En Espagne, il faut être radin!
Le flacon ci-dessus, ce fut incontestablement la bouteille du week-end dernier. Ni plus ni moins. Intégralement issue de ce cépage identitaire de la vieille Galice, la mencia, dont on a longtemps cru qu'il s'agissait d'une variante du cabernet-franc. Ah, c'est chouette, la mencia! Je vous ai déjà parlé ici et là des beaux vins qu'on en fait sous le climat plus qu'océanique du Nord-Ouest de la Péninsule ibérique. Celui-ci arrivait de la DO Ribeira Sacra, incroyable vignoble accroché aux rives pentues du fleuve Miño et surtout de son majestueux affluent le Sil. Un jus étincelant, à la fois terrien et aérien, en dentelle mais avec ce qu'il faut de fond, vous savez avec ce côté "ferrugineux" qu'ont parfois certains beaux pommards. À l'aveugle, le côté variétal du cépage passait légèrement en second plan, on aurait pu penser en un peu plus floral à du beau cornalin suisse, à du braucol gaillacois, éventuellement à du breton de grande origine. Bref, nous nous sommes régalés!
Alors, bien sûr, s'est posée la question du tarif. Parce que, sans jouer le tacaño, le Catalan, le prix du vin en Espagne, il vaut mieux le demander à l'avance… Une douce surprise! Après vérification, cette bouteille, issue d'une viticulture héroïque (regardez les parcelles!), se vendait, il y a un an ou deux, huit euros TTC prix public à la bodega Ponte da Boga qui en est l'auteur. Il est de bon ton de se gausser du travail des œnologues, mais d'obscurantisme point trop n'en faut, saluons-là le magnifique travail du Docteur Dominique Roujou de Boubée, pur produit de la Faculté de Bordeaux. Ce scientifique est tombé amoureux du terroir galicien où il vit désormais (ce qui semble susciter chez lui d'étranges réactions de joie vue sa photo ci-dessous) et produit aussi un étonnant trousseau. Toujours est-il qu'avec cette pure mencia de haut vol qu'il vinifie au bord du río Sil, à Ponte da Boga, on est sur un extraordinaire rapport qualité/prix. À titre d'exemple, le vin espagnol suivant, le priorat très mode de Terroir Al Limit que nous avons vainement tenté de boire*, idéal pour des dégustateurs débutants avec sa façon de jouer sur la confusion verdeur/fraîcheur, valait quatre fois plus cher!
À ce jeu des grands petits vins, la Galice a plus d'un tour dans son sac. Le délicieux Alanda 2009, "entrée de gamme" de José Luis Mateo dont je vous ai parlé ici, à peine plus coûteux, a été un des rayons de soleil de ce week-end balnéaire. Il fait en tout cas partie des bouteilles indispensables en Espagne, loin devant des marques aussi usées que leurs caldos. N'oublions pas non plus l'incontournable Rioja, la Navarre, le mourvèdre du Levante et des choses moins connues comme les délicieux crus d'altitude de la région de Madrid, à l'image de la croquante Bruja averia 2012, du Comando G. Un grenache délicat et
gourmand, sans bois
ni lourdeur, à l'opposé des espagnolades imbuvables, produit dans
la Sierra de Gredos, à l'ouest de la capitale, par Fernando García (Bodegas
Marañones), Daniel Gómez Jiménez Landi (Bodegas Jiménez Landi) y Marc
Isart (Bodegas Bernaveleva). Et surtout un bien meilleur rapport qualité/prix que leur cuvée
Las Umbrías dont je vous avais parlé ici.
Mais le défaut des cuvées chères en Espagne, ce n'est pas tant un problème de portefeuille qu'une histoire de (mauvais) goût. Car au delà du côté nouveau riche de certains tarifs, quand on goûte ces soit-disant grandes bouteilles, la plupart d'entre elles ne se distinguent de leurs petites sœurs que par un apport massif de chêne neuf, jusqu'à atteindre des niveaux caricaturaux, genre "pipe à Pinocchio". Je me souviens ainsi de l'exemple d'un domaine visité par hasard dans un magnifique coin perdu de la Ribera del Duero, peu de choses différenciaient les jus premiers prix du haut de gamme, si ce n'est un cercueil en bois massif, comme dans les coopés françaises d'il y a vingt ans. Alors, là, oui, il fallait absolument être radin, éviter de dépenser trop afin d'éviter d'être confronté à l'indigeste prétention des jus de planche supérieurs!
