Dedieu! Attention, vache sacrée!
Je rêve d'une entrecôte bien grasse, persillée à souhait, "oubliée" un bon mois en chambre froide, rassise donc fondante, grillée et épaulée d'un beau canon de moelle. Pourtant, cette viande magique, ce morceau de choix, j'ose à peine vous en parler, traumatisé que je suis par la lecture d'un blog hébergé par Le Monde, Même pas mal, qui a failli me couper l'appétit en évoquant "le steak de demain", une horreur artificielle qui fera sûrement rêver les amateurs de cuisine moléculaire mais qui à moi m'évoque le film Soleil vert! Heureusement, le souvenir du bœuf me revient et chasse mon cauchemar, me voila de nouveau à Toulouse, au Marché des Carmes, je vais retrouver mon boucher.
On a tous nos habitudes. Par la force des choses, j'ai un faible, quand je suis de passage dans la Ville rose, pour les Carmes. Bien sûr, les grandes halles de Victor-Hugo ne manquent pas d'attraits; les tripiers, les poissonniers, les charcutiers… Mais là, j'ai faim de bœuf, donc je file aux Carmes sous ce bizarre parking en colimaçon sixties, sorte de Guggenheim-cassoulet auquel on finit par s'habituer (si toutefois on oublie les monuments qu'il a recouverts*…).
Et le bœuf, pour moi, aux Carmes, ça n'a rien d'original, c'est chez Dedieu, bouchers de père en fils. Je me souviens de la loge du temps de l'ancien marché, tenue par Gilles Dedieu, le père, pur enfant du Comminges qui a su imposer avec persévérance son goût pour la viande de caractère; il laisse désormais progressivement la place à son fils Pierre dont la maturité m'étonne. Je l'ai connu gamin et le voila qui virevolte avec aisance derrière l'étal et déniche des pièces admirables, dignes de la tradition familiale. C'est une affaire qui tourne!
Chez les Dedieu, on a la fierté de la viande. On peut vous en parler durant des heures, des races qui vont bien, des éleveurs à éviter, de la façon de la couper, "dans ce sens, pas dans l'autre". Comme il se doit dans les authentiques boucheries traditionnelles, on vit son métier, on essaye au maximum "d'être dans le morceau". Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais quand, comme moi, on arrive de Barcelone où le bœuf est aux abonnés absents et où le veau joue de la batterie, l'étal des Dedieu vous a un petit air de caverne d'Ali-Baba.
Outre la qualité de la viande, on retrouve ici la figure, le personnage du boucher. En France, dans la France que la "grande" Distribution tente de faire disparaître, c'est un monsieur important, presque au rang du curé ou de l'instituteur, on le respecte. Je parlais de Barcelone où la scie remplace volontiers le couteau ou la feuille, il est intéressant de constater que cette figure n'existe pratiquement plus, le boucher a déserté l'étal; il dirige, il gère à distance, tandis que des employés, souvent des immigrés sud-américains sous-payés et inexpérimentés, mascagnent** gaiement la mauvaise bidoche qu'on leur met sous la main. Du coup, ce n'est pas qu'on ne trouve pas de bœuf, on ne sait même plus ce que c'est, on en a perdu le goût.
Il est vrai (et ça explique peut-être aussi pourquoi on n'en trouve plus à Barcelone) que la bonne viande, ça a un prix! la grillade en tout cas***. Mais où a-t-il été question de manger une entrecôte par jour? Mieux vaut en manger une vraie de temps à autres et penser autres parties du bœuf ou du veau, plus économiques, qui aiment le temps et la cocotte. Nous avons suffisamment de belles et bonnes recettes à mitonner pour ne pas sombrer dans la "civilisation" débilitante, malsaine et polluante du steak ou du hamburger quotidien! C'est en tout cas grâce à cette "civilisation" qu'on envisage désormais de recourir à cette horrible viande synthétique que j'évoquais en préambule à ce billet. Que Dedieu nous en préserve…
* Le couvent des Carmes et son église Notre-Dame-Du-Carmel, rasés après la Révolution, puis des halles métalliques démolies en 1963 pour édifier l'actuel parking, rénové il y a une dizaine d'années.
** "massacrer", "bousiller" en parler toulousain.
*** on est très loin en revanche des prix exorbitants de la délicieuse et luxueuse viande du nord-ouest espagnol dont on trouve un exemple de tarifs ici, à la Bodega El Capricho.
