Vin de Parisien.


Je suis désolé, mais je trouve le nom de ce vin complètement crétin. Mauvais temps, pourquoi "mauvais temps"? Dans ce jus mûr, gorgé de fruit, caressant comme le soleil de montagne mais dont les tanins parlent vrai, je ne vois que du beau fixe. Oh, bien sûr, du beau temps comme en Aveyron! Un pays d'étés aux nuits fraîches où le soir, pour dîner, on éprouve l'envie de sortir ce vieux chandail gris chiné, qui ne sert jamais l'hiver et qui fait le régal des mites. Surtout cet Aveyron qui flirte avec le Cantal, l'Aveyron des rives de la Truyère qu'on sent, comme sa rivière, tombé presque par accident dans le bassin versant du Sud-Ouest. 
Car, oui, je vais encore vous parler d'un vin du Sud-Ouest, ce Sud-Ouest qui tient une place disproportionnée dans Idées liquides & solides. "Le Sud-Ouest, combien de divisions" pourraient s'insurger les nouveaux Staline pinardiers, idéologues bornés, qui trop souvent remplacent les bougnats, à Paname notamment. Pourtant, ce Sud-Ouest dont tant de vins puent la sincérité, je me demande si finalement il ne constitue pas le chaînon manquant entre la Loire et le Languedoc, entre le Rhône et Bordeaux, le point d'équilibre, ce que semblerait indiquer la géographie, singulièrement pour le rouge dont il est question aujourd'hui, plus central que massif.


Mauvais temps, je ne l'ai pas goûté chez un bougnat de la capitale. Enfin presque. C'était chez le Parisien de Barcelone, Benoît Valée, à L'Ànima del Vi, naturiste agréé de la ville, le seul chez lequel on puisse consommer sans tatouages. Mauvais temps, je ne l'ai pas goûté d'ailleurs, je l'ai bu. Trois bouteilles au moins, selon la police. Plus selon les organisateurs. J'ai un vrai problème de boisson avec les vins que j'aime. Pas de limite.
Pour être parfaitement honnête, j'avais déjà trempé mes lèvres dans ce cru (2010 ou 2011?) dans la pénombre des boyaux de pierre de la Dive Bouteille, entre mondanités et effluves de gas-oil. Pas un grand souvenir. Alors que carrer dels Vigatans
Nicolas Carmarans me fait vaguement penser à un modèle réduit de l'homme au sourire de tueur de cochons, l'Aurillacois qui fit jadis chanter les casseroles toulousaines de La Rôtisserie des Carmes. Il est bougnat, l'a été en tout cas, fils de bougnat. Les vieux Parisiens ont connu son Café de la Nouvelle Mairie, rue des Fossés-Saint-Jacques, derrière le Panthéon. Un de ces lieux qui dans les années quatre-vingt-dix renouvela, avec Bénard, Delhoume, Pinoteau, Mélac et consorts, la pinarderie capitale.


Ce Mauvais temps, Nicolas Carmarans est donc allé le faire au pays de ses ancêtres, à Campouriez, du côté d'Estaing, pays de "viticulture héroïque" comme je le disais il y a peu à propos d'un vin des Asturies. Cultiver la vigne sur ces terrasses est un combat*, un combat perdu d'avance a-t-on même cru à une époque. Les parcelles actuellement en production sont péniblement mécanisables. Pour labourer, c'est du sport, il faut un chenillard et un treuil, quant aux pulvérisations, elles se font à l'atomiseur, à dos d'homme.
Mauvais temps, en fait, ça n'a rien d'une invention marketing, ça n'a rien de crétin en plus, au contraire, c'est juste le nom "de bon sens" de la parcelle qui enfante ce jus adorable. Des coteaux d'arènes granitiques en surplomb de la Truyère, un sol très filtrant, orienté sud, le seul sur lequel on pouvait aller travailler sans s'embourber quand il faisait… mauvais temps. D'où son toponyme, inscrit sur le cadastre.


