La tristesse d'un caviste.


Bon, Le Monde, les vins foireux, vous sous souvenez? je vous ai récemment fait part de mon indignation en voyant ce grand journal (cet ex-grand journal?) s'abaisser à faire le tapin pour les rayons pinard de la grande distribution. Une méthode, l'article de commande, para-publicitaire, choquante en soi mais qui n'est pas non plus sans conséquences. Ce genre de publi-reportage, dans des médias théoriquement respectables, envoie forcément un signal à des vignerons que les problèmes de conscience n'empêchent pas de dormir. "Ben oui, vous comprenez, la "foire aux vins" du pousse-caddie, même Le Monde en parle, donc c'est normal qu'on y trouve ma production…" 


J'ai repensé à ça hier en découvrant sur Facebook la photo d'une bouteille d'une propriété dont les cavistes ont fait la gloire, qu'ils ont poussée, et trouvée par un collègue* sur l'étagère d'un Monoprix lyonnais. Un chablis, celui de Daniel-Étienne Defaix.
Comme je l'expliquais récemment à propos d'un corbières détourné par un intermédiaire véreux, la première chose à regarder dans ce cas-là, c'est le prix. Lui indique le parcours de ce vin. S'il est plus cher que le tarif habituel, c'est bien un piratage, mais s'il est dans les mêmes eaux, c'est que le vigneron l'a vendu directement. Là, dans ce cas, celui du chablis de Defaix, c'est encore pire, il est moins cher que chez le distributeur habituel!


Quelques minutes plus tard, un caviste qui vend Defaix "depuis sept ans" tombe sur cette photo. Thomas Noël (ci-dessus), La maison des millésimes, à Paris**. Une maison prestigieuse, avec clientèle du même tonneau, installée dans un quartier qui ne l'est pas moins: Saint-Germain-des-Prés. Et Thomas, on se met à sa place, est plus que déçu. D'autant que le vigneron en question est davantage qu'un fournisseur, il a même célébré chez lui l'enterrement de sa vie de garçon. Et que ce vigneron, en public, fanfaronne, plastronne, expliquant avec un brin de cynisme qu'il vend sa "Rolls des chablis" 26€ à Monoprix "parce qu'ils en rêvent et ne désirent que le meilleur pour leurs clients…!" Une marge de cinquante centimes, au-delà son côté phénoménal pour une bouteille de ce prix ne couvre même pas vous vous en doutez la TVA, on serait donc dans la vente à perte (ce qui est illégal en France).


Il va de soi que les clients chics de La maison des millésimes se passeront désormais de "la Rolls des chablis". Et j'imagine que de nombreux cavistes en feront de même, voyant leur travail détruit par le peu de scrupules du vigneron et le quasi dumping du pousse-caddie. Heureusement pour eux, on en connaît d'autres, à commencer par les petites merveilles de Thomas Pico (dont j'évoquais ici l'honnêteté, la transparence, au cours des dernières vendanges).
Mais au delà du changement de cap de Daniel-Étienne Defaix et de ce divorce commercial, j'ai repensé à ces quelques mots échangés hier soir avec le marchand de vin germanopratin. Déçu, bien sûr, je le disais plus haut, mais plus encore trompé, trahi. Car, que voulez-vous, un caviste, contrairement à une chaîne d'hypermarchés, ce n'est pas une machine à broyer le Monde, c'est juste un être humain, avec une éthique, et aussi des sentiments. Comme la tristesse, la profonde tristesse que j'ai ressentie chez Thomas Noël.



*  L'insatiable Thomas (ci-dessous), alias Sborgna Nera, le plus lyonnais des Marseillais.
** Qui "en prime" a un Monoprix à cent mètres, rue de Rennes.


Commentaires

  1. Le pire état peut être qu'il croie "avoir gagné des milliers de clients" alors qu'il n'en a qu'un seul, qui pourra le saigner paisiblement quand il sera dépendant de lui. Bêtise, précarité et/ou appart du gain, la GD cible toujours bien ses proies.

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  2. Mes excuses pour les fautes de frappe.

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  3. Il ne semble pas avoir trouvé ses clients de GD, les 2003 sont bradés à 15€ chez monop...

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