Schizophrénie.


Dans les cliniques psychiatriques, on appelle ça des "troubles dissociatifs de l'identité". Dans la vie courante, pour faire savant, on dit, par amalgame, "schizophrénie". Les symptômes sont bien connus, ils reposent sur des comportements contradictoires, antagonistes même chez un patient, capable de penser, de dire, de faire une chose, puis son contraire. Cette digression médicale, juste pour dire qu'il y a des moments où je trouve le Mondovino un rien "schizophrène", sujet, en tout cas à ces fameux "troubles dissociatifs".


J'y pensais il y a quelques jours en feuilletant une de ces revues qui apparaissent et disparaissent comme les feuilles sur la vigne, en l'occurrence une revue barcelonaise, Selectus Wines. Je ne vais pas vous en détailler le sommaire, il varie très très peu d'un magazine à l'autre, les grands hommes sont à leur place, les grands vins aussi, avec la pointe nécessaire de grands restaurants. Toute découverte, sauf innovation marketing à caractère publicitaire y est prohibée, le conformisme est la règle de base, bref, on s'ennuie ferme. Je feuillette, donc, et voila que je tombe sur l'habituelle sélection de vins "incontournables" par un jury d'experts locaux, sommeliers, marchands de vins, etc… Et là, comme de bien entendu, je tombe sur une brochette de bouteilles dont la caractéristique majeure est d'être proposés à un prix délirant, ridiculement haut, cent, deux cents euros pour des ovnis débarqués d'on ne sait où. Nous voila de nouveau en plein concours de "quéquette"…


Il se trouve (hasard du calendrier) que j'avais justement décidé d'enfin rejoindre le troupeau des moutons de Panurge qui achètent leur bouteilles en septembre, dans les foires de supermarchés*, et d'aller moi aussi pousser un caddie à la recherche des "bonnes affaires". On ne peut pas être rebelle toute sa vie, il faut un jour décider de mettre de l'eau dans son corbières… En fait, soyons honnêtes, je voulais surtout aller faire le voyeur; au Mercadona du coin, j'ai donc bravé les imposants étalages de papier-cul et de couches-culottes, qui sont, je le rappelle, les produits de référence de ce genre d'endroits, pour partir à la rencontre du vin foireux.


Bon, la petite déception, c'est que le concept de la Foire au vins n'est pas encore arrivé en Espagne. Être en retard, ça a parfois du bon! Néanmoins, je pense que cela tient également au fait que que le vin n'attire plus grand monde ici. Je ne vais pas vous rappeler les chiffres annuels de consommation par habitant, outre-Pyrénées: cinq fois moins qu'en France ou qu'en Italie, la bibine et le tord-boyaux ont gagné la partie! Il n'empêche, j'ai fait le tour du rayon, j'ai regardé les bouteilles, dont certaines bien grosses et bien lourdes, ce qui est quand même un heureux présage (humour…). Mais le plus frappant, c'est le prix de toutes ces merveilles: 1,65€ le mousseux catalan, 1,05€ le rouge du penedès, 1,92€ le grand cru de Ribera del Duero, j'y ai même repéré un truc qui doit relever du vin de garage si j'en croit son prix exorbitant: 4,15€ les 75 centilitres de priorat, deux fois plus cher que le rioja!


Là, sous les néons glauques du Mercadona, j'ai repensé à mes experts de tout à l'heure et à leurs précieux conseils pour se procurer des bouteilles de crus régionaux à quelques centaines d'euros. Et j'ai eu envie de leur rappeler un chiffre: l'an dernier, en Espagne, le prix moyen du litre de vin** payé par le consommateur était de 2,23€, sensiblement moins qu'en France et dans les autres pays européens. Et je me suis demandé si leur rôle, quel que soit leur (grand) standing et celui de la revue à laquelle ils collaborent, n'était pas de se rapprocher, tant que faire se peut, des réalités du marché. Peut-être pas, bien sûr, en recommandant les bouteilles que j'ai photographiées au supermarché mais, tout simplement en quittant un peu ce monde ibère des vins de frime, dont le prix a été élaboré avant même le jus, juste afin de marquer les esprits. En revenant sur Terre, quoi…


Ce n'est pas la seule raison, mais il me semble qu'en Espagne, on fait tout, entre snobisme ringard et wine education psycho-rigide, pour dégoûter les gens du vins. Et ça marche! La crise, bien sûr, n'arrange pas les choses, mais le catastrophique plongeon de la consommation a commencé bien avant. Plutôt que de ne parler que de crus imaginaires, souvent des soupes de chêne, dont le prix à plusieurs zéros n'est qu'un élément décoratif des (mauvaises) cartes des vins, il me semble que ramener un peu de simplicité, de convivialité et de plaisir dans tout ça ferait du bien. Je ne dois pas être le seul à penser ça, puisque j'ai relevé que dans le "spécial vin" du Figaro Magazine (qui n'est pas nécessairement la revue des quartiers défavorisés…), les experts parisiens auxquels on demandait aussi de dévoiler leurs coup de cœurs se sont limités, eux, à des bouteilles dont la plus chère ne dépassait pas quinze euros. Comme quoi, la schizophrénie, ça se soigne…



** du litre, pas de la bouteille comme on le fait en France notamment.


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