Alors, à quoi ressemble-t-il, ce vin de Parisien dont je me régale? Le 2013 sent l'aubépine et la prunelle, avec une pointe de pivoine. En bouche, son fruit éclatant, sa chair sont tenus par une vraie colonne vertébrale de tanins mûrs. Oui, des tanins, j'ai dit le gros mot, celui qui effraie parfois les débutants du goulot et les dégustateurs du dimanche. Ces tanins qui donnent envie d'y revenir, qui désaltèrent et rendent digeste, qui équilibrent et contribuent à dessiner la silhouette d'un jus. À l'opposé du simplisme de vins fatigués de naissance, de mollusques issus de macérations improbables, dont a fait, parfois ironiquement, une caricature du "vin de Parisien".
Mauvais temps est net et droit, enfant du raisin pas de la paille du poulailler ou de l'écurie. Capable de raconter sans bafouiller son histoire, son pays, ses origines et sa famille ampélographique. Parlons-en, justement des cépages. 60% de mon cher fer-servadou (ou de braucol, ou de mansois, comme vous voulez) et 30% d'un inconnu au bataillon, le "négret-bagnard"**. Le "négret-bagnard" je n'en sais pas grand chose. Nicolas Carmarans me dit qu'il s'agit d'un membre presque disparu de la famille des cotoïdes (cot, négrette, prunelard, tannat, valdiguié…), venu en remontant le Lot et parfaitement acclimaté au terroir froid du nord de l'Aveyron grâce à son cycle tardif et court. Il me tarde de recevoir mon nouveau Galet pour tenter d'en savoir davantage, notamment sur ses liens avec la négrette de Fronton.
En attendant, je vais continuer à boire parisien, chez le Parisien de Barcelone, tant que les filles auront le droit de danser sur le bar…




* Une viticulture qui évidemment a un coût qui se retrouve généralement dans la bouteille. Mauvais temps est-il cher? Oui, 15 € pour une bourse de prolétaire, c'est de l'argent. Non, en comparaison de milliers de crus surfaits, bourguignons, espagnols, champenois, toscans issus de vignes plates comme la main, ultra-mécanisées. je le répète, il s'agit là du fruit (avec ce vin le mot prend tout son sens jusqu'à en éveiller le souvenir en bouche) d'une viticulture exigeante, verticale.
** Je sais, 60+30=90… Les 10% restant, c'est ce vient, un peu de gamay notamment, je crois.

Addenda (29-05-2015): le cépage qui entre à 30% dans Mauvais temps n'est pas comme je l'ai écrit par erreur du "négret-bagnard", mais du négret de Banhars, du nom d'un des hameaux de Campouriez. Au temps pour moi!
En revanche, on n'en sait guère plus sur cette variété dont il resterait 1,3 ha  (classé en voie de disparition par l'INRA); certaines sources non confirmées en l'état par l'ADN évoquent un croisement naturel du manseng noir et du fer-servadou; cela signifierait que ce négret de Banhars serait à la jonction de la famille des cotoïdes et de celle des carmenets, dont le fer-servadou est un des plus vieux membres, peut-être remonté de Galice via les chemins de Saint-Jacques. Très Sud-Ouest, donc, Sud-Ouest de l'Europe…


Commentaires

  1. Banhars, Mr P. if you dearly please!, le négret.

    Cépage modeste au cousinage divers, négret pounjut, négret de la Canourgue, négret du Tarn... Et puis, une parentèle administrative avec la négrette pour mieux se préserver des sourcilleux, des inquiets et des tenants de l'indifférence à la différence. Bref, le Banhars se planquait. Il est désormais lavé de toute suspicion administrative. On lui prête même un grand avenir dans le rosé fruité du côté d'Estaing. Est-ce "le bon choix" ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi, j'écris ce qu'on m'en a dit en Aveyron, je n'ai pas ce cépage dans les tablettes. J'attends d'ailleurs impatiemment le Galet pour en savoir plus (même si je doute que l'on connaisse son ADN), car les appellations et les orthographes locales, en matière de cépage…
      Pour le reste, précisément, que savez-vous de lui? Famille des cotoïdes selon Nicolas Carmarans (ce qui en fait bien un cousin de la négrette aux multiples noms), quoi d'autre? Père? Mère?

      Supprimer
    2. Merci en tout cas pour le nom du hameau de Campouriez, Banhars, je m'en vais rectifier ça au plus vite. Selon l'INRA, il s'agit donc du "négret de Banhars", sur lequel on ne sait pas grand chose de plus.

      Supprimer
    3. Le négret de Banhars est issu du croisement entre le Fer et le Manseng Noir.

      Supprimer
    4. C'est effectivement ce qui est écrit un peu plus haut. On n'a pas en revanche de confirmation ADN.

      Supprimer
  2. Olivier Yobrégat de l'IFV serait certainement la bonne personne à contacter en attendant LE GALET NOUVEAU.
    Sinon, auprès des "bienheureux" de l'association des Rencontres des cépages modestes...
    Ou bien encore conjecturer sur la traduction occitane de banhar : laver, mouiller.
    Rien de précis, juste de quoi muser dans l'exactitude des dédales par goût de l'escalier comme des bignolles, toujours concises.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Banhars, en l'occurrence, comme écrit plus haut, c'est le nom du hameau, en bord de rivière, évidemment. Pour ce qui est du galet, il est doublement en route. Nous avons été parmi les premiers souscripteurs.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés