Le Laguiole pris en traître.
C'est un geste symbolique qu'accomplit aujourd'hui le maire de Laguiole, il décroche le panneau de sa commune. Pourquoi? Parce qu'en vertu (…) d'une décision de justice, il ne peut plus se réapproprier ce nom, déposé en 1993 par Gilbert Szajner, un petit malin de la banlieue parisienne qui, depuis, a tout pouvoir sur le nom de ce bourg aveyronnais, célèbre pour ses couteaux, son fromage AOC et, accessoirement, le restaurant de la famille Bras. L'histoire, c'est Patrick Tejero qui la raconte ce matin sur RTL, chez Laurent Bazin.
Les couteaux de Laguiole, tout le monde connaît. Dans une bonne partie du Sud-Ouest, c'est même un des outils de base, qu'on offre aux garçons en même temps que leur premier verre de vin rouge. On en a tous un dans la poche (en prenant garde maintenant aux satanés portiques d'aéroports); le mien, offert par mon père, est un classique, avec poinçon mais sans tire-bouchon (trop court et disgracieux), doté d'un superbe manche d'ivoire (origine légale). J'envisage, quand la lame sera usée, d'essayer de la remplacer par une en acier carbone dont le fil est pour moi inégalable. Parce que c'est ça aussi, un laguiole, un objet que l'on garde, que l'on entretient, que l'on répare…
Dans le village et aux alentours, subsistent des artisans de qualité (dont les lames excellentes peuvent aussi venir de Thiers) ainsi que la Forge de Laguiole qui, comme son nom l'indique, fabrique tout sur place, grâce aux quatre-vingt-dix-sept paires de mains des employés de l'entreprise. Depuis 1987, dans un contexte d'ultra-concurrence, tout n'a pas toujours été facile pour la Forge, qui a été rachetée, puis sauvée par une équipe de passionnés. Quoiqu'il en soit, la qualité demeure et le principe de base est respecté, leurs couteaux sont fabriqués sur place. Made in Laguiole.
Avec le temps, le laguiole a évolué, nombre de designers s'y sont frotté; même si les années 80 sont censées revenir à la mode, je vous laisse celui de Starck, mais j'ai un faible pour ceux d'Éric Raffy, aussi tranchants et équilibrés qu'élégants qu'on rêve de les marier à un beau morceau de vieux bœuf d'Aubrac. Remarquez bien qu'il est autorisé, conseillé même, d'écrire le laguiole sans majuscule, la notoriété du produit est telle que, comme pour les noms d'appellations viticoles ou fromagères par exemple, s'applique le phénomène de l'antonomase*.
Tout cela était évidemment trop beau. Heureusement est arrivé m'sieur Szajner! Je le répète, depuis 1993, la marque Laguiole™ lui appartient. Avec lui, finie l'antonomase, nous voila au pays du bizness pur et dur. Comprenez-moi bien, je n'ai rien contre la propriété intellectuelle et je respecte les marques. Sous réserve de légitimité. Armé de son Laguiole™, m'sieur Szajner adoube une kyrielle de produits, de préférence importés de Chine ou d'Asie, produits qui sont autorisés par lui à porter la "marque Laguiole", évidemment, aucun ne provient du village éponyme! Ça va des pantoufles aux lunettes, des engrais aux parfums, on y trouve même des couteaux… Je vous invite d'ailleurs à aller visiter le site de la m'sieur Szajner, ringard à souhait, sonorisé tel un répondeur téléphonique, afin de découvrir ce bazar de la came de mauvais goût.
Grâce à m'sieur Szajner, il peut vous arriver la même mésaventure qu'à moi. Il y a cinq mois, emporté par mon élan, j'avais commandé sur un site de VPC (vente-privee.com) six couteaux à steak, dûment estampillés, pour tous les jours, histoire de laisser un peu reposer les Raffy. Pour "d'authentiques" laguioles (pardon, Laguiole™), ça ne valait pas très cher, cinquante euros. Et pas très cher, au temps des hypermarchés tout le monde le sait, ça rime avec bonne affaire… Bienvenue au pays du moins-disant! Les "laguioles" sont arrivés. De grosses merdes rustaudes, finies comme un jouet chinois, dessinés comme une voiture roumaine! Bref, je me suis fait endoffer, c'est bien fait pour ma pomme, la prochaine fois, mes couteaux, j'irai les acheter chez un coutelier.
Cependant, et certains vont peut-être trouver que je raisonne de façon condamnable, mais il me semble que, par l'entremise de m'sieur Szajner, j'ai été victime de "contrefaçon légale". Complice, en fait, pas victime, puisqu'en achetant un produit contrefait, on commet un délit. Et là, en repensant au fait que la Justice avait donné tort au maire de Laguiole et à ses administrés, m'est venu à l'esprit ce mot d'un ancien Président de la République évoquant "la force injuste de la Loi". Car, oui, m'sieur Szajner, je sais, "faut bien qu'tout l'monde mange", mais ce n'est pas très reluisant. "Détourner légalement" une appellation de son pays pour en faire le cheval de Troie de tout un tas de marchandises frelatées nuisibles à ceux, patrons et ouvriers, qui défendent cette appellation, n'est-ce pas déjà un peu le début de la trahison? Cela mérite réflexion.
* à l'instar du saint-émilion ou du corbières, du cantal ou du camembert…
Oui, c'est lourd, très lourd. Et très condamnable, justement. On aurait pas un peu un problème avec la justice de mon pays ?
RépondreSupprimerPour ceux qui se demandent ce que veux dire "Made in PRC", c'est "Made in People's Republic of China". Encore une façon d'enfumer le chaland en disant les choses sans les dire vraiment, comme la désignation d'un colorant ou d'un conservateur.
Et merci, Vincent, pour l'antonomase. Je l'ai expliqué cent fois sans savoir le nom savant. Je vais enfin avoir l'air intelligent.
Ne pas en tenir compte (de l'antonomase), c'est d'ailleurs une des fautes classiques du Mondovino où l'on aime les Châteaux-Pleins-De-Majuscules, ça fait riche…
SupprimerBen merde alors!!!
RépondreSupprimerSur le cul..... Alors on fait comment pour avoir un vrais Laguiole si on peut pas se déplacer jusque là bas? A qui faire confiance ?
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