Fidèle, et actuel. Vivant.


C'est un jour où l'on n'a plus que ses yeux pour pleurer. On se sent sale. Sale du mensonge de l'autre, sale de sa trahison, de sa médiocrité plus encore que de sa bassesse. Loi de Murphy oblige, à la déception (car on est davantage déçu que trompé), s'ajoute un vilain bruit de fond, un grésillement, celui des reîtres qui enfin se rêvent hussards: telle une armée de soudards bigarrée, les aigris, les frustrés, les cocus, attirés par l'odeur du sang, croient enfin tenir leur vengeance, espèrent le coup de grâce. 
Alors, arrivent dans votre boîte-à-lettres ces quelques mots, les mots d'un boulanger.


Ces mots, ce verset*, c'était il y a un an jour pour jour. Beaucoup plus me semble-t-il. Du creux de mon verre s'échappe un parfum de rose. Les roses que l'on devinait dans les anciens parfums de la maison Caron, la vieille rose avec un pointe poudrée, le sillage de ces femmes que l'on n'osait pas encore embrasser. Ou la rose d'Ispahan, car ce jus parle d'Orient, d'un Orient d'avant l'aliénation**.


Les anniversaires ne veulent pas dire grand chose. Ce n'est pas du calendrier ou de déboires passés que me parle ce vin de méditation: le temps, il s'en fout, sa jeunesse est devant lui. Il me ramène aux mots, bibliques, du boulanger. Pas à l'évangile de Matthieu, il est trop sensuel pour ça. Enjôleur, "féminin" aurait-on lu dans des bouquins plus antiques encore que l'Ancien Testament. Mais je me dis que c'est la main d'une femme qui l'a écrit. Cantique des cantiques? Lisez, (écoutez aussi***)…

Reviens, reviens, ô Sulamite ! Reviens, reviens : que nous t’admirions ! 
– Qu’admirez-vous de la Sulamite tandis qu’elle danse au milieu des deux chœurs ?
Comme ils sont beaux, tes pieds, dans tes sandales, fille de prince ! 
Les courbes de tes hanches dessinent des colliers, œuvre de mains artistes.
Ton nombril : une coupe ronde où le vin ne tarit pas. 
Ton ventre : un monceau de blé dans un enclos de lis.
Tes deux seins : deux faons, jumeaux d’une gazelle.
Ton cou : une tour d’ivoire. 
Tes yeux : les vasques de Heshbone à la porte de Bath-Rabbim, et ton nez, comme la Tour du Liban, sentinelle tournée vers Damas.
Ta tête se dresse comme le Carmel. Sa parure est de pourpre ; un roi s’est pris dans ces tresses.
Ah ! Que tu es belle ! Que tu es douce, amour, en tes caresses !
Tu es élancée comme le palmier, tes seins en sont les grappes.
 J’ai dit : je monterai au palmier, j’en saisirai les fruits. Tes seins, qu’ils soient comme des grappes de raisins, ton haleine, comme une odeur de pomme,
ta bouche, un vin exquis… 


Tout cet amour, tout ce désir, cette violence contenue, je les retrouve dans mon verre, l'Orient des mages et de la myrrhe, beau comme dans les contes, pur, "féminin", je le répète.
Pourtant, je veux bien croire que, de prime abord, le versant féminin de celui qui en vingt ans de travail acharné a construit ce vin ne saute pas yeux. Marc Valette, à Saint-Chinian, un homme en vrai, avec une vraie vie, une gueule, ce qu'il faut de combats, plus encore que ce qu'il faut même. Les emmerdements, les coups du sorts, il connaît. Pourtant, le Maghani 2012 que je bois ne raconte pas ça, il ne geint pas, ne soufre pas. Frais, aérien, fin, dégagé des contingences et du poids de l'existence, il s'élève, préfère la poésie aux larmes.


C'est une leçon, en fait, que donne ce vin. Surpasser ses douleurs, chercher la lumière et progresser. Toujours progresser. Se remettre en question, ne pas se laisser aller à la facilité, aux habitudes. 
Pour parler pinard, et vous situer le débat de façon prosaïque, il y a autant d'écart entre ce Maghani 12 et un Maghani 95 qu'entre, par exemple, un 95 de Gauby et sa production actuelle. Avec des accents, une nature, des caractères différents. Ce 2012 m'avait impressionné en janvier, dans de drôles de circonstances, je voulais le regoûter pour en avoir le cœur net.
Mon verre est plein de phrases silencieuses qui coulent des forêts et des montagnes vierges du Haut-Languedoc, comme Marc Valette, pudique, il raconte sans en rajouter, mais dit tout ce qu'il a à dire. Il ne trahit ni son sol, ni son histoire, ni ses rêves. Oublieux de rien, il est fidèle, et actuel. Vivant.




* Matthieu 7 : 6. 
** Omar Khâyyâm, Quatrains, XXVII.
*** Au bout de ce lien, le profond Cantique des cantiques chanté par Chloé Mons et Alain Bashung. Inoubliable.


Commentaires

Articles les plus consultés