Mr. Bricolage est un bricolo!


Dès qu'il me faut acheter des clous, du fil de fer, des bocaux, je repense à ce quincailler installé jadis sur la grand' place de Lisle-sur-Tarn. Il vous accueillait dans son éternelle blouse grise, vous laissait formuler votre requête puis, systématiquement, vous posait la même question: "dites-moi, c'est pour faire quoi?" En général, vous ne repartiez pas exactement avec ce que vous étiez venu chercher mais avec un autre objet, plus adapté à l'usage que vous souhaitiez en faire, et souvent moins cher. Ça, il est évident que ça ne vous arrivera jamais dans un de ces hangars pour bricoleurs du dimanche qui ornent l'entrée de nos villes; là, on vous trouvera l'ultime nouveauté, forcément révolutionnaire puisque made in China, coûteuse parce qu'il faut bien payer l'enseigne et le 4X4 du gérant et pas nécessairement fonctionnelle puisque sa finalité première, c'est d'être achetée pas utilisée. Vous pourrez toujours revenir vous plaindre la semaine suivante, le "conseiller", s'il n'a pas déjà changé, n'en aura rien à faire, il travaillait le mois précédent au "rayon frais" et ambitionne de grimper dans l'échelle sociale en vendant bientôt des bagnoles…

 
Heureusement, contrairement à ce que l'on croit, les vraies quincailleries n'ont pas toutes disparu. En évoquant, il y a une semaine, le joli marché de Réalmont, dans le Tarn, je vous avais promis de parler de l'une d'elle, un des points fixe de cet évènement rural qui se tient tout les mercredi. Depuis des lustres, la quincaillerie Bruniquel fournit les campagnes environnantes en outils et consommables; quand on y pénètre, on hésite entre le magasin de jouets et le musée, retrouvant sur chaque étagère les objets indispensables qui permettent de découper un cochon, de partir chasser, de cuisiner, de faire des conserves, d'embouteiller son vin. On y a un peu l'impression, entre garde-mangers et bidons à lait, bouchons de liège brut et passe-légumes que les rayons y ont réponse à tout.


Chez Bruniquel, on trouve tout! Cartouches, vis, forets, couteaux, tout sauf ce que vendent les autres commerçants spécialisés de Réalmont, le détaillant en matériel agricole, le droguiste et l'autre quincailler davantage porté sur les arts de la table, sans compter les vendeurs de manches de pioches ou de couteaux de cuisine installés dans les rues voisines les jours de marché. Ces boutiques existent encore parce que quotidiennement des gens comme vous et moi font le choix d'aller s'y approvisionner plutôt que d'aller brûler de l'essence supplémentaire pour aller se perdre dans les zones commerciales déshumanisées de Castres ou d'Albi.


Cette quincaillerie, dont à chaque fois la douceur des prix m'étonne* me rappelle une phrase extraite de l'utile dossier publié il y a quelques années par Télérama, Comment la France est devenue moche: « En cassant les prix sur quelques rares mais symbo­liques produits, les grandes surfaces se sont enrichies en ruinant les pompes à essence, les commerces de bouche, les drogueries, les quincailleries, des milliers de commerces indépendants spécialisés ou de proximité, des milliers d'artisans, et même des milliers de producteurs et fournisseurs. Les résultats sont objectivement inacceptables. Avec, en plus, des prix supérieurs à ceux de nos voisins eu­ropéens! » Une phrase qui, comme le rappelle Télérama n'a pas été prononcée par "un dangereux contestataire" mais par feu Jean-Paul Charié, député UMP du Loiret, dans un rapport sur l'urbanisme commercial rédigé en mars 2009.





Dans ce dossier de Télérama (qui m'a été adressé par François Desperriers de Bourgogne Live), on rappelle également ces chiffres effarants qu'il existe d'autres façon d'être "moderne" qu'en poussant des caddies: en France, "70 % du chiffre d'affaires commercial est réalisé en périphérie des villes, contre 30 % en Allemagne". Car, comme le spécifie l'architecte urbaniste David Man­gin dans son bouquin La Ville franchisée qui analyse les "métastases pé­riurbaines", "il faut en finir avec l'idée que ce « chaos sort de terre tout seul ». Il résulte au contraire « de rapports de forces politiques, de visions idéologiques, de cultures techniques ». Bref, toutes ces horreurs, horreurs polymorphes, ne doivent rien au hasard, à la fatalité, mais sont la résultantes de choix, de nos propres choix. Pensez donc au quincailler de Réalmont (et autres quelques autres rescapés du Progrès) la prochaine fois qu'il vous prendra l'envie de bricoler. Et posez-vous cette question: développement durable ou développement jetable?


* La dernière fois, j'y ai acheté une poêle de qualité (on y vend même des poêles noires, idéales pour les cèpes) qui m'a coûté deux fois moins cher que celle commandée et jamais reçue à Barcelone! Comprenez bien, de toute façon, que la quincaillerie Bruniquel n'est pas fréquentée que par les milliardaires du canton de Réalmont, donc les choses y sont vendues au "juste prix", elles sont faites pour durer par pour être jetées.


Commentaires

  1. ...Il s'appelait Pierre et dans sa boutique sous les couverts,il était " au service " des Lislois.On aurait même pu lui demander une pointe,rien qu'une seule :il vous l'aurait vendue...Non,je me trompe,il vous l'aurait donnée ,sans blister à la c.. mais accompagnée j'en suis sur d'un souriant "voilà M'sieur" !
    Comme bien d'autres,il est parti trop tôt,beaucoup trop tôt...
    Ps:Si bobonne n'avait pas programmé depuis longue date un repas de famille ce dimanche là,je serais bien allé au musée réecouter le " Griot Gaillacois". Les passionnés sont passionnants !
    Bonne soirée.

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