Révolution de palais.
Malgré quelques fuites, c'était un secret relativement bien gardé: oui, il existe en Espagne quelques "bons canons" comme disent les Bourguignons, quelques bouteilles dont on sait que, sauf accident, on va tomber sur quelque chose de "fluide", d'évident, d'admirable, même parfois. Ces trésors, par rapport au tintouin que les amateurs de gourmettes en or, de Porsche Cayenne et de fausses blondes font sur les novovinos ripolinés et barriqués à mort, on n'en parlait pas trop. Un peu par égoïsme, c'est vrai (moi le premier), d'autant qu'on arrivait assez facilement à s'en régaler, sans se ruiner, la seule condition étant de fréquenter de belles et vieilles maisons.
Les amateurs de "vrais" vins d'Espagne, les Víctor de La Serna ou les Álvaro Girón, pas les midinettes à la mode ou les nouveaux riches en quête de sensationnel, ont déjà compris que je parlais du style de cru qu'on voit photographié ci-dessus, les vieux riojas principalement. J'avais évoqué ces nobles flacons, en catimini, au début de ce blog, Tondonia, ici, au retour d'un séjour à Logroño, et le magnifique Viña Real, là, au sortir d'une déjeuner resplendissant à Hispània, illustre table catalane. Pour mémoire, à Hispània, qui n'est pas exactement une cantine de routiers (quoique, à l'origine…), le Viña Real 75 aux élégants accents margaliens, formidablement digeste, était facturé vingt-neuf euros sur table; infiniment moins cher que les soupes de planches prioratines avec lesquels une poignée de catalanistes désespérés se détruisent le palais afin de continuer de se persuader qu'ils s'agit de "grans vins"…
Pardonnez-moi, mais la tentation était grande de garder pour soi ce gentil secret. D'oublier de le dire, de mentir par omission. Un peu comme pour les coins à champignons. C'est de bonne guère. Surtout dans un marché du vin prompt à s'enflammer, sujet aux tocades et à la spéculation. Et puis, soyons honnête, quel plaisir de boire ça, en douce, en regardant les gandins s'enfiler, à prix d'or, des pinards de rustauds!
Voila pourquoi je ne vous remercie pas, cher Neal Martin! Neal Martin, pour ceux qui préfère le vin au Mondovino est l'homme de main d'Uncle Bob, chargé notamment de noter les appellations espagnoles pour le compte du Wine Advocate. Et voici que, au lieu de tresser des couronnes de lauriers aux habituelles et indigestes bêtes à concours de la péninsule, il vient de révéler une liste de ses petits chouchous, des vins auxquels, au nom du gourou vanillé, il confère les plus hautes notes. Et parmi ces vins, une flopée de vieux riojas, des Tondonia & cie, ceux là-même dont on taisait honteusement le remarquable rapport qualité-prix.
Ça, ce ne serait pas arrivé du temps du prédécesseur de Neal Martin chez Parker. Le brave Jay Miller goûtait bien, un vrai palais de red neck, du chêne, de la lourdeur, du sucre et ce qu'il faut de volatile et de glycérine pour faire passer le Mac Do'! Flanqué de son inénarrable (ex)Master of Wine chilien, Pancho Campo, il faisait là où on lui disait, le brave Dr Jay, adulant le sirop Typhon, portant au pinacle le gros rouge qui tache. C'était le bon temps! Quand je pense qu'à l'époque, je lui ai savonné la planche… C'était un saint ce type-là, un inoffensif, sa cécité, son agueusie auraient du nous le rendre plus sympathique! Lui au moins, il ne vendait pas la mèche. Me voila bien puni. C'est la justice imminente comme dirait un footballeur…
Parce que la suite, on la connait: tous les débutants, tous les boiteux du vin, les suceurs de boyaux flanqué de la puante cohorte des boursicoteurs, bref tout ceux qui ont besoin de se parkeriser, vont se jeter là-dessus comme la vérole sur le bas-clergé et rafler les derniers flacons d'avant les années bois-techno* qui dormaient tranquillement dans les caves poussiéreuses de nos restaurants préférés. Et on ne pourra plus en boire! Non, vraiment, cher Neal Martin**, je ne vous remercie pas. Mais bravo quand même…
* avant les années 90, boisées jusqu'aux bouts des seins (exception faite de Tondonia)…
** j'aurais du m'en méfier de cet Anglais, on m'avait dit qu'il avait de bon côtés, qu'il aimait vraiment le vin, qu'il en buvait pour de vrai (il y a même des photos…) , que ce n'était pas un bec de zinc que Dr Jay. Faut toujours s'en méfier de l'Anglais…
L'Anglais est tout en angles. Ne dit-on pas, d'ailleurs, que l'Anglais est un angulé (p.c.c. Pierre Desproges)
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