Cuisine centrale "de luxe".


Vous avez adoré la disparition du café, des brûleries, des origines? Alors, vous allez raffoler de Chef Cuisine. Ce concept est lancé par une société suisse, Nutresia SA, basée à Châtel-Saint-Denis, près de Vevey. Eh oui, Vevey, au bord du lac Léman, le fief d'une des plus grosses multinationales de la malbouffe, Nestlé évidemment. Mais, ce n'est pas exactement ce trust, désormais considéré par les foodistes appointés comme "le meilleur ami de la gastronomie", qui met sur le marché Chef Cuisine mais plusieurs de ses anciens cadres. Leur but, vous l'avez compris, en voyant cette machine et ce logo, est de créer le Nespresso de l'alimentation. 


Pour crédibiliser cette machine à réchauffer les plats cuisinés, ce bain-marie relooké, il fallait bien sûr qu'un chef étoilé vienne à la soupe. Une femme, en l'occurrence, Anne-Sophie Pic, héritière trois-macarons de la maison familiale de Valence, et consultante, entre autres, au Beau-Rivage de Lausanne. Avec des éléments de langage qui fleurent bon le jargon de l'école de Commerce (elle fut élève de l'ISG Paris), elle nous explique qu'il s'agit de "rendre accessible l'art culinaire français". Une carte est créée, je vous l'offre ici en primeur.


Quant aux plats, évidemment, on vous vend de l'assiette de magazine, tendance pointilliste, c'est la règle pour les emballages du genre…


Comme à chaque fois avec la bouffe d'usine, avec la bouffe en sachets-plastique, chez Davigel ou ailleurs, tout cela est accompagnée de photos alléchantes et de l'habituel poésie commerciale sur le terroir, l'origine, le naturel des produits, blabla nimbé comme il se doit d'un certain flou artistique où l'identifie davantage la provenance des épices que du cœur de plat*.


Il faudra goûter bien entendu, mais avant même la dégustation, il y a fort à parier que la "Presse" spécialisée et les blogs assortis (la claque quoi…) vont nous sortir les émerveillements des grands jours: l'adjectif "révolutionnaire" du communiqué de l'agence de com' risque d'être maintes fois recopié… Car, devant tant de génie, et quelques invitations, voire un voyage, le sujet-verbe-compliment sera évidemment de rigueur. 
Pour le reste, on s'interrogera afin de savoir si, au delà des belles prétentions éducatives de Chef Cuisine, c'est ainsi, autour de cette cuisine centrale "de luxe", que l'on apprendra aux gens à mieux manger**. J'en doute fortement. Nous voilà en tout cas à des années-lumière de l'univers que j'évoquais hier, cet œuvre, ce grand œuvre familial des potiers du Mas-Saintes-Puelles, de leur dignité et de leur noblesse***. De leur sens de la transmission.



* J'avais expliqué ce gimmick contemporain, ce rideau de fumée ici.
** Plutôt qu'en leur enseignant par exemple à aller acheter des produits frais au marché et à mettre la main à la pâte.
*** Au vu de la chronique d'aujourd'hui, un de mes lecteurs (que je remercie) nous conseille de relire Giono, ce magnifique extrait de Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix.
"Je ne sais pas qui a fait croire que les miracles éclataient comme la foudre? C'est pourquoi nous n'en voyons jamais. Dès qu'on sait que les miracles s'accomplissent sous nos yeux, avec une extrême lenteur, on en voit à tous les pas. Ce n'est pas à vous qu'il faut l'apprendre, qui semez le blé, puis laissez le temps qu'il faut, et il germe et il s'épaissit comme de l'or sur la terre. Il ne vous est jamais venu à l'idée de combiner les mathématiques et les chimie en une machine qui le fera pousser et mûrir brusquement en une heure. Vous savez que la terre serait contre..."


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