La volatile n'est plus un cauchemar !


Volatile. Acidité volatile. Encore un de ces mots du jargon pinardier qui, pour beaucoup de simples buveurs de vins, s'apparentent à de l'hébreu. La "volatile", comme on dit dans les caves, ce n'est pas rien, c'est ni plus ni moins le cauchemar du vigneron. Une poussée de fièvre qui se saisit d'une cuve et qui vous empêche de dormir la nuit, vous rend désagréable avec votre entourage, peut même vous pousser à refumer. Dans la loi de l'emmerdement maximum, une montée de "volatile", c'est un des sommets.
La "volatile", l'acidité volatile, qu'est-ce que c'est? Derrière cet assez joli nom se cache, selon la définition officielle de l'OIV, l'ensemble des "acides appartenant à la série acétique qui se trouvent dans le vin à l'état libre et à l'état salifié". En clair, et pour simplifier à l'extrême, une montée de "volatile" montre qu'un vin est en train de se rapprocher d'un vinaigre. "Historiquement, rappelle l'œnologue languedocien Marc Dubernet, le dosage de l’acidité volatile a été introduit par défaut de capacité à doser spécifiquement l’acide acétique." Les progrès de la science aidait, on peut désormais effectuer cette mesure sans passer par ce biais.


Attention, d'un autre côté, ce n'est pas parce qu'un vin "a de la volatile" qu'il est mauvais! C'est même parfois la signature des grands vins excessifs, tels les meilleurs sauternes, les pinots d'années chaudes ou des bordeaux de légende tel Cheval-Blanc 47 dont l'œnologue Dany Rolland me racontait qu'elle y avait mesuré un taux de volatile de plus d'un gramme par litre (ce qui théoriquement, réglementairement, en fait un vin "impropre à la consommation"). Il est évident que pour équilibrer ça, il faut en face de belles structures, une richesse, etc; le même taux dans un picrate fluet le rendrait à coup sûr imbuvable, bon pour la salade ou les cornichons. Comme toujours en matière de vin, les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît, ce qui en fait, comme la "volatile" pour les vignerons, un cauchemar pour les esprits simples.


Pourquoi est-ce que je vous inflige ce médiocre cours d'œnologie? Tout simplement parce que vient d'ouvrir à Barcelone un bistrot à vin baptisé La Volátil. Alors, évidemment, la première question que j'ai posée à Víctor Company (ci-dessus), l'heureux propriétaire de l'endroit, c'est "pourquoi ce nom?" "Provocation" m'a-t-il immédiatement répondu. Il n'a pas de lecture très technique de ce terme mais cela sent le pied de nez, et une façon de tourner définitivement (?) la page d'une époque si récente où, en Espagne, on ne raisonnait le vin qu'en fonctions de critères ultra-technologiques. Une réaction donc à ce qu'on buvait il y a deux trois ans encore, quand les professeurs pinardiers locaux, passés au moule anglais du WSET, spécialistes de la pipe à Pinocchio, m'expliquaient magistralement, un verre de priorat brûlant ou de quelque autre soupe de planches en main, qu'il était impossible de faire du vin sans bois neuf.
Víctor, comme beaucoup, a effectué depuis un cursus supplémentaire, dans une autre école, celle du vins des rues, dont L'Ànima del Vi du naturiste Benoît Valée est une des universités les plus remarquables outre-Pyrénées. C'est d'ailleurs là que nous avons trinqué ensemble la première fois.


