Le cauchemar des buveurs d'étiquettes.


Le bar, situé au 21 de la calle de San Mateo, près du Tribunal, vient d'ouvrir mais déjà le tout-Madrid liquide en parle. Mikel López Itturiaga est dithyrambique dans El País qui parle carrément "d'espérance pour l'humanité buvante". 
Pourquoi? Parce que sous ses (élégants) dehors de rendez-vous pour hipsters, Macera cache un concept assez novateur: contrairement à ses concurrents, il ne sert pas d'alcools de marque. Ici, pas de gin Hendrick's, Bulldog ou East London Premium, pas de vodka Purity, Pur ou Absolut, aucun de ces alcools dont le contenant coûte plus cher que le contenu. "Les étiquettes, nous les écrivons avec nos clients explique joliment le propriétaire Narciso Berjemo. Nos cocktails sont des mélanges de boissons, pas de marques." 


Et effectivement, à Macera, sur les étagères, le marketing habituel, tapageur est absent. On se croirait dans une vieille boutique d'apothicaire, ou un estaminet de l'époque du cinéma en noir et blanc. Narciso Berjemo, barman célébré et primé dans sa vie antérieure, confie qu'il était devenu un "commercial", qu'il "était engagé dans une course folle pour mettre en avant des marques que son entourage ne pouvait ni ne voulait se payer. Mon travail, c'est de mixer, pas de vendre des positionnements de multinationales".


Les boissons servies sont, comme l'indique le nom de l'établissement, des macérations, des infusions d'herbes, d'épices, de fruits ce qui nous ramène à la Chartreuse et à tant de liqueurs célèbres, notamment outre-Pyrénées. L'alcool pur provient lui de distilleries espagnoles "de toda la vida" comme celle, barcelonaise, de la famille Giró*. Ici, il est question de cannelle, d'oranges, de citrons, de gingembre, de menthe, de genièvre, de mélisse et d'essences naturelles. Le discours de Narciso Berjemo, né dans un bar-cave de la banlieue de Gijón, est d'ailleurs presque politique quand il explique "qu'il faut sublimer les produits les plus humbles", faire beaucoup avec peu, ce qui est très espagnol. Tous les cocktails sont donc vendus sept euros. "Sept euros, ce n'est pas si bon marché que ça, il faut que se souvenir que ça équivaut à mille pesetas, et qu'il y a des familles qui mangent plusieurs jours avec ça. Nous vivons à une époque à laquelle les boissons sont les plus chères de toute notre histoire récente".


Qu'il y ait une part de marketing, d'opportunisme voire de snobisme, pourquoi pas? On a d'ailleurs tout à fait le droit de trouver que finalement des marques sur des bouteilles, c'est aussi ringard, aussi vulgaire que ces logos trop voyants sur certaines fringues. La sobriété est tendance, surtout quand elle est aussi bien packagée que dans ce bar (avec notamment un superbe logo qui explique la notion de "cœur de chauffe").
À cela s'ajoute l'exclusivité de la démarche. À Macera, le barman, ou même le mixologue (ça me fait toujours penser au mycologue…) devient bien plus qu'un simple loufiat, le voilà alchimiste, magicien. C'est tout à fait autre chose!


Vu sous cet angle, Macera dynamite ce qui plombe la fameuse mixology dont on nous rebat désormais les oreilles (à grand renfort de subventions ricardiennes) dans les salons branchés. Ce qui en tout cas constitue pour tous les esthètes sa limite : la matière première qu'utilisent les rois des cocktails est en fait la même merde industrielle** que celle que boivent Kevin et Jessica dans les boîtes ringardes de banlieue***. Et ça, si on y regarde de plus près, ce n'est pas très exclusif! Au contraire de la voie semi-artisanale, du "fait-maison", du casero, empruntée par Narciso Berjemo.



* Qui a notamment mis au point le Gin Mare qui tente de percer à Barcelone.
**Alors bien sûr, ici et là, des petits tentent de grappiller des parts de marché, d'exister à côté des trusts planétaires, ainsi La Distillerie de Paris montée par les deux fils de la famille aveyronnaise Julhès (qui vend du vin du fromage et tant d'autres choses rue du Faubourg-Saint-Denis). Un réponse plus crédible en tout cas que les cuvées "ultra-super-premium" des multinationales de l'alcool qui déploient des efforts colossaux pour inventer des packaging susceptibles de justifier de démentes augmentations de tarif pour leurs distillats industriels.
*** Un peu comme si de grands cuistots étoilés bricolaient leurs recettes avec de la merde de chez Métro ou Davigel et l'arrosaient ensuite de Margnat-Villages! Je n'ose même pas y penser…


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