Carignan: la dégustation solide.

Vous êtes dans un petit village des Corbières, on est le vingt-six septembre, les vendanges ont commencé depuis moins d'une semaine. Tout le monde s'active, ne pense qu'à remplir ses seaux et ses hottes. Le début de la cueillette, c'est le moment des "vignes plates", généreuses, celles qui produiront du vin de soif; pour le coin, les rendements sont pléthoriques, jusqu'à cent hectolitres à l'hectare! Et là, alors que chacun rêve de tonnes, vous voyez débarquer deux "touristes", très fiers d'avoir rentré une demi-comporte de raisins dans leur journée!

À grimper dans les schistes et à arpenter les garrigues, je peux vous dire que les deux gaziers, ils ont parcouru davantage de kilomètres de chemin qu'il n'ont ramené de kilos de raisin. Et, tout contents, ils te disent: "tu veux goûter des carignans?". Ben oui! "Et n'oublie pas ton appareil photo". Bon, pourquoi pas, si ça peut aider à mieux déguster…

Un peu de carignan, avec le vent du Nord qui vient de se mettre à souffler, c'est pas idiot. Sauf que, on le constate à l'arrivée dans la salle où se déroule la dégustation, là, c'est sous forme solide! Une rafale de petites soucoupes avec à l'intérieur des grains de raisin, plus ou moins gros, plus ou moins sombres, plus ou moins ronds… Il faut maintenant les goûter, un par un, il y en a vingt en tout, les goûter et noter la qualité de leur peau, de leur pulpe, leur acidité et leur fruit. Je vous assure, je ne suis pas le seul, quand on a l'habitude de goûter du vin, au début on est un peu désarçonné!

Ces grappes ont été soigneusement récoltées dans des petits sachets de plastique. Que du carignan, mais de vingt "sortes" différentes, vingt phénotypes en fait. Les experts les ont choisis aux quatre coins des 360 hectares de vignoble de cette commune, pour leurs différences. L'idée, lancée avec l'aide de la Chambre d'Agriculture de l'Aude, consiste à fouiller dans le patrimoine ampélographique des Corbières, à la recherche du pied de carignan idéal (lequel n'existe évidemment pas…) ou en tout cas de plants qualitatifs pour demain.

Afin de rendre la lecture des lots plus homogène, on goûte ensuite vingt jus frais issus de ces mêmes grappes, des jus qui confirment plutôt bien les sensations du grain à grain. Sous la houlette de Didier Viguier, un des plus fins connaisseurs des cépages des environs, les différents pieds ont été marqués, les résultats vont être comparés, et au terme du processus (qui est encore dans sa phase embryonnaire), les bois de ceux qui semblent remarquables seront multipliés et placés dans un conservatoire du carignan qui devrait être installé en Corbières et, bien sûr, profiter à tous ceux qui cultivent ce cépage.

Au passage, tous les raisins dégustées ont été photographiés (d'où le coup de l'appareil photo), car même si on s'en doutait depuis longtemps il y a souvent un lien entre la taille, la forme de la grappe, éventuellement du grain et les qualités organoleptiques du phénotype. Ces images seront jointes aux autres données afin de compléter ce travail réalisé à la gloire de Sa Majesté le Carignan*, grand cépage sudiste, cépage d'avenir aussi comme le prouve cette affaire.

* sur l'amour du carignan , pensez à lire Carignan Story, le blog de Michel Smith, le voisin de Perpignan.