Les pesticides, la Justice et les frontières.


Voilà qui va faire plaisir aux khmers verts de la ville, ceux qui défendent la Terre en la survolant coûteusement (je parle de coût écologique), depuis le hublot de l'avion de leur week-end: c'est un agriculteur qui est à la barre. Un des pires, un vigneron. Du Sud, en plus, ce genre de types qui sentent l'ail et l'huile d'olive. Je ne sais pas pourquoi mais je pense à cette phrase souvent mal interprétée de Michelet: "Le brouillard se lèvera un jour ou l'autre entre les deux rives [de la Méditerranée], et l'on se reconnaîtra. L'Afrique, dont les races se rapprochent tellement de nos races du Midi, l'Afrique que je reconnais parfois dans mes amis les plus distingués des Pyrénées, de la Provence, rendra à la France un grand service ; elle expliquera en elle bien des choses qu'on méprise et qu'on n'entend pas."
Mais revenons-en à ce procès, au Tribunal de Béziers. C'est dans Midi-Libre, on devrait plus souvent lire Midi-Libre. Je résume, mais je vous recommande l'intégralité de l'article ici. Ça se passe sur l'autoroute A9. Contrôle de routine. Dans la C15 (là, j'extrapole…) de l'agriculteur, les douaniers remarquent non pas des cartouches de cigarettes ou des magnums de pastis frelaté mais des bidons de produits phytosanitaires. Et, poussant plus loin leurs investigations, ils se rendent compte qu'un des bidons contient cinq litres d’un traitement interdit de mise sur le marché en France. Plus quelques autres litres chez lui.
Pris par la patrouille! Devant la Présidente, le type se défend, relate Midi-Libre: "Je les ai utilisés pour ne pas couler mon exploitation. J’avais été injustement mis en liquidation judiciaire. La MSA trainait à reconnaître mes droits. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre et mon exploitation va mieux." Deux mois de prison avec sursis, mille euros d'amende.


En Languedoc-Roussillon, les achats de produits chimiques (parfois interdits) de l'autre côté de la frontière, en Espagne, c'est plus qu'un grand classique*. Dans les Pyrénées-Orientales, bien sûr; je me souviens d'une vigne que nous montrait Jean-François Tribouley, il y a dix ans à Latour-de-France, de ce sol, de cette croûte devenue aussi dure que du béton. Mais aussi dans l'Aude,  l'Hérault, plus loin même, par correspondance. La légende rurale raconte qu'au passage les contrebandiers occasionnels en profitent, de retour de Figueras, pour faire une halte à La Jonquera, haut-lieu du tourisme culturel catalan, et y déguster dans quelque marisquería putassière la spécialité locale (en fait souvent importée des Pays de l'Est) du versant sud du Perthus.
Mais au delà des putes de La Jonquera et surtout de ce fait-divers, il me semble qu'une question bien plus importante se pose: que fait l'Europe? Et en corollaire, même si ce n'est pas à la mode de le dire, ne faudrait-il pas plus d'Europe? Car enfin, comment peut-on imaginer, dans ce marché unique, que des produits phytosanitaires soient interdits sous peine de prison dans un pays, la France, et en vente libre en Espagne chez n'importe quel vendeur d'un bled comme Figueras? Parce que ces produits autorisés de l'autre côté de la frontière (et à plus forte raison dans tout le "Commonwealth espagnol" dont les vins sont parfois subrepticement européanisés), ces produits délictueux en France, ils y sont quotidiennement importés, et en toute légalité! Mais pas à coups de bidons de cinq litres dans la C15 d'un vigneron audois. Au sein de milliers d'hectolitres. À l'intérieur des vins espagnols et assimilés dont les producteurs peuvent tranquillement les utiliser.
Bref, soit ces produits sont dangereux, soit ils ne le sont pas. Et les Pyrénées n'y changent rien. Les frontières non plus, surtout celles, je le répète, qui se situent à l'intérieur de l'Europe et de son marché unique. Car, là, on reste sur notre continent, je vous fais grâce de l'immense tolérance dont bénéficient les agriculteurs brésiliens, chinois ou indiens, utilisant (même parfois en bio!) des pesticides dont la simple détention en France vous ferait inéluctablement passer par la case prison. Oui, que fait l'Europe?


* Il ne s'agit en effet en rien de quelque chose d'anecdotique. Notamment si l'on en croit cet extrait de l'audition au Sénat, en septembre 2012, de Daniel Roques, président de l'Association des Utilisateurs et Distributeurs de l'Agro-Chimie Européenne (AUDACE).
"Le ministère de l'écologie est à 100% responsable de cette situation. Il s'agit ici non de fraudes mafieuses mais d'achats transfrontaliers effectués par les agriculteurs. Oui, en Languedoc-Roussillon, ces importations pourraient représenter 70% du marché total évalué à 30 millions d'euros. Il s'agit principalement de produits génériques achetés sous le couvert d'une Autorisation de Mise sur le Marché espagnole, qui n'ont pas fait l'objet d'une demande d'homologation en France ou, plus grave, de produits interdits en France mais vendus en Espagne par dérogation obtenue au motif de nécessité locale absolue. Tel a été, pendant des années, le cas de l'arsenic de sodium interdit en France depuis 2002. "

Commentaires

  1. La legislation française sur le transport et l'utilisation des produits phytosanitaires se durcit de plus en plus, et c'est parfaitement normal. En tant que professionnels, nous devons être irréprochables en ce domaine.
    Ce marché transfrontalier résulte d'une double cause : cynisme des firmes qui pratiquent des tarifs très différents pour une même spécialité, et une absence fort préjudiciable d'harmonisation européenne.

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