Chez les Dedieu, on a la fierté de la viande. On peut vous en parler durant des heures, des races qui vont bien, des éleveurs à éviter, de la façon de la couper, "dans ce sens, pas dans l'autre". Comme il se doit dans les authentiques boucheries traditionnelles, on vit son métier, on essaye au maximum "d'être dans le morceau". Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais quand, comme moi, on arrive de Barcelone où le bœuf est aux abonnés absents et où le veau joue de la batterie, l'étal des Dedieu vous a un petit air de caverne d'Ali-Baba.
Outre la qualité de la viande, on retrouve ici la figure, le personnage du boucher. En France, dans la France que la "grande" Distribution tente de faire disparaître, c'est un monsieur important, presque au rang du curé ou de l'instituteur, on le respecte. Je parlais de Barcelone où la scie remplace volontiers le couteau ou la feuille, il est intéressant de constater que cette figure n'existe pratiquement plus, le boucher a déserté l'étal; il dirige, il gère à distance, tandis que des employés, souvent des immigrés sud-américains sous-payés et inexpérimentés, mascagnent** gaiement la mauvaise bidoche qu'on leur met sous la main. Du coup, ce n'est pas qu'on ne trouve pas de bœuf, on ne sait même plus ce que c'est, on en a perdu le goût.
Il est vrai (et ça explique peut-être aussi pourquoi on n'en trouve plus à Barcelone) que la bonne viande, ça a un prix! la grillade en tout cas***. Mais où a-t-il été question de manger une entrecôte par jour? Mieux vaut en manger une vraie de temps à autres et penser autres parties du bœuf ou du veau, plus économiques, qui aiment le temps et la cocotte. Nous avons suffisamment de belles et bonnes recettes à mitonner pour ne pas sombrer dans la "civilisation" débilitante, malsaine et polluante du steak ou du hamburger quotidien! C'est en tout cas grâce à cette "civilisation" qu'on envisage désormais de recourir à cette horrible viande synthétique que j'évoquais en préambule à ce billet. Que Dedieu nous en préserve…
* Le couvent des Carmes et son église Notre-Dame-Du-Carmel, rasés après la Révolution, puis des halles métalliques démolies en 1963 pour édifier l'actuel parking, rénové il y a une dizaine d'années.
** "massacrer", "bousiller" en parler toulousain.
*** on est très loin en revanche des prix exorbitants de la délicieuse et luxueuse viande du nord-ouest espagnol dont on trouve un exemple de tarifs ici, à la Bodega El Capricho.
Wahou!!!
RépondreSupprimerDedieu que c'est bon de te lire ! Et ce que du dis là est aussi valable pour le poisson. On n'entend autour de nous que plaintes sur le coût exorbitant du poisson au point qu'il faudrait s'en priver, mais il y a quantité de poissons moins nobles et bien moins chères qui chez moi font l'affaire. Dix ou douze gros anchois à poêler après la dernière visite au marché pour moins de 5 € et cela a fait excellente impression aux deux convives de ma table !
RépondreSupprimerMême les photos sont révélatrices de la qualité. Le prix, toujours le prix, mais il n'est pas aussi élevé que cela, payé chez Edouard, 18 € du paleron de réforme là oui c'est cher. Mais chez Dedieu ou autres bons artisans, une viande bien rassie qui a perdu 25 % de son poids, cela a un vrai prix. Assister à un opéra avec Nathalie Dessay vaut 80 à 120 €, une fois par an, cela me rassasie, pour écouter Jojo ou autre Variétoche c'est 60 €, eh bien une fois vaut mieux que deux.
RépondreSupprimerJe ne mange du boeuf et du poisson q'une fois semaine,on a bien d'autres moments de bonheur. Actuellement les tomates de maraîchers sont merveilleuses, alors je me fais une cure et cela me va.
Thalia and me, nous habitions la belle petite rue Bouquières à un jet d'os des Carmes...Et Dedieu...Nom d'un chien...Avant la rénovation du marché, il y avait un bistrot genre gargotte un peu cradingue avec un menu de midi à quelques francs et même que tu pouvais amener ta bidoche pour te la faire saisir dans la poële du cuistot...trop bien c'était. Maintenant t'as que des bistrots branchouilles, c'est nul. Mais Dedieu sont toujours là.
RépondreSupprimer