Il y a bien sûr de trop rares exceptions qui confirment cette règle. Mais dans ce pays où la culture vigneronne est quasi absente, où la violence aromatique du Caca-Cola formate les palais, le "mieux" reste généralement l'ennemi du bien. C'est avec la plus grande circonspection qu'il faut aborder les "grandes cuvées". Tout en se méfiant aussi des plus petites, entre vinasse industrielle à rendre sourd et aveugle et vino joven, terminologie qui regroupe généralement de caricaturales macérations carboniques aux arômes surprenants (euphémisme).
Mais revenons à ce qui se boit. Et, paradoxalement en Catalogne, une des régions du Royaume où l'on est le plus porté, en matière vinicole notamment, sur le bling-bling, sur le clinquant. Évitons la côte, filons vers Manresa, à l'intérieur des terres, entre la mythique montagne de Monserrat dont les formes étranges inspirèrent Gaudi et les Pyrénées. J'ai bu là un des meilleurs canons que j'ai pu trouver dans le nord-est espagnol. Mille fois plus sexy que l'horrible priorat pas mûr dont je parlais plus haut!
Un vin de copains, de francs buveurs. À l'origine du projet, il y a ces deux types de ce coin méconnu du Pla de Bages, Pep Aligue et Joan Soler. Le premier est restaurateur, héritier d'une belle lignée, le second est vinificateur, toutes les vignes de la région l'appellent par son prénom. Joan m'a surpris un jour que je lui faisait goûter un vieux châteauneuf-du-pape; lui qui maîtrise parfaitement la question du vin de masse parlait avec une telle justesse, une telle sensibilité de l'énergie de ce qu'il avait dans le verre, de ce "vin de lumière". Autour de lui, de Pep, se sont regroupé quelques copains des environs de Manresa qui ont adhéré à l'idée de faire un vin qui s'échapperait des critères commerciaux habituels, ceux en tout cas qui ont cours localement.
Ainsi est né Exibis. Du "glouglou" comme on dit à Paris, mais du "glouglou" avec des tanins et du fond. Le jus est construit sur deux cépages anciens (l'un catalan, le sumoll, l'autre au parcours plus incertain, le mandó) et sur un des nouveau mal-aimés de la branchitude pinardière, le cabernet-sauvignon. Un vieux cabernet de montagne, travaillé proprement, sans mauvaises intentions.
Au nez, ce pla-de-bages 2012 sent encore un peu la cuve, le fruit frais, rouge épicé d'une pincée de piment-d'espelette. En bouche, pas de triche, c'est mûr, mais pas cuit. On sent sur la langue une belle matière qu'on a envie de fouiller, de la chair, du volume, une générosité à l'image de Pep Aligue, tout en conservant cette droiture, cette buvabilité si rare dans les vins de la région. Actuellement, on peut boire ça comme ça, au comptoir, mais il y a une telle matière que ça peut suivre toute le repas, ou toute la nuit. Superbe accord, l'autre jour avec une belle rascasse.
Et le prix? Parce que c'était le sujet. Combien coûte-t-il cet Exibis 2012? Un peu moins de dix euros, ma bonne dame. Vous voyez, je vous disais qu'en Espagne, avec le vin, il suffisait d'être radin pour se régaler…
* Ce 2011 de la cuvée Torroja de Terroir al Limit que nous avons traîné deux jours durant comme un boulet a finalement terminé dans l'évier. Drôle de mix' entre un nez aux arômes cuits, brûlés, rehaussé d'une pointe acétique et une bouche à la verdeur féroce. Impavide, j'ai tenté d'avaler, le ventre vide, une gorgée de ce verjus, heureusement, j'avais à portée de main un pot de rillettes qui m'a sauvé du trou dans l'estomac!
Très intéressant ...
RépondreSupprimerOn trouve le mencia en Bierzo, en Ribeira Sacra et aussi en Valdeorras (Gaba do Xil de telmo Rodriguez).
Un air de cabernet-franc.
Ou un air de syrah pour Lalama 2005 de Dominio de Bibei.
Il m'a parfois semblé que Gauby était dans cette confusion verdeur/fraîcheur, non ?
Découvert l'année dernière des vins de grenache intéressants sur Madrid et Mentrida.
Jay Mc Inerney parle bien des vins de foire dans son "Bacchus et moi".
Il parle aussi des producteurs de la Napa produisant des vins frais, à l'opposé des vins bodybuildés (et si chers).
Il faudrait pouvoir les goûter.
De la mencia, il y a dans toute la Galice, jusqu'à Monterrei, chez José Luis Mateo.
RépondreSupprimerCelle dont on parle est autrement plus distingués, plus fine que celle de Gaba do Xil dont je suis lassé, je crois. Et plus mûre que celle de Dominio de B.
Ah, la verdeur/fraîcheur, c'est le gimmick majeur de l'école de Calces, le sommet en étant Matassa, le domaine aux vignes itinérantes.
Si je ne me trompe, Bierzo n'est pas en Galice mais en Castilla y Leon.
RépondreSupprimerBien aimé Descendientes de J. Palacios, Bodegas estefania Tilenus Pagos de Posada 2001, Raul Perez Ultriea St-Jacques 2009, ...
L'équivalent du jaen portugais ?
Le style de Commando-G Rumbo al Norte ou Bernabeleva Vina Bonita ou Maranones Pena Caballera ou encore Jimenez Landi Ataulfos peut dérouter (on pourrait presque penser à Irancy en acide/terrien, avec en même temps quelque chose qui rappelle, par la couleur et la sensation de rafle, les vins d'Emmanuel Reynaud).
D'un point de vue administratif moderne, c'est tout à fait exact, le Bierzo se trouve en CyL. Mais il fait historiquement partie du vieux Royaume de Galice, la présence massive de la mencia en étant une des preuves.
RépondreSupprimerRaul Perez, j'ai un peu de mal, notamment à cause de fréquents pbs de sous-maturité et de rapport qualité/prix détestables.
Oui, la comparaison avec les vins de Reynaud me va bien, surtout pour le haut-de-gamme, très sympa mais dont le rapport Q/P est lui aussi très espagnol…
Quand je vous dit qu'en Galice on peut boire de bons canons :-)
RépondreSupprimerEt encore, vous n'avez pas tout vu! Rouge comme blanc, la Galice est le futur des vins fins espagnols.
Ravi Vincent que ce 2009 t'ai plu. Je dois dire qu'il convient parfaitement à mon palais également.
Laurentg, oui, la Mencía est le jaen portugais (qu'on trouve surtout dans le Dao).
Dominique ROUJOU DE BOUBEE
Oh, pardon, Laurent. Je n'avais pas vu pour le jaen! Merci, Dr Dominique.
SupprimerAu fait, a-t-on fini d'étudier la généalogie de la mencia?
pas que je sache, la dernière étude est celle de Diaz-Losada et al, 2010 http://www.vitis-vea.de/admin/volltext/W0%2010%201793.pdf où elle montre que la Merenzao est le père (ou la mère, je ne suis pas allé regardé dessous) génétique de Caiño redondo, Mouraton, Caiño gordo et Mencía
SupprimerDominique
Ce qui signifie qu'en fait la mencia est un cépage à moitié jurassien, fils de trousseau. Il faut absolument que je prévienne Olif! Ils font du comté et du mont-d'or aussi en Galice?
SupprimerAlbarino (Pazo Senorans, Pedralonga, ...) et Godello.
RépondreSupprimerEt le Txacoli basque, aussi (sur Gettaria ou Bizkaïa), simple et rafraichissant.
Treixadura aussi peut-être (sur Ribeiro) ?
On l'appelle aussi je crois Loureiro Tinto
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