Le thermomètre dans le cul d'un pays.
Pour une fois, hier, la Presse m'a donné faim. La Presse française en tout cas. Ces rumstecks, ces entrecôtes, ces tranches grasses, partout sur le web, à la Une du Monde, du Figaro, de Libération. Oui, hier, c'était la journée de la viande dans les journaux. Du bœuf, principalement. Rouge. Saignant.
Reconnaissons qu'avec la publication du Centre international de Recherche contre le Cancer (lire ici), l'occasion était trop belle pour les bedeaux d'enfourcher un des canassons à la mode médiatique du moment, la lutte contre les viandards, qu'on imagine forcément vieux, "fascistes", capitalistes, etc, etc. C'est tellement tendance de dire qu'on ne mange pas de viande, follement moderne, alternatif, ouvert d'esprit, jeune. Ça fait tellement partie d'une certaine normalité médiatique genre On n'est pas couchés. Vous ajoutez à ça un "sondage-lecteurs en ligne", un "psycho-morpho-test" et vous pouvez considérer que votre job de grand journaliste est fait.
Le problème, c'est que, contrairement à ce que laisse penser l'étal, la terrifiante titraille* de Presse parisienne, cette étude** que personne n'a lu, ce n'est pas du faux-filet servi bleu qu'elle parle en priorité mais de la "charcuterie", et des viandes transformées. Certes, comme je l'expliquais hier, le bœuf, le veau, l'agneau, le porc, la chèvre, le cheval sont bien classé désormais en catégorie 2a dans la hiérarchie établie par le CIRC, celle des cancérogènes probables au même titre que la fumée de cheminée, la friture, le maté brûlant ou le travail de nuit. Mais si la "viande rouge" est ainsi classée, c'est plus à cause de sa cuisson qu'autre chose***: l'ennemi, c'est la fumée du grill, ou même tout simplement la fameuse réaction de Maillard**** dont nous rebattent les oreilles les cuistots savants. Sur le produit brut, l'étude salue "la haute qualité biologique" de ses protéines et l'intérêt des vitamines et minéraux qu'elle contient, et précise que la dangerosité est établie pour des consommations quotidiennes moyennes de plus de trois cent vingt grammes.
Comme souvent, il valait mieux lire la Presse européenne qui, de la BBC à El País en passant par Die Welt, pointait dès sa publication l'élément marquant de cette étude, la classement en catégorie 1, celle des agents cancérogènes certains, de la viande transformée. Parce qu'on dit "charcuterie", mais il est question ici de toutes les viandes qui ont subi un processus tel que la cuisson, la salaison, la fermentation, le séchage, le fumage; ça va du jambon de dinde au filet d'Anvers en passant par le buuuurgeeeuuur d'usine et les ravioli. Voilà donc tout ces produits, y compris nos meilleurs jambons et saucissons (salaisons, fermentation, séchage…) mis dans la même catégorie que l'amiante, le tabac (fumé ou non), la pollution, l'alcool, les gaz d'échappement des voitures diesel, la poussière de bois… Ce que n'omettent pas de mentionner (sans l'imputer par erreur à la côte de bœuf) les médias étrangers, c'est que sur toute la planète, on accuse la viande transformée de 34000 décès par an. Ce qui représente une mortalité de 0,0005% à l'échelle mondiale…
Alors, je sais, pour en revenir à ma petite colère du début, même si lire ses journaux, c'est comme enfoncer un thermomètre dans le cul d'un pays, c'est pas bien de dire du mal de la Presse. Je le fais rarement d'ailleurs. La dernière fois, c'était à propos d'une autre étude, sur l'alcool et le vin, résumée "à l'envers" par les "spécialistes labos pharmaceutiques" des journaux français.
Mais la Presse que j'ai vue à la manœuvre hier, avec son confort intellectuel, ses peurs de vieux qui puent l'égoïsme, la bien-pensance et le repli sur soi, me fatigue un peu. La France, qui n'est pas qu'un pays de fonctionnaires retraités, mérite mieux. Mieux que ces bedeaux médiatiques, moralistes, hygiénistes. Mieux que ce décalage avec "la vraie vie". Je ne veux pas croire qu'on n'ait que la Presse qu'on mérite.
* Saluons au passage Libération qui après un long passage à vide hier, dans la droite ligne des autres titres de la Presse parisienne, s'est fendu en fin de journée, sous la plume de Sylvestre Huet, d'un papier intelligent et technique qui rectifiait les âneries proférées plus tôt.
** En réalité, une compilation d'études. Le texte intégral est disponible ici sur le site du Lancet, après inscription gratuite.
*** En la matière, j'ai lu de tout hier en France, car grâce aux conneries (appelons un chat un chat) de la Presse française. Y compris l'habituel discours sur les "intrants". On m'a même parlé du diable absolu, les sulfites "à cause desquels la charcuterie…" Précisons toutefois, monographies du CIRC à l'appui, que les sulfites sont classés en catégorie 4, celle des produits absolument pas cancérogènes.
**** La caramélisation des sucs, qui fait qu'au fond d'une poêle une viande dore.
La réaction de Maillard...Je l'avais bossée à fond, j'avais élaboré de beaux graphiques synthétiques, j'aurais cartonné si j'avais été interrogé dessus. J'ai tiré un des deux sujets disponibles. "Le SO2". J'ai demandé à voir l'autre. "La réaction de Maillard". Y'a des jours comme ça. De là à dire que cet oral a décidé de mon orientation future...
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