La carte des vins, vous l'avez compris, est à tendance naturiste, mais sans tomber dans le style bar pour hispters. À La Volátil, il n'y a pas que des étiquettes, on trouve aussi de bons canons à boire, souvent d'ailleurs les mêmes que dans le bar sus-cité. Pour cette inauguration (les portes étaient ouvertes depuis deux jours), nous nous sommes régalés un bon litron de pinot noir alsacien de chez Rietsch (avec juste ce qu'il faut de volatile pour lui donner des ailes), facturé sur table 21,20€ le litre. Dans les vins aux verres, j'ai relevé, joli Inedito de Bodegas Lacus en Rioja Baja, un rouge digeste au léger accent français, à deux ou trois euros le godet, un cadeau! Parce que ça aussi il faut le dire, malgré l'emplacement de ce joli local, tout au bas de Muntaner, là où le Gayxample vient se frotter aux zones tribales du Raval, les tarifs des vins ont de quoi faire rêver les consommateurs français ou britanniques, peu habitués à tant de douceur.


Malgré son apparence soignée, presque léchée, La Volátil n'est pas un de ces lieux-gadget, une de ces coquilles vides dont ce quartier de Barcelone, L'Eixample, a le secret. Nous y avons mangé une cuisine franche, directe, sans mariconadas, une vraie cuisine de bistrot barcelonais. Très jolis anchois plein de fraicheur, gambitas rojas idéalement cuites et sans fioritures inutiles, cap i pota fondant, excellentes croquettes à l'encre, jolie daube de queue de vache, bon recuit au miel, vraiment rien à dire. C'est bien envoyé et ça ne cherche surtout à péter plus haut que son cul (ou à détruire le vin comme on le voit trop souvent chez les chimistes). Pour prendre un point de comparaison que connait bien Víctor Company qui y a travaillé, on mange mille fois mieux qu'au Brutal, le rendez-vous pinardier des pijos tatoués*. Les concepteurs de La Volátil ont d'ailleurs eu la bonne idée d'éviter la plupart des codes de ce genre d'établissements.


Les prix de la nourriture, comme ceux du vin, sont très doux, pour des portions qui hésitent entre tapas et raciones, et font de La Volátil, un endroit idéal pour déjeuner, et profiter jusqu'en fin d'après-midi de la belle lumière des baies vitrées. Les mieux informés n'hésiteront pas d'ailleurs à commander, en guide d'au-revoir, un délicieux vermut artisanal de Partida Creus.


À noter également que La Volátil est ouverte le dimanche, une rareté à Barcelone en dehors des mangeoires à touristes. Raison de plus de l'inscrire, aux côtés de L'Ànima del Vi, dans la ruta de la sed, la route de la soif barcelonaise, ces îlots précieux où le solide n'est pas détruit par de douteux liquides. Et tant pis, amis vignerons, si son nom vous fait cauchemarder…




* Toutes mes dernières assiettes au Brutal (un lieu victime de son succès?) ont été entre très moyennes et nulles, avec comme prix spécial un calamar bouilli, précuit, je ne sais pas, le pire que j'aie mangé en Espagne, la pauvre bête était morte deux fois. Un repas sauvé en revanche par l'excellente compagnie de Nicolas Lefèvre esprit libre du vin, une race en voie de disparition.


Commentaires

  1. Décret du 19 août 1921 : Sont déclarés impropres à la consommation, tous les vins ayant une acidité volatile supérieure à 2,5 g par litre (exprimée en acide sulfurique).

    En février 1930, nouveau décret, on passe à 1,80 g/l.

    Le 28 juin 1938, 1,2 g/l chez les négociants, 1,5 g/l chez les commerçants.

    Alors avec 0,54 g/l, le Pinot Noir 2013 de Jean-Pierre RIETSCH reste encore très en deçà de la norme actuelle qui est de 0,8.

    Philippe B



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    1. Par parenthèse, la volatile est également pris en compte dans bon nombre de décrets d'appellations.

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    2. voilà je dors pas j'ai deux cuves qui sont montées.... de toutes leurs ailes ! Cépage compliqué, année compliqué acidité basse donc soufre peu efficace... mois de mai, les températures remontent... même dans le chais.. et voilà.. sans doute le benef de l'année.. voire un peu plus. C'était un petit vin sans prétention mais il avait un jolie fruité !
      J'ai tapé volatile.. et je suis là à lire ce blog et mes cuves 3 et 11 se sont envolées.

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