis plus de cent-dix ans. J'aimais sa joie sincère, son enchantement en entendant les mots du poète que justement elle avait étudié, en version originale, en allemand. "Examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre cœur". Des mots qui ont le même âge exactement que la vigne dont il me tarde de reboire le jus.
Voilà peut-être ce qui remplira mon verre au soir du dix-neuf novembre. En relisant Lettres à un jeune poète.




* Oui, les deux bananes, le sourire (forcé) et celle du goût qui signe la quasi-totalité des vins nouveaux, née naturellement ou pas de l'acétate d'isoamyle.
** Oui, désolé (bis) mais la tradition bistrotière et si pratique des salaisons (saucisson, jambon…) avec le vin rouge, avec ce cortège de goûts métalliques, la dissolution du vin dans le sel, je n'y arrive pas. Ça m'écœure même. Enfin, pourquoi croyez-vous que le bon Dieu a inventé le jerez, le montilla-moriles et la manzanilla? Sans même parler des rancios catalans
*** Un clin d'œil aussi à une divine cuvée, suisse et confidentielle, un rouge valaisan de rêve dont je vous parlais ici, velouté comme une peu de femme, né d'une vigne que fréquenta Rainer Maria Rilke, juste à côté de la tour de Muzot.




Commentaires

  1. "Un an ne compte pas, dix ans ne font rien, être artiste, être vigneron, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève et qui résiste aux grands vents..." Rilke, encore. Par ailleurs, mon cher Vincent, lorsque je suis harangué en novembre par un restaurateur qui, de man!ère appuyée, me pousse à prendre une bouteille de beaujolais nouveau, je dégaine aussitôt, et ce depuis un fagot d'années : non, merci, je préfère le vin... Amistad, Léon

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